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CHAPITRE XXIX.

L'armée se retire.

mon voyage.

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Je rejoins l'empereur à Toulouse.-Les

deux ingénieurs. Ce qui l'affectait surtout dans la capitulation de Baylen. Les hommes de la révolution. -La Saint-Napoléon.- Empressement des courtisans.

Les troupes revinrent à petites journées; le premier jour, elles couchèrent à Chamartin, à deux lieues de Madrid; le second, à deux lieues plus loin on allait aussi lentement que possible, pour mettre plus facilement de l'ordre partout.

Le troisième jour, le roi Joseph vint de sa personne coucher à Buitrago. C'est dans cette ville que je lui communiquai tout ce que je considérais devoir être la suite du malheureux événement d'Andalousie, qui nous obligeait à songer à notre sûreté, au lieu que nous comptions occuper ce temps-là à conquérir par la confiance, ce à quoi il ne fallait plus songer, et qu'enfin l'insurrection allait employer ce temps. là à s'organiser, à faire prononcer la nation et à lui chercher des alliés. Je lui fis observer que, n'ayant nullement besoin de moi, puisque j'avais

remis le commandement dont j'étais chargé avant son arrivée, je croyais qu'il était urgent que j'allasse vers l'empereur, pour lui parler de tout ce qui se passait, de manière à y attirer toute son attention; qu'autrement les correspondances n'avaient qu'à être interrompues, l'empereur ne saurait plus rien. Il fut de mon avís, et je partis le soir même pour la France.

Mon voyage m'apprenait à chaque pas combien il était important de prendre un parti. Je rencontrai partout des estafettes espagnoles portant les détails de la capitulation de Baylen, et je voyais les têtes s'échauffer. Je faillis, par suite d'une perfidie, être victime de cette effervescence naissante.

Un maître de poste espagnol crut me reconnaître, et pour s'en assurer, il me demanda si je n'étais pas passé chez lui six semaines auparavant, allant à Madrid. Je répondis affirmativement, et je le vis aussitôt dire quelques mots à l'oreille du postillon qui était le guide de mon valet de chambre, lequel courait devant moi. J'avais eu la précaution de prendre un gendarme d'élite d'une bravoure éprouvée, et je le faisais courir à côté de ma voiture.

En arrivant à la poste suivante, tout était en émeute; on allait se porter sur moi, lorsque ce gendarme, qui, sans perdre de temps, avait été

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seller un cheval dans l'écurie, me l'amena en me disant : << Mon général, il n'y a pas de temps << à perdre, montez mon cheval et sauvez-vous,

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je vous rejoindrai hors du village. >> Comme il n'était pas homme à s'effrayer de peu de chose, je suivis son conseil, et laissai ma voiture aux officiers qui étaient avec moi.

Heureusement la nuit approchait; je fis la course sans accident jusqu'à la poste suivante, où le hasard fit qu'un régiment français était arrivé le matin. Au lieu d'aller descendre à la poste, je fus chez le commandant de ce régiment, où je payai bien mon postillon; mais je le fis reconduire hors de la ville, et fermer la porte sur lui, sans le laisser aller à la poste. Puis ayant ôté mon uniforme et pris le frac d'un de mes domestiques, j'envoyai chercher des chevaux de poste de chez le commandant même et comme pour lui; je partis de son logement et déjouai ainsi la perfidie. Je fus bien avisé, car bien qu'il fût nuit, en arrivant à la poste suivante, je trouvai encore la même émeute qui attendait ma voiture. En voyant arriver des courriers, ils s'approchèrent et me demandèrent en espagnol à moi-même : « Est-il encore bien loin « le seigneur général ? » J'eus l'air de ne pas entendre malice à cette question, et répondis en italien : «Dans un quart d'heure, il sera ici. » J'en

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entendais qui se félicitaient déjà, mais je ne m'amusai pas à la conversation; j'entrai moimême dans l'écurie, et, glissant un double napoléon au postillon, j'eus dans quelques minutes le meilleur bidet de la poste, ainsi que mon fidèle gendarme. Je fis une grande civilité à la foule, et, faisant claquer mon fouet, je gagnai des jambes, Ma voiture arriva un quart d'heure après; mais indépendamment de ce qu'on leur dit que je n'y étais plus, ils virent dedans trois officiers avec deux domestiques, et quelques soldats qu'ils avaient eu la sage précaution de prendre au régiment qu'ils avaient trouvé auparavant, et où j'avais recommandé que l'on guettât leur passage on les laissa passer sans leur rien dire. Je me regardais comme hors d'affaire, parce que j'avais entre les jambes le cheval qui devait me mener à Vittoria. Je me félicitais d'avoir joué mes ennemis, lorsque je vis revenir à moi, à toute bride, un cavalier que je reconnus pour mon valet de chambre. Il courait si fort, que je pus à peine l'arrêter.

Il m'apprit qu'à chaque poste son postillon parlait au maître de poste, mais qu'il ne savait pas ce qu'il lui disait, et qu'enfin il venait d'être attaqué par une bande de gens armés qui attendaient sur le chemin, et que son postillon était resté avec eux.

La position était critique; je n'étais pas tenté à retourner à la poste d'où je venais. Je m'arrêtai un instant pour laisser prendre haleine aux chevaux, et faire préparer les armes à mon gendarme et à mon valet de chambre, et je préparai aussi les miennes. Le postillon qui m'accompagnait, auquel j'avais déjà donné un double napoléon, avait l'air d'un fort brave garçon; nous étions quatre, et mon valet de chambre m'assurait que la bande était au moins de douze ou quinze hommes armés; il n'y avait pas de proportion, mais nous n'avions pas d'autre parti à prendre que d'essayer de passer à travers. Je partis donc avec cette résolution, et après un quart d'heure de petit galop, je fus le premier à l'apercevoir; elle avait un homme en observation sur le bord du chemin, au sommet d'une petite élévation, et l'embuscade se trouvait sur la pente de la colline, de l'autre côté. Il était nuit, je fis mettre le pistolet à la main à mes hommes, et aussitôt que je vis cet homme courir à toutes jambes pour prévenir ses camarades, je fis prendre le grand galop, et arrivai avant lui au milieu de cette canaille, sur laquelle nous fimes feu; elle prit la fuite aussitôt, sans remarquer que nous n'étions que quatre. J'arrivai ainsi à Vittoria, où ma voiture me rejoignit. Là j'avais devancé les avis que l'on avait donnés

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