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pouvoir sur les fidèles suffisait à lui donner la direction de la société. La bourgeoisie voltairienne, à mesure qu'elle se consolidait dans sa supériorité sociale, se réhabituait à la religion revenue à la mode; elle faisait élever ses filles dans les couvents et commençait à confier ses garçons aux établissements religieux qui se reconstituaient. Les chefs du parti catholique, en opposition avec le gouvernement, formèrent un parti libéral; ils demandaient pour l'Église, non des privilèges, mais seulement la liberté.

La Charte de 1830 promettait la liberté de l'enseignement; les catholiques réclamèrent la liberté de créer des écoles catholiques et l'abolition du monopole de l'Université. Montalembert avait commencé la lutte en ouvrant lui-même une école primaire, ce qui obligea le gouvernement à lui faire un procès retentissant. Après les grands succès oratoires de Lacordaire, le parti catholique, devenu plus fort, fonda un journal catholique (l'Univers) qui attaqua la philosophie de l'Université comme impie; il proposa un projet de loi sur la liberté de l'enseignement (1841), qui fut discuté en 1844. Les évêques protestèrent contre la surveillance de l'Université imposée aux petits séminaires. Le roi personnellement se tint à l'écart de la lutte; il déclarait ne pas vouloir de la liberté d'enseignement, mais il disait : « Il ne faut jamais mettre le doigt dans les affaires de l'Église; il y reste », et « Ne me faites pas d'affaires avec cette bonne reine »>. (La reine était très catholique; elle avait personnellement prié les pairs de rejeter la loi du divorce votée par la Chambre et qui en effet fut repoussée.) La Chambre maintint le monopole de l'Université, et quelques libéraux, effrayés de voir se reformer le parti catholique qu'ils avaient cru détruit, manifestèrent leur inquiétude par une campagne contre les Jésuites (1844); Quinet et Michelet les altaquèrent dans leurs cours au Collège de France, ce fut pour les étudiants une occasion de tumulte.

Le parti républicain révolutionnaire était réduit à la société secrète des Saisons, formée de conspirateurs d'habitude, n'ayant plus d'armes et ne remuant plus, ayant parmi ses chefs La Hodde, un agent de la police; deux autres sociétés, les Communistes, en rapport avec les communistes de Londres, les Icariens disciples de Cabet, ne se mêlaient pas à la politique. Mais il restait un groupe démocratique qui, sans organisation régulière, essayait de préparer une transformation sociale par une révolution politique. Ledru-Rollin, le seul député de ce parti, disait dans sa profession de foi (1841): Passer par la question politique pour arriver à l'amélioration sociale, telle est la marche qui caractérise le parti démocratique. >>

Un groupe d'ennemis de la royauté, mécontents du National, qui cessait d'être républicain, fonda en 1843 la Réforme, qui fut l'organe du parti démocratique. Le programme, rédigé par Louis Blanc, prenait pour principe l'égalité et « l'association, qui en est la forme. nécessaire ». « Le but final de l'association, dit-il, est d'arriver à la satisfaction des besoins intellectuels, moraux et matériels de tous. » Il réclamait le suffrage universel et l'indemnité parlementaire, l'éducation commune et gratuite, le service militaire obligatoire (sans remplacement) et « l'organisation du travail » pour « élever les travailleurs de la condition de salariés à celle d'associés ». Le parti démocratique adoptait dès sa formation un programme en partie socialiste et la rédaction de la Réforme se tenait en rapport avec les sociétés secrètes. Mais son action restait très restreinte; la Réforme n'arriva jamais à 2000 abonnés.

La propagande pour les réformes sociales continuait à se faire par les revues spéciales des écoles socialistes, par des pamphlets (Cabet, Proudhon, P. Leroux) et même par les romans de George Sand et d'Eug. Sue. Le mouvement devint assez apparent pour être signalé dans un rapport du préfet de police (1846). Ce rapport parle du « danger non des partis, mais des publications anarchiques » qui répandent << les idées de rénovation sociale ». « Les agitateurs, ditil, désespérant d'obtenir auprès des masses par leurs prédications purement politiques les résultats qu'ils en attendaient, se sont mis à propager certaines doctrines bien autrement subversives qu'ils empruntent aux rêveries des utopistes. >>

L'œuvre de la monarchie censitaire. De 1814 à 1848 l'histoire intérieure de la France ne consiste guère que dans les luttes politiques. La cour, les hauts fonctionnaires, la bourgeoisie riche, qui seuls occupent le pouvoir, ignorent les besoins du peuple; et le peuple, exclu du droit de vote, n'a aucun moyen de les obliger à les connaître. Pendant la durée de la monarchie censitaire il ne s'est fait que trois réformes importantes :

1o Les conseils généraux et municipaux, réduits sous l'Empire et pendant la Restauration à un rôle consultatif illusoire, ont été réorganisés sous Louis-Philippe (la tentative de Martignac en 1828 n'ayant pas abouti); les conseils municipaux sont devenus électifs en 1831, les conseils généraux et d'arrondissement en 1833. Ils étaient élus par des corps électoraux très peu nombreux formés des plus fort imposés et des capacités. Le gouvernement continuait à nommer les maires et adjoints. Les pouvoirs des conseils généraux réglés par la loi de 1838 restaient d'ailleurs très minces.

