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partie de l'ancien programme radical: la liberté de la presse et de réunion, l'élection des maires par le conseil municipal dans toutes les communes, le rachat des chemins de fer par l'État, surtout l'enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque. — Les autres étaient des mesures contre le parti catholique : retirer aux diocèses la personnalité civile, supprimer les cimetières confessionnels, supprimer les aumôniers militaires, enlever aux universités catholiques le titre d'université et la collation des grades. En présentant le projet de loi sur l'enseignement supérieur, le ministre de l'instruction Ferry y ajouta le fameux article 7 qui interdisait l'enseignement secondaire aux membres des congrégations non autorisées (il s'agissait de détruire les collèges des Jésuites).

Les mesures de politique positive rencontrèrent la résistance passive du Sénat, où le Centre gauche allié aux conservateurs arrêta les lois votées par la Chambre; il ne passa que la loi sur les universités, et sans l'article 7 (mars 1880). Le gouvernement répondit par les décrets qui, remettant en vigueur d'anciennes lois non abrogées, ordonnèrent aux congrégations non autorisées de se disperser; les congrégations n'obéissant pas, le gouvernement les fit expulser par la force. Ce fut la rupture entre la République et le clergé catholique. La résistance de la Droite allait en faiblissant; les lois finirent par passer, quelques-unes par morceaux: en 1882 la loi sur l'élection des maires, en 1884 la loi qui rendait publiques les séances des conseils municipaux. L'enseignement primaire fut organisé par une série de lois de 1881 à 1886 (1881 l'instruction gratuite, 1882 obligatoire et laïque); l'enseignement secondaire des filles en 1880. La loi de 1881 établit la liberté de la presse complète, sans entraves (cautionnement, autorisation, impôt), avec le jury pour tous les délits de presse; c'était le régime réclamé par le parti radical. On établit la liberté complète de réunion; mais non la liberté d'association. En 1884 la loi sur les syndicats professionnels permit enfin aux ouvriers de créer des associations analogues aux trade unions anglaises.

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En même temps le ministère luttait contre l'Extrême Gauche qui demandait l'épuration de la magistrature, l'amnistie pour la Commune, la revision de la Constitution. Mais de ce côté la force d'attaque allait en augmentant; la Gauche céda peu à peu. En 1880 elle vota l'amnistie (précédée de grâces individuelles) qui fit revenir en France les proscrits de la Commune et permit au parti socialiste révolutionnaire de se reconstituer. - En 1882 l'épuration de la magistrature se fit par une loi qui, suspendant l'inamovibilité des

conservateurs.

juges, permit au gouvernement de mettre à la retraite les magistrats Puis le gouvernement prit l'initiative d'une revision partielle, et le Sénat finit par y consentir (1884). Le quart élu par le Sénat fut attribué, à mesure des décès, aux collèges sénatoriaux de départements; on augmenta le nombre des délégués sénatoriaux en donnant aux conseils municipaux un nombre de délégués variant suivant leur importance (de 1 à 24, à Paris 30), de façon à diminuer un peu l'inégalité de représentation, mais en laissant subsister un privilège pour la campagne.

Après les élections de 1881 il y eut à la Chambre 457 républicains contre 88 conservateurs; au Sénat (après le renouvellement de 1882), 205 républicains (30 Centre gauche) contre 95 conservateurs. Le parti conservateur se retira de la lutte politique 1. Le parti républicain se transforma, la majorité passait à l'Union républicaine. Gambetta, chef de la majorité, accepta de prendre le gouvernement et forma « le grand ministère » qu'on s'attendait à voir devenir l'incarnation du parti républicain (nov. 1881). Mais au lieu d'y faire entrer tous les chefs de la Gauche, il le composa exclusivement d'hommes de son groupe. Puis il proposa la revision pour inscrire dans la Constitution que la Chambre devait être élue au scrutin de liste; on avait jusque-là tenu le régime électoral en dehors de la Constitution afin de pouvoir le modifier par des lois. Le parti républicain se divisa. L'Extrême Gauche attaquait depuis longtemps Gambetta à cause de sa politique opportuniste (il avait fait dans sa circonscription de Belleville, pendant la période électorale de 1881, une scène violente contre ses adversaires). La Gauche lui reprochait ses allures de souverain (l'entrée triomphale dans sa ville natale, Cahors), son langage autoritaire (son « discours du trône » à la Chambre), sa tendance à s'entourer de ses partisans personnels. Les mécontents se coalisèrent contre lui et rejetèrent la revision à une grande majorité. Il se retira, ayant perdu en trois mois sa popularité (janv. 1882) et mourut (déc. 1882), sans l'avoir encore retrouvée.

