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fouiller les voyageurs pour empêcher d'entrer les livres et les journaux hostiles à l'Empereur.

La vie publique se concentra dans les affaires. Les événements de ce temps furent la construction des chemins de fer, les créations de sociétés par actions, la fondation des grands établissements, Crédit foncier, Crédit mobilier (1852), les comices agricoles, l'Exposition universelle de 1855, la transformation de Paris entreprise systématiquement par Hausmann (1854). Napoléon considérait les grands travaux publics comme un procédé pour rallier les ouvriers à l'Empire en leur procurant de l'ouvrage. Les seuls événements politiques intérieurs furent le complot républicain de 1853 et trois attentats contre l'Empereur. Le plus important fut celui d'Orsini (1858). C'était un attentat purement italien, mais le gouvernement en profita pour se débarrasser des républicains. Il força la Chambre à voter la loi de sûreté générale qui donnait au gouvernement le pouvoir de détenir, exiler ou déporter sans jugement tout individu déjà condamné pour délit politique, et d'interner ou d'exiler quiconque le serait à l'avenir.

Un général, Espinasse, connu par son rôle dans le coup d'État, fut nommé ministre de l'intérieur pour appliquer cette loi. Il envoya l'ordre à chaque préfet d'arrêter un chiffre fixé d'individus, lui laissant le choix des personnes; d'après Blanchard le chiffre prescrit aurait varié de 20 à 41; il était « proportionné à l'esprit général du département ». Les préfets interprétèrent différemment; les uns s'en tinrent aux gens condamnés au temps de la République; d'autres prirent ceux qui leur paraissaient dangereux, surtout des ouvriers, des avocats, des médecins. Le but était d'intimider.

Relâchement du régime autoritaire (1860-66). — Sous le règne de Napoléon III les événements décisifs ont été les guerres étrangères. L'Empereur avait le pouvoir de décider la guerre seul, sans consulter la Chambre; il en a usé pour suivre au dehors sa politique personnelle; mais ses guerres et ses traités ont réagi sur son gouvernement intérieur; le sort de la nation a dépendu de la politique extérieure de l'Empereur.

Jusqu'en 1859 le gouvernement était l'allié du clergé contre les libéraux. La guerre d'Italie le brouilla avec le clergé; en laissant faire le royaume d'Italie et dépouiller le pape de la plus grande partie de ses États, l'Empereur avait soulevé contre lui une opposition catholique. Pour la contre-balancer il essaya de se rapprocher des libéraux. Il commença par l'amnistie générale de 1859, qui fit rentrer en France les exilés et les déportés de 1851. Le parti républi

cain, renforcé par le retour de ses anciens chefs, ne se réconcilia pas, mais redevint assez fort pour recommencer l'opposition ouverte. Pour se concilier les libéraux parlementaires, Napoléon III relâcha le régime imposé à la Chambre; il lui donna le droit de voter une adresse en réponse au discours du trône, il permit d'imprimer les débats in extenso dans le journal officiel le Moniteur (novembre 1860). Le budget des ministères fut divisé en sections sur lesquelles la Chambre votait séparément (1861). C'était le retour à d'anciennes pratiques parlementaires. En même temps l'Empereur, sans consulter la Chambre, qu'on savait dominée par les protectionnistes, conclut avec l'Angleterre le traité de commerce de 1860 qui abolissait les prohibitions et abaissait les droits protecteurs : c'était l'entrée de la France dans le système du libre-échange.

La surveillance sur la presse se relâcha aussi. On toléra des journaux d'opposition modérée où la critique se dissimulait sous forme d'allusions, le Journal des Débats orléaniste, le Siècle républicain, le Figaro. La vie politique recommença.

Une coalition se forma entre les partis adversaires de l'Empire, républicains, orléanistes et même légitimistes; ce fut l'opposition libérale. Aux élections de 1863, il y eut 35 députés de l'opposition et 249 du gouvernement. Paris n'élut que des opposants.

En même temps Napoléon, reprenant la politique démocratique exposée dans ses Idées napoléoniennes, faisait voter la loi de 1864 qui donnait aux ouvriers la liberté de coalition.

