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l'avance, l'empereur monta à cheval avec tout ce qui l'accompagnait. On avait fait suivre un cheval pour l'empereur de Russie, et on avait poussé la recherche jusqu'à envoyer prendre à Weimar la selle dont il avait coutume de se servir; on l'avait apportée de Saint-Pétersbourg pour la mettre sur ce cheval.

Il alla ainsi jusqu'à trois lieues d'Erfurth, où l'on découvrit enfin le cortége de l'empereur Alexandre, qui arrivait en voiture, suivi de douze ou quinze calèches. L'empereur Napoléon arriva au galop, et mit pied à terre pour embrasser l'empereur de Russie, à la sortie de sa voiture. La rencontre fut amicale, et l'abord franc, autant que peuvent l'être les sentimens des souverains les uns envers les autres. Ils remontèrent tous deux à cheval, et revinrent en conversant jusqu'à Erfurth. Toute la population des campagnes bordait le grand chemin. Le temps était magnifique et souriait à cet événement. L'artillerie des remparts les salua, les troupes bordaient la haie, et toutes les personnes de marque qui étaient venues à Erfurth, dans cette occasion, se trouvèrent au logement qui avait été préparé pour l'empereur Alexandre, au moment où il venait y mettre pied à terre, accompagné de l'empereur Napoléon.

Ce jour-là, ils dînèrent ensemble, ainsi que le

grand-duc Constantin, qui accompagnait son frère. Le grand-maréchal avait soin de faire tenir dans la rue un homme qui revenait à toutes jambes prévenir, lorsque la voiture de l'empereur Alexandre paraissait, et chaque fois qu'il est venu chez l'empereur Napoléon, celuici s'est toujours trouvé au bas de l'escalier pour le recevoir. La même chose avait lieu, lorsque c'était l'empereur Napoléon qui allait chez l'empereur de Russie. Pendant tout le séjour qu'ils firent à Erfurth, ils mangèrent presque tous les jours ensemble, hormis ceux où ils avaient affaire chacun chez eux. Ensuite vinrent les rois de Saxe, de Bavière, de Wurtemberg, de Westphalie, le prince primat, les princes d'Anhalt, de Cobourg, de Saxe, de Weimar, de Darmstadt, Baden, Nassau, et en général tout ce qui crut devoir venir rendre hommage à une réunion de tant de puissances.

Le roi de Prusse n'y était pas; il s'y trouvait représenté par son frère le prince Guillaume, qui avait résisté tout un hiver, à Paris, aux désagrémens de la plus horrible situation dans laquelle un prince de son rang puisse jamais se trouver, et qui sut s'en tirer avec l'estime et l'intérêt de la société. C'est lui qui avait été chargé, près de l'empereur, des affaires de la Prusse pendant l'hiver qui suivit le traité de Tilsit.

L'empereur d'Autriche ne parut pas à l'entrevue. Les dispositions qu'il avait prises, les levées, les réquisitions de tout genre qu'il pressait dans ses États, avaient excité les réclamations de la France: ses préparatifs n'étaient pas achevés; les protestations lui coûtaient peu, il résolut d'essayer encore de donner le change à l'empereur Napoléon. Il chargea le général Vincent, qu'il savait lui être agréable, d'aller rendre à ce prince une lettre où il repoussait les doutes qu'on avait élevés sur la persévérance de ses sentimens. (1)

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« Mon ambassadeur à Paris m'apprend que V. M. I. se rend à Erfurth, où elle se rencontrera avec l'empereur Alexandre. Je saisis avec empressement l'occasion qui la rapproche de ma frontière, pour lui renouveler le témoignage de l'amitié et de la haute estime que je lui ai vouée, et j'envoie auprès d'elle mon lieutenant-général le baron de Vincent, pour vous porter, monsieur mon frère, l'assurance de ces sentimens invariables. Je me flatte que V. M. n'a jamais cessé d'en être convaincue, et que si de fausses représentations qu'on avait répandues sur les institutions intérieures organiques que j'ai établies dans ma monarchie lui ont laissé, pendant un moment, des doute's sur la persévérance de mes intentions, les explications que le comte de Metternich a présentées à ce sujet à son ministre les auront entièrement dissipées. Le baron de Vincent se trouve à même de confirmer à V. M. ces détails

Il y avait aussi à Erfurth les princes héréditaires de Mecklenbourg, Schwerin et Strélitz.

L'empereur Napoléon avait emmené le ministre des relations extérieures, M. de Champagny; il avait, en outre, M. de Talleyrand, et comme d'habitude, M. Maret et le prince de Neuchâtel.

à

Le général Oudinot avait été envoyé comme gouverneur à Erfurth, et le maréchal Soult, dont le corps d'armée se rendait en Espagne, passa Erfurth tout le temps du séjour de l'empereur, laissant ainsi prendre de l'avance à ses troupes, qu'il rejoignit à Bayonne.

Il vint aussi des princesses d'Allemagne, celle de Bade, ainsi que quelques unes des

et d'y ajouter tous les éclaircissemens qu'elle pourra désirer. Je la prie de lui accorder la même bienveillance avec laquelle elle a bien voulu le recevoir à Paris et à Varsovie. Les nouvelles marques qu'elle lui en donnera me seront un gage non équivoque de l'entière réciprocité de ses sentimens, et elles mettront le sceau à cette entière confiance qui ne laissera rien à ajouter à la satisfaction mutuelle.

« Veuillez agréer l'assurance de l'inaltérable attachement et de la considération avec laquelle je suis, monsieur mon frère,

« De V. M. I. et R. le bon frère et ami.

Presbourg, le 18 septembre 1808.

"

FRANÇOIS.

D

différens pays du voisinage, la princesse de la Tour-Taxis, celle de Wurtemberg, née Cobourg, etc., etc. Toutes les matinées se passaient en visites. On dînait en réunions nombreuses, et le soir on avait un bon spectacle. Comme on savait que l'empereur de Russie avait l'ouïe dure, on avait fait disposer la salle de manière que tous les souverains étaient à l'orchestre. Je me rappelle qu'à une représentation d'OEdipe, au moment où l'acteur dit : « L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux », l'empereur de Russie se tourna vers l'empereur Napoléon pour lui faire l'application de ce vers. Un murmure flatteur, qui s'éleva dans toute l'assemblée, témoigna combien on sentait la force et la justesse de cette application. La vie était remplie de manière à ne pas voir le temps

s'écouler.

En général, cette année offrit un singulier tableau. L'empereur Napoléon était à Venise, au mois de janvier, entouré des hommages de toutes les cours et princes de l'Italie. Au mois d'avril, il était à Bayonne, entouré de celle d'Espagne et des grands personnages de ce pays, et enfin, au mois d'octobre, il se trouvait à Erfurth en communication avec tout ce que je viens de citer.

L'observateur qui a été témoin de ces rencontres ne peut s'expliquer comment d'aussi heu

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