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de cette lettre pour faire le contraire de ce qu'elle prescrivait.

Et en supposant que, trompé moi-même par de faux rapports, je lui eusse donné, par cette lettre, des ordres qui l'auraient mis dans une position moins heureuse que celle qu'il avait obtenue, il aurait encore dû ne se relâcher en rien des avantages auxquels la supériorité de ses armes lui donnait le droit de prétendre, surtout les ayant obtenus avant d'avoir reçu mes ordres, que, dans ce cas, il aurait pu mé

connaître.

Ce raisonnement est un axiome du métier, et je rends trop de justice au général Dupont, pour douter que, s'il avait été assez bien portant pour monter à cheval, et venir lui-même juger ses ennemis et plaider ses affaires, elles n'eussent tourné tout autrement. Au lieu de cela, elles ont été livrées à des hommes qui se sont empressés de sortir d'embarras à ses dépens, et qui n'ont pas eu honte de trouver les observations de M. de Castaños fondées et raisonnables. Par suite de cet incident, ils entrèrent dans une nouvelle négociation, en annulant la première capitulation.

Croira-t-on que, sans tirer un coup de canon ni un coup de fusil depuis la première capitulation, ils en signèrent une autre par laquelle

ils rendirent prisonnier de guerre, pour être conduit en France par mer, tout le corps d'armée, qui devait défiler et mettre bas les armes, avec la sotte condition qu'on les leur rendrait au moment de leur embarquement pour la France? Enfin on eut l'infamie de ne pas rejeter un article que le général espagnol y fit insérer, par lequel les malheureux soldats qu'on sacrifiait lâchement furent déshonorés. On les obligea de mettre leurs havresacs à terre, et sous prétexte de leur faire restituer des effets d'église, qu'on les accusait d'avoir volés, on les soumit à cette dégoûtante visite. Cette seconde capitulation portait qu'il y aurait un nombre déterminé de caissons qui ne seraient point visités. Eh! c'étaient ceux-là qui auraient dû l'être.

Enfin, après ces honteuses stipulations signées, on se mit en devoir de les exécuter, et la division Barbou défila la première. Les généraux Vedel et Dufour, qui n'étaient point tournés, ayant appris de quoi il était question, s'arrangèrent de manière à partir à l'entrée de la nuit, et reprirent le chemin de la Caroline, qu'ils suivirent pendant deux jours.

Les Espagnols s'étant aperçus de ce mouvement, et n'ayant aucun moyen de s'opposer à la retraite de ces deux divisions, imaginèrent

celui-ci : ils déclarèrent au général Dupont que, si ces deux divisions ne venaient pas exécuter les conditions de la capitulation dans laquelle leur intention avait été de les comprendre, ils n'exécuteraient point cette même capitulation en ce qui concernait la division Barbou; qu'ils la traiteraient avec toute la sévérité des représailles, et ne répondaient pas des excès où ce manque de loyauté porterait la population révoltée.

On était véritablement dans la veine des sottises : cette menace fit peur (on rougirait d'avouer pourquoi) au point que l'on envoya le général Legendre, qui était le chef d'état-major du corps d'armée, courir après les deux divisions de Vedel et de Dufour, pour les ramener. Il ne put les joindre qu'à quatre lieues au-delà de la Caroline, et sans dire autre chose à ces deux généraux, sinon qu'ils étaient compris dans une capitulation d'évacuation qui avait été signée entre le général Dupont et le général Castaños, il leur ordonna, de la part du général Dupont, de ramener leurs divisions, les grondant même d'être partis du champ de bataille sans ordre, et d'avoir ainsi compromis la vie des soldats de la division Barbou. Ce général Legendre se garda bien de dire à ces deux généraux qu'il venait les chercher pour leur

faire mettre bas les armes, quoique lui-même eût déjà fait procéder au désarmement de la division Barbou avant de venir chercher Vedel et Dufour, qu'il abusait sciemment.

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On a blâmé ces deux généraux d'avoir obéi; je doute qu'à leur place on eût osé ne pas le faire. Étaient-ils autorisés à soupçonner un piége dans ce que leur disait le chef d'état-major du corps d'armée au nom de leur général en chef? Non si l'on admettait ce principe, il en résulterait les plus grands inconvéniens à la guerre, où l'on n'a le plus souvent que des jeunes gens pour porter les ordres des généraux. Devra-t-on les croire lorsqu'on ne les connaîtra pas personnellement, si l'on doit douter de la véracité du chef d'état-major du corps d'armée, qui vous porte lui-même un ordre du général en chef, surtout quand il a soin de ne pas vous dire que c'est pour vous livrer aux ennemis ?

Enfin, ces deux divisions revinrent à Baylen, d'où la division Barbou était partie plusieurs jours auparavant. Elles furent remises aux généraux espagnols, qui les séparèrent et désarmèrent, puis les mirent en marche sur Séville.

Le général Dupont rendit ainsi un effectif de vingt-un mille hommes d'infanterie, avec quarante pièces de canon et deux mille quatre cents

hommes de cavalerie, c'est-à-dire le bon tiers des troupes françaises qui étaient en Espagne.

Si le général Legendre avait voulu, il aurait sauvé les deux divisions de Dufour et de Vedel; il n'avait qu'à les suivre au lieu de les faire revenir pour les déshonorer, mais tout le monde était plus occupé de suivre de l'œil les caissons réservés et non soumis à la visite. Enfin, chacun fut puni par où il avait péché : les soldats, indignés d'être soumis à cette honteuse visite, indiquèrent aux Espagnols les caissons qu'ils regardaient comme la cause de l'affront qu'on leur avait fait, et leur dirent qu'ils contenaient, bien plutôt que les havresacs, les objets que l'on cherchait. Les Espagnols ne se le firent pas dire deux fois, et les pillards furent pillés à leur tour. Si le général Dupont avait commencé par cette précaution en se mettant en marche, il aurait trouvé tout le monde prêt à faire son devoir.

Cette malheureuse armée fut victime de l'erreur de son général : la junte insurrectionnelle d'Andalousie ne ratifia pas la capitulation, tout fut fait prisonnier, et mourut de langueur ou de mauvais traitemens dans les prisons d'Espagne; les moins malheureux furent ceux qui obtinrent d'être livrés aux Anglais.

Le général Dupont, après ce désastre, était bien obligé de m'en rendre compte ; il m'écrivit

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