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Ce corps était composé de deux divisions. d'infanterie, une aux ordres du général Suchet, l'autre commandée par le général Gazan; de trois régimens de cavalerie légère et d'une division de dragons, aux ordres du général Becker: il devait être appuyé par le corps des grenadiers réunis, commandés par le général Oudinot, qui en achevait la formation à Varsovie, et avait reçu ordre de venir se placer à Pultusk.

J'avais pris le commandement du 5° corps le 2 février; le 5, je reçus ordre de quitter ma position de Brock, et de venir me placer à Ostrolenka pour me mettre en communication avec l'empereur, qui avait rencontré l'avant-garde ennemie à Hoff, et se disposait à lui livrer bataille.

Les troupes étaient bien souffrantes; elles étaient sans cesse à la maraude pour trouver quelques pommes de terre. Je fis, par cette raison, mon mouvement sur Ostrolenka par Pultusk, en remontant la Narew, au lieu de le faire par un mouvement de flanc gauche, qui m'aurait fait perdre un nombre considérable d'hommes isolés et de maraudeurs.

Je vis bientôt que j'avais mal fait;. la faute tenait à ce que je connaissais mal la topographie du pays. Si mon commandement avait daté de quelques jours de plus, je n'aurais pas exposé

la division Becker à une défaite dont l'habileté de son général la préserva. Néanmoins je ne me laissai pas décourager; je bouillonnais d'impatience d'en venir aux mains à la première occasion que la fortune m'offrirait. Heureusement pour moi, l'empereur était occupé d'autres choses; il ne vit que le résultat de mon mouvement, qui, en définitive, s'était fait sans accident, sans quoi j'aurais eu la tête lavée de main de maître, pour m'y être pris comme je l'avais fait.

• En approchant de l'armée ennemie, l'empereur resserrait les corps de la sienne; il leur avait envoyé à chacun, par un officier différent, l'ordre d'être rendus à Preuss-Eylau dans la journée dų 8, de manière à pouvoir livrer bataille le 9; il avait ajouté cette phrase afin que chacun amenât tout ce dont il prévoyait avoir besoin.

Le malheur voulut que celui de ces officiers qui allait au corps du maréchal Bernadotte fût un jeune homme sans expérience, qui, sans prendre aucun renseignement en chemin, se dirigea sur le lieu qu'on lui avait indiqué; il alla, de cette manière, se faire prendre par les cosaques, sans avoir détruit sa dépêche, qui fut portée au général en chef de l'armée russe. Ce petit accident, qui n'aurait eu que peu d'importance dans toute autre circonstance, eut, comme on

le verra, des conséquences désastreuses dans

celle-ci.

En voyant le contenu de l'ordre, le général Benningsen abandonna ses projets, et ne songea qu'à réunir son armée; elle était déjà rassem→ blée. Il prit immédiatement le chemin de Koenigsberg, et se trouva, le 7 février, en mesure d'attaquer l'armée française, qui ne devait être réunie que dans la journée du 8, de manière à pouvoir opérer le 9.

L'empereur arriva la veille à Eylau avec le 7° corps, commandé par le maréchal Augereau, la garde et le corps du maréchal Davout, à peu de distance. Il fut en effet attaqué par toute l'armée russe le 8, à sept heures du matin, par une neige très épaisse. Le 7° corps, serré en colonne, fit une résistance extrêmement vigoureuse; mais la supériorité du feu des ennemis parvint à éteindre le sien en décomposant les régimens qui formaient ce corps. Le maréchal Davout arriva, et donna vivement. Les ennemis marchaient toujours; déjà ils étaient près de PreussEylau, lorsque l'empereur fit donner la garde, dont l'artillerie l'arrêta. Le combat de canon s'engagea, et devint terrible. Le maréchal Soult et le maréchal Ney arrivèrent sur ces entrefaites. L'action continua; des charges de cavalerie, conformément aux instructions qu'ils avaient re

çues, souvent répétées, empêchaient les progrès des Russes, mais ne mettaient pas l'empereur en état d'entreprendre quelque chose de décisif; on attendait le maréchal Bernadotte, qui avait quatre divisions d'infanterie et deux de cavalerie. On ignorait l'aventure arrivée à l'officier qui lui avait porté des ordres; on était impatient; on envoyait à sa rencontre dans toutes les directions: ce fut en vain. On fut obligé de gagner la nuit comme l'on put, et on s'estima heureux d'avoir pu coucher sur le champ de bataille après tout ce que l'on avait perdu.

Ce combat d'Eylau n'avait été donné par les Russes que pour faire respecter leur retraite, qu'ils effectuèrent ensuite sur Koenigsberg, sans coup férir. On les suivit, pour l'honneur des armes, avec de la cavalerie; mais, pendant ce temps, on évacuait de Preuss-Eylau les blessés avec tout le matériel inutile.

On accusa le général Bernadotte de n'être pas arrivé sur le champ de bataille, encore bien que l'ordre ne lui fût pas parvenu. Ceci paraît singulier; mais le fait est qu'il était en communication avec la division de cuirassiers du général d'Hautpoult, lorsque celui-ci reçut l'ordre de se réunir à l'empereur pour livrer bataille. Il a même dit qu'il avait averti Bernadotte de son départ, et de ce qu'on allait faire. Quoi qu'il en

soit, d'Hautpoult arriva, fut tué, en sorte qu'on ne put donner suite à cette affaire. D'ailleurs comment Bernadotte n'avait-il pas marché d'après la communication que lui avait faite le général d'Hautpoult? Il avait trop d'expérience de la guerre et de ses événemens pour ne pas voir que, s'il n'avait pas reçu d'ordre direct, c'est que quelque méprise ou quelque accident avait empêché qu'il ne lui parvînt. Il attendit; enfin, il marcha lui-même avec son corps, autant pour s'informer de ce qui se passait que pour mettre sa responsabilité à couvert; mais il était trop tard. Arrivé près d'Osterode, il apprit le mouvement rétrograde de l'armée, qui venait se placer derrière la Passarge.

L'empereur eut l'air d'attribuer à la prise de l'officier une négligence sur laquelle son opinion était arrêtée, il se souvint d'Iéna; mais le mal était fait, il ne lui en parla qu'en termes de douceur.

Après cette mauvaise journée d'Eylau, nous nous trouvâmes heureux de passer le reste de l'hiver derrière la Passarge, tandis que, sans la prise de l'officier porteur de la dépêche de l'empereur au maréchal Bernadotte, l'armée russe aurait continué son mouvement offensif sur la Basse-Vistule, et l'empereur l'eût forcée de combattre acculée, ou au Frisch-Haff, ou à la Vis

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