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tule. Que l'on juge maintenant de la différence qu'il y aurait eu dans les résultats : l'armée russe ne pouvait pas manquer d'être détruite, la paix se serait faite sur-le-champ; au lieu de cela, le succès de nos armes devint douteux, et la fierté empêcha réciproquement de se rien proposer.

La position militaire de l'empereur était moins bonne qu'en partant de Varsovie, tandis qu'elle aurait dû être infiniment meilleure; elle eut des inconvéniens de toute espèce, dont un autre que lui ne se serait jamais tiré. Avant d'en tracer le tableau, je vais achever de parler de la bataille d'Eylau, que les Russes prétendent avoir gagnée, et que nous voulons n'avoir pas perdue.

reçu

Bernadotte ayant déclaré qu'il n'avait pas l'ordre de marcher, et Berthier soutenant le lui avoir envoyé, on alla aux recherches sur le registre des expéditions, et l'on trouva que l'officier qui avait été porteur de cet ordre était un jeune élève de l'école de Fontainebleau, qui rejoignait un régiment du corps du maréchal Bernadotte; on avait mal à propos profité de son départ pour la transmission d'un ordre aussi important. L'Empereur en leva les épaules de pitié, et ne dit pas un mot de reproche à Berthier. Bernadotte fut en partie justifié, quoiqu'il n'eût fait aucun cas de l'avis que lui avait donné d'Haut

poult en quittant sa position pour rejoindre la grande armée.

Si l'on appelle gagner une bataille, rester maître du champ de bataille et suivre la retraite de son ennemi, il n'y a pas de doute que nous n'ayons gagné celle d'Eylau; elle l'eût été bien mieux, et d'une manière incontestable, si l'armée russe, au lieu de se retirer sur Koenigsberg, eût encore suivi son premier plan de se porter sur la Vistule, et eût été forcée de l'abandonner par suite de la bataille. Au lieu de cela, elle a suivi tranquillement son plan de retraite, elle ne peut donc avoir perdu la bataille; il est bien vrai qu'elle n'a tiré aucun avantage de sa supériorité, et que, si elle avait été commandée par un homme comme l'empereur, c'en était fait de l'armée française; cela est d'autant plus extraordinaire de la part du général russe, qu'il connaissait le plan d'opérations de l'empereur, et qu'il n'a attaqué que parce qu'il était convaincu qu'il surprendrait l'armée française dans son mouvement de réunion, et que, de plus, il était assuré que Bernadotte, avec quatre divisions d'infanterie et deux de cavalerie, ne s'y trouverait pas. Ces considérations obscurcissent le succès des Russes, surtout si l'on remarque que leur armée, dont le but avait été de nous jeter derrière la Vistule, fut obligée d'aller pas

ser le reste de l'hiver derrière Koenigsberg, et de laisser l'armée française se replacer dans la position qu'elle occupait auparavant derrière la Passarge; elle couvrait ainsi le blocus de Dantzick, dont le siége fut commencé au mois de mars, et mené jusqu'à la fin sans que les Russes entreprissent de le faire lever (cette place ne capitula que le 12 de mai). En cela, au moins, l'armée russe a manqué le but pour lequel elle s'était mise en mouvement.

D'un autre côté, si l'on appelle perdre la bataille, la perte considérable qu'a éprouvée l'armée française, dont les corps combattaient l'un après l'autre, à mesure qu'ils arrivaient sur le champ de bataille, contre toute l'armée russe, on peut dire, sous ce point de vue, que les Français ont perdu la bataille; car cette perte fut telle qu'il devenait impossible à notre armée de rien entreprendre d'offensif le lendemain, et qu'elle aurait été complétement battue, si les Russes, au lieu de se retirer, l'eussent attaquée de nouveau, parce que Bernadotte ne pouvait arriver que le surlendemain.

Si l'on prétendait que, parce que le plan qu'avait l'empereur d'acculer l'armée ennemie au Frisch-Haff, ou à la Vistule, pour la combattre avec tous ses moyens réunis, a totalement manqué, il a perdu la bataille, ce serait une

erreur : ce plan ne manqua pas par suite de la bataille, mais bien parce que, d'une part, part, les Russes se retirèrent, et que, de l'autre, le corps de Bernadotte n'avait pas rejoint.

L'empereur aurait eu toute son armée réunie, que si l'armée russe, ayant été informée de son projet, eût pris le parti de la retraite avant que notre droite l'eût débordée, au lieu de poursuivre son premier mouvement sur la Vistule, le plan de l'empereur aurait encore échoué, et à plus forte raison avec toutes les circonstances qui survinrent.

Le fait est que les deux armées ont manqué chacune leur but; qu'elles se sont trouvées après la bataille dans la même position qu'avant de s'ébranler, et que leurs pertes ont été réciproquement sans résultats; mais cet événement donna au moral et à l'opinion une secousse qui ne fut point favorable à l'empereur, et sans son extrême habileté, il eût eu des conséquences bien fâcheuses, que j'expliquerai plus loin. Je vais auparavant terminer le récit des événemens militaires qui firent suite à ceux d'Eylau.

L'empereur m'écrivit ce qui venait d'arriver en me mandant que, si je ne pouvais rien entreprendre sur les ennemis, je vinsse me mettre en communication avec la grande armée, dans la position qu'elle prenait derrière la Passarge,

La dépêche ne m'en disait

que l'offi

pas autant cier qui en était porteur m'en racontait.

Après avoir réfléchi à ma situation, je me décidai à sortir de ma position et à marcher aux ennemis je fis porter ma cavalerie légère en avant, et la fortune lui fit prendre un officier russe en dépêche, qui était expédié en retour par le général en chef du corps d'observation sur le Haut-Bug (1), au général en chef Benningsen, commandant la grande armée russe. Par le contenu des lettres dont il était porteur, je vis que le général Benningsen avait fait sonner haut son succès d'Eylau; qu'il n'avait pas parlé de sa retraite, et avait donné ordre aux généraux Essen et Muller, commandant le corps du Haut-Bug, de marcher franchement sur moi et de m'attaquer; cet officier m'apprit qu'il avait laissé ces deux généraux faisant leurs préparatifs pour exécuter cet ordre.

J'étais à Sniadow, en avant d'Ostrolenka, lorsque cette circonstance m'arriva, et j'y fus informé qu'un corps russe de quatre à cinq mille hommes avait été envoyé pour me tourner par ma gauche, et avait déjà passé la Narew, qui était gelée partout, à Tikolshin. Je ne crus pas

(1) Le Bug sépare le pays de la rive gauche de la Narew d'avec la Gallicie.

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