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enrichis de l'Inde (surnommés nababs), en se faisant concurrence pour acheter la qualité de membre du Parlement, firent encore hausser les prix.

En 1814 la plupart des sièges de députés n'étaient plus que des propriétés acquises par héritage ou par achat; la Chambre n'était représentative qu'en apparence, c'était une assemblée de seigneurs et de millionnaires indépendants de la masse de la nation. La souveraineté appartenait au roi et à l'aristocratie. Le régime parlementaire anglais n'était pas un gouvernement représentatif, mais un gouvernement oligarchique.

Les Églises. L'organisation de l'Église était très compliquée. Sans compter les sectes, le Royaume-Uni se partageait entre trois églises, chacune dominant dans un des trois pays : l'Église anglicane en Angleterre, l'Église presbytérienne en Écosse, l'Église catholique en Irlande; mais deux seulement étaient officiellement reconnues, l'Église anglicane comme Église d'État de l'Angleterre, l'Église presbytérienne comme Église d'État de l'Écosse; l'Église catholique était légalement interdite et seulement tolérée en fait.

L'Église d'État était seule reconnue, protégée et subventionnée officiellement. Le gouvernement, réconcilié avec les dissidents depuis 1688, leur avait accordé la tolérance, mais par des mesures spéciales à chaque secte et sans abolir les lois qui rendaient l'Église d'État obligatoire. Pour entrer dans toute fonction et dans tout corps public (corporation de bourg, université), il fallait encore faire acte de fidèle de l'Église anglicane, en communiant selon le rite anglican. Les dissidents, en continuant à fréquenter leurs chapelles, commettaient un délit; ils encouraient une peine, il fallait, pour les en affranchir, une loi spéciale, un «< bill d'indemnité », que le ministère faisait voter à nouveau chaque année par la Chambre. Le gouvernement permettait aux dissidents de célébrer leur culte et d'entretenir leurs écoles à leurs frais, mais par tolérance précaire, non en vertu d'un droit.

Le culte catholique ne jouissait même pas de cette tolérance, Z restait interdit légalement; l'obligation de communier suivant le rite anglican et de prêter le serment imposé en 1673 par le bill du Test suffisait pour empêcher tout catholique d'entrer dans une fonction ou une corporation. Georges III avait refusé deux fois à ses ministres d'admettre des catholiques dans les grades d'officiers. L'Église anglicane conservait ses cours d'Église où se jugeaient non seulement les affaires de discipline ecclésiastique, mais les procès laïques en matière de divorce, de légitimité et de testament. 2

HIST. POLITIQUE DE L'EUROPE.

Elle conservait l'état civil, faisait les mariages, enregistrait les naissances et les décès.

Elle conservait tous ses privilèges et ses revenus formés du revenu de ses domaines, d'une subvention de l'État et de la dîme obligatoire levée sur les fidèles, c'est-à-dire sur tous les habitants, même les dissidents et les catholiques, car tout habitant était censé appartenir à l'Église officielle. Elle conservait sa vieille hiérarchie : les archevêques et les évêques, les chapitres de chanoines, les archidiacres, nommés par le gouvernement, les pasteurs (parsons) désignés par le patron qui était ou l'évêque, ou le chapitre ou (le plus souvent) l'héritier du fondateur de la cure. En fait les clergymen étaient d'ordinaire des cadets de famille, qui, avec les revenus de leur charge, continuaient à mener la vie de gentleman, chassant et montant à cheval, exerçant les fonctions de juge de paix, élevant leur famille; beaucoup ne résidaient même pas dans leur paroisse et se faisaient remplacer par un suppléant (curate), ecclésiastique de petite bourgeoisie, qu'ils salariaient avec une faible portion de leur revenu.

L'Église d'Écosse conservait (et conserve encore) sa constitution fédérative garantie par l'acte d'Union de 1707. Chaque paroisse forme un corps gouverné par le pasteur et les anciens laïques; un groupe de paroisses se réunit en un presbytery gouverné par la réunion de tous les pasteurs et d'un ancien par paroisse; la réunion des membres de plusieurs presbytères forme un synode paroissial. Enfin, au sommet de cette hiérarchie, l'Assemblée, composée de délégués de chaque presbytery, de chaque bourg royal et de chaque Université, est le pouvoir suprême dans l'Église d'Écosse. Toutes ces assemblées sont des cours de discipline ayant pouvoir de censurer la foi et la conduite privée des pasteurs et des fidèles; le presbytery qui nomme les pasteurs est le pouvoir pratiquement le plus fort.

