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de la Chambre protestait contre ce ministère, qui n'avait pas sa confiance, et demandait un ministère de majorité, suivant la théorie parlementaire. Le roi prétendait choisir librement ses ministres, et la minorité libérale constitutionnelle soutenait le roi contre la majorité. L'orateur de ce parti, Royer-Collard, formula nettement la théorie de la suprématie du roi : « Du jour où le gouvernement ne consisterait que dans la majorité des Chambres et où il serait établi en fait qu'elle peut renvoyer les ministres du roi, c'en serait fait non seulement de la Constitution mais de la royauté indépendante, de ce jour nous aurions la république » (1816).

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Dès ce moment sont formulées les deux doctrines opposées qui reparaitront au temps de Louis-Philippe sous le nom de monarchie constitutionnelle et de gouvernement parlementaire. La doctrine constitutionnelle reconnaît au roi le droit de choisir à son gré les ministres, même contre la volonté de la Chambre, pourvu qu'ils ne gouvernent pas contrairement à la Constitution; elle le laisse maître du pouvoir exécutif, la seule force réelle, et par conséquent maître du pays; les Chambres n'ont sur lui d'autre prise que le droit illusoire de faire un procès aux ministres pour violation de la Constitution. La doctrine parlementaire déclare le roi obligé de prendre ses ministres dans la majorité; elle met le pouvoir exécutif sous la domination du Parlement, qui par un vote de défiance peut le contraindre à se retirer; elle transfère indirectement la souveraineté à la Chambre. En 1816 les ultra-royalistes soutenaient la doctrine des droits du Parlement contre le roi, et les libéraux défendaient les prérogatives du roi contre les royalistes.

Sur la question électorale, les ultras demandaient l'élection à deux degrés, au canton et au département, et pour les électeurs de canton l'abaissement du cens à 50 francs, c'est-à-dire l'extension du suffrage à près de 2 millions d'électeurs; ils demandaient une chambre nombreuse et le renouvellement total de la Chambre au bout de cinq ans. Le roi et la minorité libérale voulaient conserver l'élection directe avec un corps électoral très restreint (moins de 100 000 électeurs), en exigeant pour être électeur un cens de 300 francs d'impôt; ils demandaient le renouvellement partiel et la réduction du nombre des députés. La loi électorale proposée par les ultras fut votée par la Chambre et rejetée par la Chambre des pairs (mars-avril 1816). Les ultras voulaient aussi diminuer le pouvoir des préfets et donner l'administration locale aux propriétaires. Les libéraux défendaient la centralisation créée par l'Empire.

Les rôles semblaient donc renversés; c'était le parti de l'ancien

régime qui voulait affaiblir le roi au profit du Parlement, élargir le corps électoral et augmenter l'autonomie locale; c'était le parti libéral qui soutenait la suprématie du roi, le pouvoir des préfets et la limitation du suffrage. C'est que les partis regardaient le mécanisme politique seulement comme un instrument pour s'assurer le pouvoir et tenaient moins à la forme du gouvernement qu'à la direction donnée à la politique les ultras voulaient faire passer le pouvoir à la noblesse des campagnes, qui eût été maîtresse de la Chambre, grâce aux électeurs à 50 francs, afin de rétablir un régime aristocratique; les libéraux tenaient à conserver la domination du roi, des préfets et des électeurs à 300 francs, parce qu'on les savait favorables au maintien du régime social né de la Révolution.

Louis XVIII, soutenu par les gouvernements étrangers, garda ses ministres et résista à la Chambre; il commença par clôturer sa session (avril 1816) et, sans l'avoir de nouveau convoquée, finit par la dissoudre (sept. 1816).

L'ordonnance de dissolution rétablissait pour la Chambre future le chiffre de 258 députés, comme en 1814. Le roi, par simple ordonnance, changeait la composition de la Chambre; c'était un coup d'État, analogue à celui de 1830. Pour s'assurer la Chambre des pairs, le roi créait de nouveaux pairs, anciens généraux et fonctionnaires de l'Empire.

Pendant cette lutte entre le roi et la Chambre, le parti du drapeau tricolore, réduit à neuf députés, n'avait eu aucune action directe. Les complots pour renverser la monarchie (Didier à Grenoble, les patriotes à Paris) ne furent que des essais isolés, ignorés ou désavoués par le parti.