On revint aux ministères de gauche gouvernant avec l'appui de l'Union républicaine : Freycinet, puis Duclerc, enfin Ferry, le plus long de tous les ministères de la République parlementaire (févr. 1883-mars 1884). Le parti radical arrivé au pouvoir avait renoncé aux grandes réformes; au lieu de l'élection de la magistrature

1. Depuis la mort du prince impérial (massacré par les Zoulous en 1879), le parti impérialiste s'était coupé en deux parti de l'héritier direct, le prince Jérôme; parti de son fils, le prince Victor, soutenu par l'impératrice et les catholiques.

HIST. POLITIQUE DE L'EUROPE.

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(votée en principe en 1882) il fit seulement l'épuration; au lieu du rachat des chemins de fer par l'État il fit les « conventions » avec les grandes compagnies (1883). Il abandonna l'impôt sur le revenu qu'il avait demandé en 1874. Il ne conserva de son ancien programme que l'organisation de l'instruction primaire (qui fut achevée en 1886), et la réforme du service militaire, que le Sénat arrêta. Il se concentra dans la politique coloniale; travaillant à refaire à la France un empire hors d'Europe (Tunisie, Soudan, Congo, Tonkin et Annam) pour ouvrir des débouchés au commerce français.

Scission du parti républicain et reconstitution du parti conservateur (1884-87). Le parti républicain se rompit définitivement en deux fractions ennemies. La Gauche et l'Union républicaine formèrent le parti républicain de gouvernement (surnommé opportuniste); l'Extrême Gauche, reprenant l'ancien nom commun à tous, devint le parti radical. Les deux partis étaient divisés par des rivalités de personnes plutôt que par une différence de programme. Les radicaux étaient ceux qui, n'ayant pas fait partie de l'entourage personnel de Gambetta et ayant combattu la politique coloniale de Ferry, restaient exclus du gouvernement. Mais en reprenant les parties de l'ancien programme radical abandonnées par les républicains arrivés au pouvoir, ils se firent un programme de combat. Ils demandaient la revision de la constitution pour enlever au Sénat le pouvoir de voter le budget et de dissoudre la Chambre; la séparation de l'Église et de l'Etat et l'abolition du Concordat, défendu maintenant par les opportunistes; la réforme du régime fiscal par l'impôt sur le revenu; la guerre aux grandes compagnies. (On ne parlait plus ni de l'élection de la magistrature ni de la suppression des armées permanentes, inscrites au programme de Gambetta en 1869.) Les radicaux ajoutaient l'abandon des expéditions coloniales. Les deux partis étaient d'accord sur le divorce (qui fut voté en 1884), sur le scrutin de liste avec vote au chef-lieu de la commune (qui fut voté en 1884) et sur le service militaire de trois ans avec abolition du tirage au sort, du volontariat, des dispenses aux instituteurs et aux ecclésiastiques; mais la loi militaire, retardée par le Sénat, ne fut votée qu'en 1889.

La lutte porta surtout sur le Tonkin. Ferry déclara la guerre aux radicaux en disant : « Le péril est à gauche. » Les radicaux profitèrent de la panique causée par la nouvelle exagérée d'une défaite au Tonkin pour entraîner la Chambre à voter contre le ministère Ferry (mai 1883). Ce fut le dernier ministère soutenu par une majorité compacte. Jusqu'en 1889 on n'eut plus que des ministères de coalition.

La Gauche, pendant son gouvernement, avait abandonné la politique financière du parti conservateur équilibre du budget, amortissement graduel de la dette, économie dans les dépenses. Pour les chemins de fer nouveaux (plan Freycinet), pour les constructions d'écoles, pour les expéditions coloniales, elle avait engagé des dépenses qui augmentèrent la dette et produisirent un déficit. On s'était habitué à des plus-values sur les prévisions du budget; la crise des affaires qui commença en 1882 après le krach de l'Union générale amena des moins-values. Le mauvais état des finances fournit un argument de plus contre les « opportunistes >».

