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sont responsables, le Sénat peut les mettre en accusation. La responsabilité des ministres était ainsi à la fois proclamée et rendue illusoire. Napoléon, affaibli par la maladie (on l'avait cru perdu en août), mit longtemps à réorganiser son gouvernement. Il admettait qu'à un régime nouveau il fallait des hommes nouveaux et il négociait avec Ollivier, chef du tiers parti, mais il voulait conserver quelques-uns de ses anciens ministres; en attendant, contrairement à la Constitution, il négligeait de convoquer la Chambre. Quand elle fut enfin réunie (fin nov. 1869), il lui annonça officiellement un régime << également éloigné de la réaction et des théories révolutionnaires », fondé à la fois sur l'ordre et la liberté. « L'ordre, j'en réponds; aidez-moi à sauver la liberté. » Alors commença l'Empire libéral. Ce n'était pas un vrai régime parlementaire; l'Empereur continuait à exercer le pouvoir exécutif par des ministres qui dépendaient de lui seul, le pouvoir constituant par le Sénat dont il nommait les membres.

Sur la tactique à suivre, le tiers parti se divisa. La grande majorité suivit Ollivier, qui se contentait du sénatus-consulte. Un groupe dirigé par d'anciens parlementaires (Buffet, Daru) fut d'avis de réclamer plus de pouvoir pour la Chambre élue, il se constitua en Centre gauche. Le reste du tiers parti devint le Centre droit. L'ancienne majorité autoritaire (les députés officiels) forma la Droite, les Arcadiens l'Extrême Droite. Après de longues négociations, Ollivier fut chargé par l'Empereur de « former un cabinet homogène représentant la majorité du Corps législatif ». Ce fut le ministère du 2 janvier, composé de quatre députés du Centre droit, quatre du Centre gauche, trois ministres antérieurs. Avec le tiers parti et les députés de la Droite, ministériels par profession, il disposait d'une énorme majorité à la Chambre pour faire l'expérience de l'Empire libéral. Il annonça des lois sur la presse, l'abolition de la loi de 1858, et permit la vente des journaux sur la voie publique.

La Gauche restait dans l'opposition; elle ne pardonnait pas à Napoléon le coup d'État, à Ollivier sa conversion à l'Empire. Impuissante à la Chambre, où elle réunissait à peine quarante voix, elle avait l'avantage de représenter la partie du pays la plus ardente en politique, toutes les grandes villes, les ouvriers, les étudiants. Le préfet de police le constatait dès 1867 : « Les masses... restent attachées à l'Empereur... La portion agissante de la société, celle qui s'occupe le plus de politique... accentue... son opposition radicale et systématique. » La Gauche combattait l'Empire au nom de la liberté et du régime parlementaire; mais elle était surtout composée de républicains.

Un parti ouvertement républicain s'était constitué pendant les élections de 1869, les Irréconciliables; formé des débris des républicains de 48 et de la jeune génération élevée à leur contact, il reprenait la tradition de la république démocratique de 1793 et de 1848. Le gros du parti, qu'on commençait à appeler radical, réclamait au nom de la souveraineté du peuple un régime analogue à celui de la Suisse et des États-Unis; la formule en fut donnée dans le programme de Belleville (programme électoral de Gambetta en 1869). Il demandait « l'application la plus radicale du suffrage universel » pour l'élection des conseillers municipaux et des députés, - « la liberté individuelle placée sous l'égide des lois », la liberté de la presse, de réunion, d'association et le jury pour tous les délits politiques, « l'instruction primaire laïque, gratuite, obligatoire », le <«< concours... pour l'admission aux cours supérieurs », - la séparation de l'Église et de l'État, - « la suppression des armées permanentes », la modification du système d'impôts, << la responsabilité directe de tous les fonctionnaires » (il s'agissait d'abolir l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, resté en usage', qui empêche de poursuivre un fonctionnaire devant les tribunaux pour abus de pouvoir), — l'élection de tous les fonctionnaires.

Au parti radical étaient mélangés des socialistes, peu nombreux, sans organisation, sans programme commun, des disciples de Proudhon (mutuellistes) partisans de la réforme sociale par l'association entre ouvriers, des partisans de l'intervention de l'État, un groupe blanquiste révolutionnaire. Mais la lutte politique absorbait toute l'attention. Le programme de Belleville se borne à une allusion vague aux « réformes économiques qui touchent au problème social, dont la solution est presque subordonnée à la transformation politique ».