2o La législation très dure du Code pénal a été un peu adoucie : la loi de 1832 a aboli la marque au fer rouge, le carcan, la mutilation des parricides et a établi le système des circonstances atténuantes qui a rendu les condamnations à mort moins fréquentes (le nombre des exécutions a diminué de moitié). La législation du Code de commerce a été adoucie par la loi de 1838 sur les faillites; mais la prison pour dettes a subsisté jusqu'à la Révolution de 1848.

3o L'État a commencé à s'occuper de l'instruction primaire. Guizot ordonna d'abord l'enquête de 1832 sur l'instruction primaire, qui révéla l'état lamentable des écoles. Beaucoup n'avaient même pas de pièce pour la classe; le maître d'école, réduit à la rétribution scolaire payée par les parents, faisait souvent un autre métier; il réunissait les enfants dans sa chambre et se bornait à les garder sans leur rien apprendre. La loi de 1833 obligea les communes à entretenir des écoles primaires et à assurer à l'instituteur un logement et une salle de classe, un traitement fixe et une retraite. La rétribution scolaire fut conservée, mais ne fut plus qu'une ressource accessoire; les frais de l'enseignement furent couverts par une taxe communale ajoutée à la contribution directe, et par une subvention du département et de l'État. Les instituteurs devaient être désignés par le conseil municipal, et pourvus d'un certificat. Le budget de l'instruction primaire finit par atteindre 3 millions en 1847, le chiffre des élèves monta de deux millions (1832) à trois millions et demi en 1848. Le principe était posé que l'enseignement primaire est un service public.

Les chemins de fer ne commencèrent à s'organiser que vers la fin de la monarchie, la Chambre hésita longtemps entre le régime belge des chemins de fer d'État et le régime anglais de l'industrie privée. Après une tentative manquée en 1838, elle se décida à un compromis, la loi de 1843, qui donna le monopole à de grandes compagnies sous la surveillance de l'État et avec retour des lignes à l'État au bout d'un siècle.

Le système fiscal et douanier de l'Empire fut à peine modifié. Le gouvernement de la Restauration essaya de mettre le budget en équilibre et y réussit à peu près; le déficit total en quinze ans ne fut que de 1 milliard 200 millions (le milliard des émigrés), la dépense moyenne annuelle resta au-dessous de 1 milliard. Le gouvernement de juillet accrut le déficit de 2 milliards 1/2, avec une moyenne de dépenses de 1200 millions. L'état normal du budget français sous la monarchie censitaire fut donc le déficit, mais un déficit faible. La richesse générale du pays s'accrut beaucoup, grâce à la paix, plus vite que la population (30 460 000 en 1821, 34 230 000 en 1841).

BIBLIOGRAPHIE

Il n'existe pas encore de bibliographie de l'histoire contemporaine de la France. Le Catalogue de l'Histoire de France de la Bibliothèque nationale, t. III et IV, 1856-1857, et t. XI, supplément, 1879, in-4, donne une liste de tous les ouvrages possédés par la Bibliothèque sur l'histoire de France, jusqu'à 1878, liste beaucoup trop longue pour être d'un usage pratique comme bibliographie; on peut se servir aussi, pour les ouvrages parus de 1840 à 1890, de Lorenz, Catalogue de la librairie française, tables méthodiques, t. VII, VIII, XI et XIII. Sources. Les principales sources peuvent se classer en 6 catégories : 1° Documents parlementaires. Les comptes rendus des séances des Chambres et les annexes (enquêtes, rapports, budgets, documents, projets de lois) ont été jour par jour publiés dans le Moniteur et (depuis 1869) le Journal officiel (en févr.-mars 1871, Moniteur de Bordeaux). Ils ont été reproduits en partie dans une collection rétrospective: Archives parlementaires, recueil complet des débats », qui doit comprendre la période de 1800 à 1860 (le t. LXXXV paru en 1893 arrive à 1834), et dans une collection annuelle qui se publie depuis 1861 sous le titre d'Annales (du Sénat, du Corps législatif, de l'Assemblée nationale, de la Chambre des députés). Le compte rendu des chambres est in extenso (sténographique), excepté pour la période 1852-1860, où il n'y a eu qu'un compte rendu analytique. Il existe une table analytique depuis 1831, divisée en 7 séries: pour la période antérieure à 1830 la table chronologique et alphabétique des Archives parlementaires (t. LXII) en tient lieu.

2o Documents législatifs.

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Tous les actes officiels sont publiés dans le Bulletin des lois et dans Duvergier, Recueil des lois. Les Constitutions sont réunies dans F.-A. Hélie, Les constitutions de la France, 1879.