L'Église d'Écosse, au XVIIIe siècle, avait gouverné despotiquement la vie privée des fidèles; mais le gouvernement et les tribunaux laïques, en refusant de lui reconnaître un pouvoir de contrainte sur les particuliers, avaient fini par l'enfermer dans les affaires de religion (en attendant le conflit avec l'État qui, en 1843, devait amener la séparation de l'Église libre).

Les revenus provenaient des dimes, d'une subvention d'État et (pour moitié presque) de dotations privées.

L'Église d'Écosse, restée pauvre, payait mal ses membres, mais elle ne connaissait ni l'inégalité énorme entre les revenus des pasteurs, ni la vénalité des charges de l'Église d'Angleterre; le clergé écossais était plus indépendant et plus actif que le clergé anglican.

Constitution de la société. La société anglaise restait, suivant la conception du moyen âge, dominée par la différence entre les riches et les pauvres : ceux qui possédaient avaient tous les droits privés et politiques, ceux qui ne possédaient rien étaient exclus de toute vie publique et même des garanties de liberté privée. C'étaient deux nations superposées, l'une privilégiée, l'autre déshéritée.

Les auteurs qui décrivaient la vie politique anglaise ou qui en faisaient la théorie ne connaissaient que la nation privilégiée; ils croyaient les Anglais tous égaux devant la loi, tous protégés par la loi. Et, en effet, les actes politiques officiels ne distinguaient pas, comme dans les autres pays, les nobles et les non nobles; le bill des droits énumérait les « droits des Anglais » sans différence de classes. Mais, en fait, les usages et quelques lois spéciales, mal connues du public, avaient fini par former au-dessous de la nation légale une classe inférieure, exclue du droit commun.

La constitution interdisait le service militaire obligatoire; mais, en fait, le gouvernement, quand il avait besoin de matelots pour les navires de l'État, les recrutait par force en arrêtant les marins et même des non marins, c'était la presse (qui déjà avait frappé Voltaire). Elle ne se pratiquait que sur les pauvres.

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La constitution n'admettait pas que le travail manuel fit déroger de la condition de citoyen anglais. Mais le Parlement, composé de propriétaires et de patrons, avait fait des lois pour mettre les travailleurs dans la dépendance de ceux qui les employaient. Une loi du XIVe siècle obligeait les journaliers agricoles à accepter du travail de tout propriétaire qui leur offrait le salaire fixé par la loi; un juge de paix suffisait pour emprisonner le récalcitrant les journaliers étaient ainsi liés à la terre.

Une série de lois (du xvr° siècle au XVIIIe) avaient créé la catégorie légale des indigents (poor) et la taxe locale des pauvres (poor tax). Quiconque n'avait pas de moyens d'existence indépendants était entretenu aux frais de la paroisse, et tombait sous l'autorité des << surveillants des pauvres ». Ils avaient le pouvoir de lui imposer toute sorte de travail et, s'il refusait, de l'enfermer dans le workhouse (dépôt de mendicité), et de donner ses enfants en apprentissage où ils voulaient; ce qui, en pratique, signifiait les vendre à des industriels pour les faire travailler dans les fabriques. L'indigent ne pouvait librement changer de domicile, car chaque paroisse avait le droit d'empêcher de s'établir sur son territoire quiconque risquait de tomber à sa charge. Or, comme toute la terre en Angleterre appartenait aux gentilshommes, les paysans anglais n'avaient pas de

moyens réguliers d'existence; la plupart tombèrent donc dans la classe des indigents assistés, le chiffre monta de 1 340 000 en 1811, à 2 500 000 en 1821 et 1 850 000 en 1827.

La constitution reconnaissait la liberté de s'associer. Les artisans des villes avaient eu leurs associations de métier protégées par des règlements qui fixaient un nombre maximum d'apprentis et un minimum de salaire. Mais, quand l'industrie fut transformée par les machines, les chefs d'industrie réunirent des ouvriers nouveaux pris hors des corporations, et fondèrent des usines dans des villages non soumis aux anciens règlements, et même, dans les villes, quand les ouvriers réclamèrent l'application des règlements, les industriels non seulement firent abolir les anciennes restrictions, mais obtinrent du Parlement les lois sur les coalitions (1799-1800) qui interdisaient aux ouvriers, sous peine de plusieurs mois de prison, de se concerter pour faire hausser leurs salaires. Alors ce fut un délit pour les ouvriers de s'associer entre eux, et il suffit d'un juge de paix pour les envoyer en prison.