Le parti républicain excitait l'opinion par des manifestations contre l'Empire. La plus puissante fut celle des funérailles de Victor Noir (2 janv. 1870), tué par le prince Pierre Bonaparte. On évalua à 100 000 au moins le nombre des assistants et cette foule parut disposée à faire un coup de force. Depuis 1866, ce fut une série de grèves en province, de petites émeutes avec semblant de barricades à Paris. Mais le Paris de la fin de l'Empire n'était plus celui de 1848; il s'était agrandi de tous les faubourgs enfermés dans les fortifications (huit arrondissements nouveaux), peuplés d'ouvriers et devenus républicains. Les vieux quartiers à barricades

1. Il est encore en vigueur.

étaient démolis ou traversés par de larges boulevards sans pavés, ouverts à une charge de cavalerie ou à une décharge d'artillerie. Aucune insurrection ne pouvait plus lutter contre la garnison de Paris pourvue d'armes perfectionnées; la guerre de rues qui avait jadis fait le succès du parti républicain était devenue impraticable. Dans l'intérieur même du ministère, le groupe centre gauche demandait l'abolition de deux débris du régime autoritaire : le droit du gouvernement de tailler les circonscriptions électorales et de présenter des candidats officiels, le pouvoir constituant du Sénat qui empêchait les représentants du pays de modifier la Constitution. La Gauche en profita pour démasquer la fausse position des ministres; J. Favre les appela « des sentinelles qui montaient la garde devant le gouvernement personnel pour faire croire à l'existence du régime parlementaire ». Puis elle entraîna Ollivier à se déclarer publiquement contre le système de la candidature officielle. Une partie de la Droite, irritée de cette déclaration, se détacha de la majorité pour former un groupe d'opposition impérialiste (26 fév.). Ollivier, engagé par ses promesses de réforme, finit par proposer au Sénat une revision de la Constitution.

La revision fut acceptée (20 avril), et la Constitution modifiée dans le sens du régime parlementaire. Le Sénat devenait, comme dans les autres pays, une chambre haute, partageant le pouvoir législatif avec la chambre élue; le pouvoir constituant, créé en 1852, lui était retiré et donné au peuple, c'est-à-dire qu'aucun changement à la Constitution ne pourrait plus se faire que par plébiscite.

Sur le conseil de Rouher, l'Empereur décida d'appliquer le principe nouveau en convoquant le peuple à voter sur cette question : « Le peuple français approuve les réformes libérales opérées dans la Constitution depuis 1860 et ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870 ». Le vote affirmatif signifierait à la fois que le peuple ratifiait les réformes libérales en adhérant à la transformation du régime impérial, « et qu'il désirait conserver l'Empereur et rendre plus facile la transmission de la couronne à son fils ». Le parti républicain déclara qu'il regardait le plébiscite comme un moyen de confisquer la volonté nationale et décida de voter non. Les impérialistes autoritaires et libéraux votèrent oui; le ministère ordonna aux fonctionnaires de déployer une « activité dévorante » pour faire voter oui. Le plébiscite du 8 mai donna plus de 7 millions de oui et 1 500 000 non. L'Empire libéral semblait consolidé par cette énorme majorité. Mais les ministres du centre gauche qui désapprouvaient le plébiscite s'étaient retirés et Daru, partisan de la paix, fut remplacé aux

affaires étrangères par un ennemi de la Prusse et de l'Italie, le duc de Gramont. Ce fut lui qui engagea la France dans le conflit avec la Prusse. Le parti belliqueux et autoritaire reprit de l'influence sur le gouvernement; le ministère, formé sur un programme de paix, se laissa entraîner à faire déclarer la guerre au nom de l'honneur national. La Chambre l'approuva en refusant (par 159 voix contre 84) d'exiger la communication des documents diplomatiques et en votant un crédit de 500 millions pour la mobilisation. Mais elle comptait sur une victoire assurée; le ministre de la guerre disait : << Nous sommes prêts, archiprêts », et Ollivier : « Nous acceptons la responsabilité d'un cœur léger. »>

A la nouvelle des premières défaites, le ministère fut abandonné par sa majorité; un ordre du jour de défiance fut voté par la Chambre, et l'impératrice, régente en l'absence de l'Empereur parti pour la frontière, chargea un général, Palikao, de former un ministère. Ce ministère, pris dans la Droite belliqueuse, fut le dernier de l'Empire.