Dans la Chambre élue en 1863 la vie parlementaire se réveilla. La minorité cherchait à exciter l'opinion par des discours contre le gouvernement; elle attaquait ses expéditions militaires (surtout celle du Mexique), ses dépenses et ses emprunts (Berryer lui reprochait en 1863 d'avoir en douze ans créé un déficit égal à celui des autres gouvernements en cinquante ans), son régime de police et de compression (Thiers réclamait les libertés nécessaires). Le parti catholique, opérant séparément, attaquait la politique suivie en Italie. La lutte devint aiguë quand le gouvernement interdit la publication du Syllabus, comme « contenant des propositions contraires aux principes sur lesquels repose la Constitution de la France >> (janvier 1865). Les évêques protestèrent; la protestation fut condamnée par le Conseil d'État. Le discours du trône promit de << maintenir les droits du pouvoir civil »; les évêques continuèrent à réclamer. Le parti catholique, devenu hostile au gouvernement, fit la guerre au ministre de l'instruction publique Duruy (depuis 1863); les évêques protestèrent contre la création de cours d'enseignement

secondaire pour les filles; ils présentèrent et soutinrent au Sénat des pétitions dénonçant l'enseignement de l'Université comme matérialiste (1868).

Peu à peu se formait un parti impérialiste libéral disposé à soutenir l'Empereur, mais mécontent du gouvernement de ses ministres; on leur reprochait d'agir chacun pour soi et arbitrairement. L'Empereur, qui commençait à souffrir de sa maladie de vessie, et qui d'ailleurs n'avait jamais aimé s'occuper des affaires intérieures, ne suffisait pas pour maintenir l'entente entre ses ministres et pour empêcher leurs abus de pouvoir. La Chambre, privée de tout moyen d'action sur les ministres, se réduisait à enregistrer des projets de loi et des budgets. Suivant la doctrine des libéraux constitutionnels on demandait un ministère cohérent, on voulait faire donner à la Chambre un pouvoir de contrôle sur le gouvernement et un moyen d'intervenir dans la politique générale. Un groupe de députés se constitua en un tiers parti, et proposa un amendement à l'adresse; c'était la seule occasion laissée à la Chambre de manifester une opinion sur la politique générale. L'amendement de l'opposition réunit 63 voix en 1863 et en 1866.

Le tiers parti demandait, non pas le régime parlementaire complet, mais ce qu'il appelait « le développement de la liberté politique », c'est-à-dire un ministère responsable, le droit commun pour la presse, la liberté de réunion (on venait d'avoir en 1865 le procès des Treize treize hommes politiques condamnés au nom de la loi qui interdisait les réunions de plus de vingt personnes). La lutte du tiers parti contre le gouvernement prit la forme d'une rivalité d'influence personnelle auprès de Napoléon entre Rouher, le ministre dominant, partisan déclaré du régime autoritaire, et Ollivier, un des cinq députés républicains, entré en relations avec l'Empereur dès 1864. Elle se compliqua d'une opposition entre deux politiques étrangères; Rouher penchait pour la guerre ou du moins une attitude belliqueuse envers la Prusse et l'Italie, c'était aussi la tendance de l'Impératrice et du parti catholique naturellement dévoués au Pape et à l'Autriche; le tiers parti voulait la paix.

Après la guerre de 1866 et le désastre du Mexique, l'Empereur, se sentant isolé en Europe et désapprouvé même par ses députés officiels, se décida à s'appuyer sur le tiers parti. Il annonça son intention par la lettre du 19 janvier 1867.

Les concessions libérales (1867-69). - Le nouveau régime consista d'abord à donner à la Chambre le droit de questionner les ministres sur tout acte de politique intérieure ou extérieure (le vote

de l'adresse fut supprimé comme devenu inutile). Le rôle du Sénat fut précisé; il devait cxaminer toute loi votée à la Chambre pour l'annuler s'il la jugeait contraire à la Constitution. L'Empereur avait promis aussi une loi sur la presse et une loi sur les réunions. Mais il hésita, revint à la politique autoritaire de Rouher, puis à celle d'Ollivier, et en 1868 finit par se décider à faire voter les lois promises.

La loi sur la presse abolissait le pouvoir discrétionnaire du gouvernement, c'est-à-dire le régime des autorisations et des avertissements administratifs. On n'exigeait plus pour fonder un journal une autorisation; il suffisait d'une déclaration. Les journaux ne devaient plus être frappés que par une sentence judiciaire; mais les procès de presse restaient soumis aux tribunaux correctionnels, non au jury, et les délits de presse restaient frappés de peines énormes; il restait défendu de discuter la Constitution et de publier sur les débats des Chambres autre chose que le compte rendu officiel. La loi sur les réunions permettait de tenir une réunion publique politique, mais seulement après une déclaration signée de sept citoyens, dans un local fermé et en présence d'un agent de l'autorité investi du pouvoir de la dissoudre. Le gouvernement conservait le droit d'ajourner ou d'interdire toute réunion.