Ainsi, les matelots, les journaliers agricoles, les indigents, les ouvriers, mis hors du droit commun, livrés à l'arbitraire des recruteurs, des conseils de paroisse, des patrons d'industrie et des juges de paix, formaient une nation inférieure, sans pouvoir politique, sans moyens d'existence assurés, sans garantie de liberté privée.

De cette classe déshéritée sortaient beaucoup de criminels, surtout des voleurs. Pour les effrayer le Parlement avait fait des lois féroces, qui prononçaient la peine de mort pour plus de 200 actes déclarés. crimes; c'était un crime capital de braconner un lapin ou de dérober un objet à un étalage.

La nation légale était elle-même dominée par deux aristocraties rivales celle des propriétaires fonciers alliés aux clergymen, maîtresse de la campagne; celle des capitalistes et grands industriels, maîtresse des villes. Elles détenaient toute la puissance économique.

Il ne restait presque plus de paysans indépendants, petits propriétaires ou tenanciers à bail; toutes les terres avaient fini par se concentrer en grands domaines, appartenant aux grands seigneurs (lords) ou aux gentilshommes (squires). Ils les louaient à des farmers (fermiers) qui les exploitaient au moyen des journaliers (labourers); un village n'était qu'un groupe de chaumières habitées par des journaliers et où le lord ou le squire commandait en maître.

Le blé était encore la principale culture d'Angleterre. Pour le maintenir à un prix avantageux, les propriétaires avaient fait voter les corn-laws (lois sur les grains) qui ne laissaient entrer les grains

étrangers qu'en cas de disette, quand le blé atteignait un prix élevé. On l'avait fixé, en 1791, à 2 livres 1/2 (62 fr.) le quarter; mais pendant les guerres contre la France les prix montèrent si haut au-dessus de ce chiffre qu'on releva le tarif (en 1801) à plus de 3 livres. Après la paix, pour lutter contre la concurrence de l'étranger, on l'éleva encore (à 4 livres). Par ces mesures on fit doubler le revenu des terres, au profit du propriétaire, qui éleva le prix de ses fermages, mais non les salaires des paysans.

Une concentration parallèle se fit dans l'industrie depuis la fin du XVIIIe siècle. L'organisation du travail fut bouleversée par deux changements: 1° les nouvelles machines mues par les chutes d'eau ou par la vapeur et les nouveaux métiers mécaniques firent créer la grande industrie, surtout à proximité des cours d'eau, des mines de houille ou des forêts; 2o les petits patrons qui travaillaient directement pour le client furent remplacés par des entrepreneurs opérant avec des capitaux, qui se mirent à produire en gros pour le marché indéfini de l'exportation. Ainsi se forma la classe nouvelle des grands industriels et des grands négociants qui renforcèrent l'aristocratie des capitalistes. En même temps la grande industrie déplaçait la population de l'Angleterre. Jusqu'au xvIIIe siècle toute la vie, économique ou politique, avait été dans le Sud et l'Est, près de Londres; le Nord et l'Ouest restaient faiblement peuplés et à demi sauvages. Mais la grande industrie attira la population près des mines et des torrents, dans le Nord et l'Ouest, où se fondèrent les grandes agglomérations d'ouvriers. L'Angleterre se partagea en deux régions le Sud et l'Est, restés agricoles et dominés par les propriétaires fonciers, furent les pays conservateurs; le Nord et l'Ouest, devenus industriels, furent les pays d'agitation politique. En Écosse, où l'industrie s'établit surtout le long de la Clyde, Glasgow devint un centre. d'activité rival d'Édimbourg, la capitale.,

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La condition de l'Irlande. L'Irlande était habitée par deux nations d'origine différente: les Irlandais indigènes catholiques, les colons venus d'Angleterre et surtout d'Écosse, anglicans ou presbytériens. Les colons n'occupaient qu'une des quatre provinces, l'Ulster au N.-E. et pas en entier. Les Irlandais formaient la population des rois autres. Mais depuis la conquête du XVII° siècle ils n'étaient plus les maîtres, même dans leur pays. Leur religion était interdite par la loi; le clergé catholique, toléré seulement, n'avait ni pouvoir officiel ni revenus; il vivait des offrandes des fidèles. L'Église anglicane était Église d'État, investie d'un pouvoir officiel, entretenue par les revenus de ses domaines et la dime levée sur des habitants

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