3° Documents judiciaires. Les grands procès politiques devant la Chambre des pairs ont fait la matière de publications spéciales (voir Catalogue de l'Histoire de France). Les comptes rendus des procès sont donnés par deux journaux spéciaux: Gazette des tribunaux, depuis 1826; le Droit, depuis 1836.

4° Annuaires. – L'Annuaire historique universel donne le résumé des événements de chaque année de 1818 à 1860.

5o Journaux et Revues. On les trouvera indiqués au Catalogue de l'Hist. de France, t. IV. Les principaux journaux pour la période 1814-1848 sont le Journal des Débats, le Constitutionnel (libéraux); la Quotidienne, le Drapeau blanc (légitimistes); le Courrier français, le Globe (gauche); le National, la Tribune (républicains); le Siècle, la Presse. Les revues sont beaucoup moins importantes qu'en Angleterre; ce sont, pour cette période, la Revue britannique, le Correspondant et la Revue des Deux Mondes.

De Barante,

6o Mémoires, correspondances, discours. Les plus importants 1 sont : POUR LA RESTAURATION : Vitrolles, 1883. Duc de Broglie, 1886. 1890. Pasquier, 1893. Villėle, 1890. Hyde de Neuville, 1889. POUR LOUIS-PHILIPPE : Guizot, 1858-1867. H. Heine, Lutèce (correspondance de journal de 1840 à 1843). S. Bérard, 1834. Broglie, Doudan, Tocqueville. Giquel, Mémoires d'un préfet de police, 1840 (détails sur les sociétés secrètes). Taschereau, Revue rétrospective, 1848, recueil de documents secrets du gouvernement de Louis-Philippe.

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Travaux. LES HISTOIRES D'ENSEMBLE Henri Martin, Histoire de France de 1789 à nos jours, 8 v., 1878-1885; Dareste, Histoire de France, n'ont pas de valeur scientifique.

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1. Je me borne à mentionner le nom de l'auteur et la date de publication du premier volume.

Les histoires de périodes les plus importantes sont :

POUR LA RESTAURATION: Viel-Castel, Ilistoire de la Restauration, 20 vol.,1860-1878, surtout pour l'histoire extérieure. Duvergier de Hauranne, Histoire du gouvernement parlementaire en France, 1814-1848, 10 v., depuis 1857 (l'ouvrage s'arrête à 1830), surtout pour l'histoire intérieure. Dulaure et Auguis, Histoire de la Révolution... depuis 1814 jusqu'à 1830, 8 v., 1834-38, pour l'histoire des conspirations contre les Bourbons. (On ne peut guère se servir des autres histoires, Lubis, Nettement, Capefigue, Rittiez, Hamel, Petit, Rochau; Vaulabelle n'est instructif que pour la connaissance de la légende libérale.)

POUR LE REGNE de Louis-PHILIPPE : K. Hillebrand, Geschichte Frankreichs, 2 v., 1877-1879 (collection de Gotha), commence à 1830, interrompue par la mort de l'auteur à 1848; de beaucoup la meilleure histoire de cette période; dans un esprit très monarchique, mais scientifique. Thureau-Dangin, Histoire de la monarchie de juillet, 7 v., 1887-92, très monarchique, ajoute quelques détails inèdits. L. Blanc, Histoire de dix ans (1830-1840), 5 vol., 1841-44, socialiste, peu scientifique. (On ne peut s'y fier.)

Les monographies les plus importantes sont :

SCR LA TERREUR BLANCHE: E. Daudet, La Terreur blanche, 1878.

SUR LE PARTI CATHOLIQUE: Outre Montlosier, Mémoire à consulter, 1826, (sur la polémique soulevée par ce livre, voir la bibliogr. au Catalogue de l'Hist. de France, t. III): — De Grandmaison, La Congrégation, 1801-1830, 1889. A. LeroyBeaulieu, Les catholiques libéraux... de 1830 à nos jours, 1885. De Riancey, Histoire critique... de la liberté d'enseignement en France, 2 v., 1844; Compte rendu des élections de 1846, 1846. Tous dans un sens catholique.

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SUR LES PARTIS SOCIALISTES: L. Stein, Geschichte der sozialen Bewegung in Frankreich, 3 v., 1850 (édition remaniée), reste l'ouvrage fondamental.

SUR LES INSTITUTIONS PARLEMENTAIRES E. Pierre, Histoire des assemblées politiques en France, 1877. G. Weil, Les élections législatives depuis 1789, 1895. SUR L'ADMINISTRATION : E. Aucoc, Conférences sur... le droit administratif, 3 v., 1878.

SUR LE RÉGIME FISCAL: Bibliogr. dans A. Wagner, Finanzwissenschaft, t. III, 1888. Voir surtout D'Audiffret, Système financier de la France, 2 v., 3o éd., 6 v., 1863-1870, pour les documents. R. Stourm, Le budget, son histoire et son mécanisme, 3° édition 1896, exposé d'ensemble. - L. Say, Dictionnaire des finances, en cours de publ. depuis 1889.

SUR LES OUVRIERS: E. Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789, 2 v., 1867.

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