Gouvernement du parti constitutionnel (1816-20). La nouvelle Chambre, réunie en novembre 1816, se composait presque uniquement de royalistes constitutionnels partisans du ministère; les deux partis extrêmes, les ultras et les libéraux, étaient réduits à deux petits groupes. La politique du roi et du ministère consistait à maintenir leur pouvoir en rassurant les bourgeois intéressés au maintien de la Charte, surtout les acquéreurs de biens nationaux, que la Chambre introuvable avait inquiétés. Louis XVIII dit dans le discours du trône de 1816 : « Que les haines cessent, que les enfants d'une même patrie soient un peuple de frères. » Il disait en 1818 : « Le système que j'ai adopté repose sur le principe qu'on ne doit pas être roi de deux peuples; tous les efforts de mon gouvernement tendent à ce que de ces deux peuples, qui malheureusement vivent encore côte à côte, il se forme un seul peuple. »

Une vie politique régulière commença. La question fondamentale de la souveraineté du roi et de la Chambre ne se posait plus la Chambre laissait au roi la liberté de choisir son ministère et de diriger la politique générale, elle-même s'occupait surtout de régler l'emploi des fonds. Sous l'Empire le budget n'avait guère été qu'un devis souvent dépassé par les ministres et rendu fictif par les virements; en 1817 le ministère de la guerre avait dépassé ses fonds de 36 millions; la vérification traînait pendant des années sans terme fixe pour la liquidation de chaque budget, ce qui permettait de reporter des crédits non dépensés sur une autre année; au lieu d'un budget unique on avait plusieurs budgets spéciaux; les frais de perception étaient défalqués du budget des recettes, ce qui compliquait la vérification. La Chambre vota les lois financières qui ont posé en France les règles pour l'établissement et la vérification du budget. La loi de 1818 obligea chaque ministre à présenter chaque année les comptes des opérations de l'année passée en comparant les dépenses arrêtées avec les ordonnances de fonds et avec les crédits ouverts par la Chambre; le ministre des finances devait y joindre le compte général des budgets, le compte du recouvrement des produits bruts des recettes, le compte de la Dette publique et le compte du Trésor. La Chambre connaissait ainsi les sommes perçues, dépensées et restant en caisse. Les budgets spéciaux furent supprimés peu à peu (de 1817 à 1829). Le régime fut complété par la suppression des virements d'un exercice sur un autre (1822).

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La Chambre régla aussi les deux questions politiques dont la Charte avait seulement posé les principes, le régime électoral, le régime de la presse. Elle adopta (1817) le renouvellement partiel de la Chambre par cinquième chaque année, et l'élection par un collège unique réuni au chef-lieu du département; il fallait pour être électeur trente ans et 300 francs d'impôt direct; pour être éligible quarante ans et 1000 francs; c'était le régime demandé par la haute bourgeoisie industrielle, qui faisait la force du parti libéral. - La loi sur la presse, longtemps attendue, fut votée (1819) sous l'influence du groupe des admirateurs de l'Angleterre tory, les doctrinaires (Guizot, Broglie, Royer-Collard). Ce fut une imitation du régime anglais : plus de censure, les procès de presse jugés par le jury, les journaux soumis au timbre; on y joignit le cautionnement. On avait voulu les journaux politiques libres, garantis par le jury contre les excès de pouvoir du gouvernement, mais seulement les journaux de la bourgeoisie; en exigeant pour fonder un journal un cautionnement énorme (200 000 francs), en imposant sur chaque exemplaire de

journal un droit de timbre, on faisait de la presse un luxe interdit au peuple.

Ce fut une période de réorganisation. Le territoire français fut évacué par les armées des Alliés. La dette fut consolidée et le budget mis en équilibre. Les cours prévôtales furent supprimées. L'armée permanente fut organisée avec le système du recrutement par le sort, le remplacement et le service de sept ans (régime qui devait durer jusqu'en 1871). L'Université conserva le monopole de l'enseignement supérieur et secondaire. Un parti catholique, surnommé improprement la Congrégation 1, s'était formé pour fortifier le pouvoir du clergé; il demanda l'abolition du Concordat conclu sous Napoléon. Le Pape et Louis XVIII étaient d'accord pour conclure un nouveau concordat; ce furent les Chambres qui refusèrent.