BIBLIOGRAPHIE

Pour la bibliographie, voir chap. V.

Sources. Pour les documents parlementaires, législatifs, judiciaires, et les annuaires, voir chap. précédent. Parmi les documents parlementaires le plus important est l'Enquête sur le 15 mai et les journées de juin. Pour les journaux, très nombreux de 1848 à 1851, voir Catalogue de l'Hist. de France, t. IV. Les principaux pour la période de l'Empire sont : Journal des Débats (libéral), le Siècle (républicain), le Temps (depuis 1861), le Pays (impérialiste), l'Univers (catholique).

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Dans la catégorie des mémoires et correspondances : SUR LA PÉRIODE 1848-51: Odilon Barrot, 4 v., 1875. Tocqueville, 1893. Proudhon, 1849. — Caussidière, 2 v., 1849 (détails sur la préfecture de police). De la Hodde, La naissance de la République, 1850 (l'auteur était un espion affilié aux sociétés secrètes). L. Blanc, Révolution de février au Luxembourg, 1849. E. Thomas, Hist. des ateliers nationaux, 1848. On ne peut considérer que comme des souvenirs les histoires de la Révolution de Lamartine, 1849; GarnierPagès, 1861; L. Blanc, 1870.

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SUR LE COUP D'ÉTAT : Pascal Duprat, Les tables de proscription de L. Bonaparte, 2 v., 1852.

SUR LA PERIODE 1851-70: De Maupas, 2 v., 1884. H. de Viel-Castel, 6 vol., 1881-84 (très suspect). — Granier de Cassagnac, 3 v., 1879. Hausmann, 1890; Persigny, 1896 (tous deux peu instructifs).— Darimon, plusieurs ouvrages, chacun avec un titre, formant une série de souvenirs. Ollivier, série sous des titres différents. Ebeling, 1891. Beaumont-Vassy, 1874. - Ranc, 1878. Voir surtout Senior (Nassau-W.), Conversations with Thiers, Guizot, etc., 2 v., 1878, recueil d'interviews avec les personnages des différents partis de 1852 à 1860, détails sur le régime intérieur de la France dans la période où les journaux ne pouvaient écrire librement. La censure sous Napoléon III, 1852-66, 1892; rapPapiers et Correspondance de la famille

ports sur la censure dramatique ;

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impériale, 2 v., 1870-72, complété par R. Halt, Papiers sauvés des Tuileries, 1871, Recueil de pièces de tous genres trouvées aux Tuileries, publié par le gouvernement républicain.

Ouvrages. Pas d'histoire d'ensemble satisfaisante.

SUR LA RÉVOLUTION DE 1848: Dan. Stern (comtesse d'Agout), Histoire de la Révolution de 1848, 3 v., 1850 (républicain). V. Pierre, Hist. de la République de 1848, 2 vol., 1873-78 (conservateur). — L. Stein, Geschichte der sozialen Bewegun, in Frankreich, 1850, reste l'ouvrage le plus scientifique sur la Révolution de 48. SUR LA RÉPUBLIQUE: V. Pierre, déjà cité. P. de la Gorce, Hist. de la 2o république française, 2 v., 1887 (très conservateur). E. Spuller, Hist. parlement. de la 2 république, 1891. - Thirria, Napoléon III avant l'Empire, t. II, 1895. SUR L'EMPIRE P. de la Gorce, t. I et II, 1894-96, en cours de public. (conservateur). Taxile Delord, Histoire du 2 Empire, 6 v., 1870 (républicain); reste encore l'ouvrage le plus complet. Bulle, Geschichte des zweiten Kaiserreichs und des Koenigreichs Italien (collection Oncken), vulgarisation scientifique. MONOGRAPHIES SUR DES ÉPISODES: E. Ténot, La province en décembre 1851, 1865. Paris en décembre 1851, 1868, histoire du Coup d'État (républicain). — E. Ténot. Les suspects en 1858, 1869.

SUR LA FIN DE L'EMPIRE: D'Abrantès, Essai sur la régence de 1870, 1879.

SUR LES FINANCES: G. du Puynode, L'administration des finances en 1848-49, De Nervo, Les finances de la France de 1852 à 1860, 3 v., 1861.

1849.

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