Dans la campagne électorale de 1885, le gouvernement eut contre lui deux oppositions: à gauche le parti radical, dont l'orateur était Clémenceau; à droite le parti conservateur et catholique, qui, évitant d'attaquer la République, s'appela l'opposition constitutionnelle. Depuis la mort du comte de Chambord en 1883 le parti légitimiste s'était fondu avec le parti orléaniste, sauf un petit groupe irréconciliable, qui transporta son hommage à la branche des Bourbons d'Espagne. Des deux côtés on reprochait aux opportunistes la guerre du Tonkin, le déficit, la crise des affaires.

C'est dans ces conditions que se firent les élections générales d'octobre 1885, les premières au scrutin de liste depuis 1871. Les candidats républicains se présentèrent sur deux listes rivales (républicaine et radicale) qui se partagèrent les voix des électeurs républicains, ce qui empêcha de former des majorités absolues. Les conservateurs se présentèrent unis sur une même liste. Le scrutin de liste par département était avantageux aux conservateurs, leurs électeurs étant répartis en groupes plus compacts; le parti du gouvernement perdit des sièges. Il passa au premier tour plus de conservateurs que de républicains; au second tour les républicains inquiets rétablirent « la discipline républicaine » en votant tous pour la liste de concentration formée des candidats des deux fractions républicaines qui avaient eu la majorité relative. La Chambre fut composée de 382 républicains et 202 conservateurs (que les invalidations réduisirent à 180). Une nouvelle génération de conservateurs venait d'entrer dans la vie politique, avec un programme négatif d'opposition libérale. La division était presque entièrement régionale; tout l'Est et tout le Midi avaient élu des républicains, tout l'Ouest et le Nord des conservateurs.

Le parti républicain, coupé en deux fractions presque égales, opportunistes et radicaux, n'avait plus de majorité. Pour gouverner, on essaya de deux tactiques : l'une consistait à réunir les deux fractions

du parti républicain contre la Droite; c'était la « politique de concentration républicaine », formulée avant même les élections par le ministère Brisson, qui avait remplacé Ferry, et adoptée par les premiers ministères après les élections (Freycinet, janvier 1886; Goblet, déc. 1886). L'autre consistait à faire soutenir les républicains de gouvernement par les conservateurs contre les radicaux; c'était «< la politique d'apaisement », ainsi nommée parce qu'on cessait de faire la guerre aux conservateurs et au clergé : elle fut essayée par le ministère Rouvier (mai 1887) et abandonnée après la démission de Grévy (déc. 1887).

Le ministère de concentration demanda l'expulsion des prétendants; la Chambre l'avait repoussée en 1883; elle la vota en 1886, pour atteindre le comte de Paris, qu'on accusait, aux fêtes du mariage de sa fille, de s'être posé en souverain.

Les ministères, occupés à se maintenir, renoncèrent à toute politique de réformes positives; leur programme se borna à liquider les entreprises coloniales (les crédits du Tonkin ne furent votés qu'à quelques voix de majorité) et à rétablir l'équilibre du budget. La Chambre renversa le ministère Goblet pour n'avoir pas présenté des économies suffisantes (mai 1887).

La crise boulangiste (1887-89). Les radicaux s'étaient alliés contre Ferry aux partisans de la guerre, les patriotes, mécontents des expéditions coloniales qui détournaient la France de la guerre de revanche contre l'Allemagne. Ils poussèrent au ministère le général Boulanger (janvier 1886), qui, devenu ministre de la guerre, se rendit fameux par ses déclarations démocratiques et républicaines. Le parti opportuniste, en revenant au pouvoir (mai 1887), écarta du ministère le général Boulanger; les radicaux le soutinrent. Son nom devint si célèbre qu'il se forma autour de lui un parti personnel; le noyau consistait dans la Ligue des patriotes et un petit groupe de députés radicaux.

Survint le scandale de l'affaire des décorations; on accusait Wilson, gendre de Grévy, de les avoir vendues. Grévy soutint son gendre. La Chambre vota contre le ministère et exigea la retraite du Président de la République. Grévy essaya un ministère radical, mais personne ne voulut former de ministère avec le général Boulanger et n'osa en former un sans lui. Grévy, ne trouvant pas de ministres, se résigna à donner sa démission (déc. 1887). Le parti opportuniste, qui avait la majorité dans le Congrès, grâce au Sénat, désirait élire Ferry Président de la République; le conseil municipal de Paris déclara qu'il ne répondait pas de l'ordre si Ferry était élu. Les

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