Pendant ce temps le parti libéral se fortifiait; chaque année, au renouvellement partiel, il gagnait des sièges; il eut 25 députés en 1817, 45 en 1818, 90 en 1819. Les gouvernements étrangers s'inquiétèrent et engagèrent Louis XVIII à prendre des mesures contre les libéraux ennemis des Bourbons; Louis XVIII laissa se retirer le duc de Richelieu, partisan de cette politique (déc. 1818), et garda les ministres partisans de la neutralité (ministère Dessoles-Decazes). Alors la majorité constitutionnelle qui avait soutenu le ministère Richelieu se coupa en deux. Le centre gauche continua à soutenir le ministère. Le centre droit lui reprochait de ne rien faire contre la révolution et proposait de modifier la loi électorale pour empêcher d'élire des libéraux: il finit par se liguer avec le parti des ultras contre le ministère. Decazes résista d'abord, il fit nommer 73 nouveaux pairs pour avoir la majorité dans la Chambre des pairs, et fit passer la loi libérale sur la presse. Mais il avait contre lui le comte d'Artois, la cour, le parti catholique et ne se maintenait que par l'appui personnel du roi. Il se décida enfin à satisfaire la droite en proposant une nouvelle loi électorale. Mais déjà affaibli par l'élection de l'ancien conventionnel l'abbé Grégoire en 1819, il ne put résister à la colère des royalistes excitée par l'assassinat du duc de Berry (1820). Le meurtrier avait agi isolément, mais on rendit le parti libéral responsable. Louis XVIII se résigna à abandonner Decazes et prit un ministère de droite (Richelieu), qui commença la lutte contre les libéraux.

1. La Congrégation était une association privée fondée à Paris; les membres se réunissaient pour faire en commun des exercices de piété; ils avaient le même idéal que le parti catholique, mais il n'est pas prouvé qu'ils en fussent les chefs.

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Gouvernement de la droite (1820-27). La droite pendant sept. ans eut la majorité à la Chambre et garda le ministère, en se maintenant d'accord avec le roi, Louis XVIII d'abord, devenu infirme et sans résistance, et, depuis 1824, Charles X, l'ancien chef des ultras, personnellement favorable à la politique de la droite. Le président du ministère fut d'abord le duc de Richelieu; mais le vrai chef de la majorité et du gouvernement fut Villèle, un des orateurs du parti des ultras dans la Chambre introuvable.

Aussitôt arrivée au pouvoir, la droite défit l'œuvre politique des années précédentes, la loi électorale et la loi sur la presse. — Une ordonnance (1820) rétablit provisoirement la censure préalable et l'autorisation; il fallait l'autorisation du gouvernement pour fonder un journal, la permission des censeurs pour publier chaque numéro, et tout journal pouvait être suspendu sans jugement pendant six mois. La loi électorale de 1820 remania la Chambre et les collèges électoraux. La Chambre était portée à 430 députés, élus et renouvelés tous à la fois, mais par deux systèmes différents : tous les électeurs censitaires réunis en collèges d'arrondissement, comme en 1815, élisaient 258 députés (le chiffre total ancien); les électeurs dont le cens atteignait le cens des éligibles (1000 fr.) se réunissaient ensuite au collège de département pour élire 172 députés; ils avaient ainsi un double vote.

La nouvelle Chambre élue suivant ce régime (nov. 1820) fut formée d'une majorité énorme de droite, qui assura définitivement le pouvoir au parti des ultras. La naissance d'un héritier posthume du duc de Berry (le comte de Chambord) acheva de consolider ce parti en assurant la durée de la branche aînée des Bourbons.

Le parti du drapeau tricolore, réduit à une minorité impuissante dans la Chambre, renonça à agir par des moyens légaux et recommença à préparer une révolution. C'était le temps des révolutions. militaires d'Espagne et d'Italie. Sur le modèle des carbonari italiens fut créée une charbonnerie française, société secrète divisée en sections de vingt membres appelées comme en Italie ventes, et dirigée par un comité central, la haute vente. Le but indiqué dans l'acte de fondation est, « attendu que les Bourbons ont été ramenés par l'étranger, de rendre à la nation française le libre exercice du droit qu'elle a de choisir le gouvernement qui lui convient ». Il s'agissait de renverser les Bourbons; sur le régime qu'on mettrait à la place les opinions différaient, car les révolutionnaires étaient une coalition de républicains et d'impérialistes. Ils comptaient agir par l'insurrection (les charbonniers devaient avoir des armes prêtes) et surtout,

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