Après 1866 le gouvernement chercha à obtenir de la Chambre une nouvelle organisation militaire. L'armée, formée en partie de rengagés ou de remplaçants, en partie de conscrits retenus pour sept ans, était une armée professionnelle, peu nombreuse. En appelant la réserve, créée en 1861, formée de conscrits servant seulement quelques mois, on n'arrivait qu'à un total de 600 000 hommes. L'obligation militaire pesait très inégalement, et seulement sur les pauvres. Au lieu du remplacement on avait établi en 1855 l'exonération; l'État n'exigeait plus de remplaçant, il se chargeait, moyennant une somme versée à la caisse de l'armée, de remplacer l'exonéré par un ancien soldat. Après la campagne de 1866, le ministre de la guerre Niel proposa le service universel à la façon prussienne, mais la Chambre n'y consentit pas. Il semblait encore impossible en France, comme dans tous les autres pays d'Europe, de soumettre au service militaire les jeunes gens de la bourgeoisie. Le parti républicain (Jules Simon) proposa d'adopter le système suisse le service universel réduit à quelques semaines, le temps. nécessaire pour apprendre le métier, l'armée transformée en une milice nationale défensive. Ce régime comportait une politique de paix; il fut à peine discuté.

La Chambre finit par un compromis. Elle concéda au gouvernement

le service de neuf ans divisé en deux périodes, cinq ans d'armée active, quatre ans de réserve (ce qui devait donner 800 000 hommes). Le gouvernement renonça à exiger un service réel de la garde nationale mobile, qui devait comprendre tous les exemptés et les remplacés; elle fut créée officiellement, mais resta sur le papier.

Le parti républicain profita de la demi-liberté laissée par les lois de 1868 pour faire une opposition ouverte à l'Empire dans les journaux et les réunions publiques. Ce fut le temps de la Lanterne (fondée en 1868, condamnée dès le troisième numéro), de la souscription en l'honneur du représentant Baudin tué en 1851, du procès contre les souscripteurs où Gambetta prononça le discours contre le coup d'État qui le rendit célèbre (nov. 1868).

A la Chambre, les députés autoritaires, mécontents des concessions libérales et de la politique de paix, constituèrent le groupe des Arcadiens (ils se réunissaient rue de l'Arcade). Leur programme était de pousser à la guerre pour rétablir l'honneur et l'influence de la France compromis par les victoires de la Prusse; une guerre victorieuse raffermirait la dynastie impériale et lui permettrait de revenir au régime autoritaire.

L'Empire libéral et le parti radical (1869-70). Les élections générales de 1869 décidèrent définitivement Napoléon à adopter un nouveau régime. Royalistes et républicains s'étaient coalisés contre le gouvernement. L'opposition, opérant de concert, avait réuni un million et demi d'électeurs de plus qu'en 1863, les candidats officiels un million de moins. A la Chambre, le tiers parti devenait le groupe dominant; il rédigea un projet d'interpellation signé de 116 députés, pour demander un ministère responsable; uni aux 40 députés de la gauche il avait désormais la majorité. L'Empereur d'abord ne céda qu'à moitié; il promit d'augmenter les pouvoirs de la Chambre, mais sans parler du ministère (12 juillet). Puis il renvoya Rouher, changea trois ministres, et finit par accepter un projet qui devint le sénatus-consulte de septembre 1869.

Dans ce nouveau régime le Corps législatif devient une véritable assemblée parlementaire à l'anglaise; il élit son bureau et fait son règlement; il a l'initiative des lois, le droit d'interpeller et de voter un ordre du jour motivé, le droit de voter le budget et de discuter des amendements par chapitres. Le Sénat devient lui aussi une chambre délibérante, avec séances publiques, droit d'interpeller et de faire son règlement; il a le pouvoir de s'opposer à toute loi votée par la Chambre qu'il déclare contraire à la Constitution. Les ministres délibèrent en conseil; ils ne dépendent que de l'Empereur, mais ils

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