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défaite de Napoléon; les habitants y tenaient peu, elle se présentait à eux sous la forme de la conscription et du blocus continental, la mort et la ruine. Dès que les armées françaises se retirèrent, l'administration française tomba. Le mouvement commença à l'arrivée de l'armée des Alliés à La Haye. Quelques membres de l'ancien gouvernement hollandais s'organisèrent en gouvernement provisoire, rappelèrent l'ancien souverain, Guillaume, et convoquèrent une réunion de notables pour organiser le pays. Le chef du gouvernement provisoire, Hogendorp, proposa de rétablir l'ancien régime, c'est-à-dire la confédération de provinces inégales en droit; le professeur Kemper, bien qu'ennemi des Français, montra que ce régime n'était plus viable, il décida l'assemblée à rompre avec le passé, à accepter l'œuvre de la Révolution et à fonder un nouveau royaume unitaire. Le prince prit le titre de Guillaume Ier, roi des Pays-Bas.

Les provinces belges et l'évêché de Liège, n'ayant pas de dynastie légitime, furent traités comme domaine vacant 1; les Alliés, bien disposés pour la famille d'Orange, les donnèrent au royaume des Pays-Bas pour le rendre plus fort et le « mettre en état de résister à une attaque jusqu'à ce que les puissances pussent arriver à son secours ». Le royaume des Pays-Bas devait servir de barrière contre la France. Les grandes puissances, suivant leur expression, pour maintenir «< un juste équilibre en Europe », tenaient à ce « que la Hollande fût constituée dans des proportions qui la missent à même de soutenir son indépendance par ses propres moyens ».

L'opposition belge. La réunion des Pays-Bas hollandais et belges semblait une combinaison avantageuse à tous. La Belgique pouvait fournir des produits agricoles et industriels, la Hollande avait sa marine et ses colonies, les deux pays se complétaient. La moitié au moins des Belges parlait flamand, c'est-à-dire hollandais.

Le traité de 1814 stipulait protection égale des deux cultes, représentation des Belges aux États-Généraux et disait : « La réunion doit être intime et complète. » Mais l'union se fit dans des conditions qui la rendirent odieuse aux Belges.

Le roi avait promis une constitution, il la fit rédiger par une commission royale opérant en Hollande. La loi fondamentale (c'est son titre officiel) établit une monarchie constitutionnelle à la façon de Louis XVIII et des tories anglais. Le roi partageait le pouvoir législatif avec les Etats-Généraux et exerçait le pouvoir exécutif au

1. Le nouveau royaume rétablit les anciennes provinces, mais en coupant en deux les plus grandes, Hollande et Flandre.

moyen des ministres, il avait le droit de paix et de guerre. Mais les ministres, nommés et révoqués par le roi, n'étaient pas responsables devant les Chambres; les États-Généraux n'avaient qu'une initiative très limitée et aucun droit d'amendement. Des deux chambres qui les composaient, l'une, la Chambre haute, était choisie par le roi; l'autre, la deuxième Chambre, la seule qui fût élective, était élue par les conseils provinciaux, c'est-à-dire par un suffrage censitaire à trois degrés. On conservait l'administration française, gouverneurs des provinces et bourgmestres des communes nommés par le roi; on conservait les codes français et le système français des justices superposées; mais on supprimait le jury. On posait en principe les libertés de la personne, du domicile et de la presse, mais en établissant le timbre des journaux et laissant au gouvernement la faculté de suspendre toutes les libertés.

Cette constitution mécontentait les libéraux belges élevés à l'école de Benjamin Constant. Ils lui reprochaient de créer une représentation illusoire, soumise au pouvoir personnel du roi et des libertés apparentes, laissées à la merci de l'administration.

La Constitution posait le principe de la liberté des religions et de la presse et par là elle déplaisait aux catholiques belges. Les évêques de Belgique la condamnèrent officiellement dans le jugement doctrinal (1815) qui interdisait aux fidèles de jurer la Constitution. « Nous avons jugé nécessaire de déclarer qu'aucun de nos diocésains ne peut, sans se rendre coupable d'un grand crime, prêter les différents serments prescrits par la Constitution. » Parmi les articles « opposés à l'esprit et aux maximes de la religion catholique », le jugement cite la liberté des opinions religieuses, l'égalité des droits civils et politiques, l'exercice public de tout culte, la liberté de la presse. « Jurer de maintenir la liberté des opinions religieuses et la protection égale accordée à tous les cultes, qu'est-ce autre chose que de jurer de maintenir et de protéger l'erreur comme la vérité, de favoriser le progrès des doctrines anticatholiques, de semer autant qu'il est en son pouvoir dans le champ du père de famille l'ivraie et le poison qui doivent infecter les générations présentes et futures?... L'Église catholique, qui a toujours repoussé de son sein l'erreur et l'hérésie, ne pourrait regarder comme ses vrais enfants ceux qui oseraient jurer de maintenir ce qu'elle n'a jamais cessé de condamner. Cette dangereuse nouveauté n'a été introduite pour la première fois dans un pays catholique que par les révolutionnaires de France, il y

1. Il n'a pas encore été rétabli dans le royaume des Pays-Bas.

a environ vingt-cinq ans, et alors le chef de l'Église la condamna hautement. - Jurer de maintenir l'observation d'une loi qui rend tous les sujets du roi, de quelque croyance religieuse qu'ils soient, habiles à posséder toutes les dignités et emplois, ce serait justifier d'avance les mesures prises pour confier les intérêts de notre sainte religion dans les provinces catholiques à des fonctionnaires protestants.... » Les évêques signalent aussi l'article « qui autorise la liberté de la presse et ouvre la porte à une infinité de désordres, à un déluge d'écrits antichrétiens ». L'archevêque de Malines, auteur du jugement doctrinal, fut déféré aux tribunaux et condamné à la déportation par contumace. Mais le clergé belge refusa l'absolution aux notables qui avaient prêté le serment.

Cette constitution, mal vue des libéraux et des catholiques, fut établie d'une façon blessante pour tous les Belges. Le roi convoqua une assemblée de notables belges (environ 1600) pour l'approuver; elle se prononça contre la Constitution à une forte majorité (796 contre 527). Le gouvernement alors déclara que ceux qui l'avaient rejetée pour des raisons religieuses (126 catholiques belges) devaient être défalqués, et ajouta les abstentions (280) au chiffre des voix favorables. Ainsi fut déclarée adoptée la loi fondamentale du royaume des Pays-Bas.

Le gouvernement se rendit plus impopulaire encore que la Constitution auprès des Belges. Le siège du pouvoir était en Hollande; presque tous les membres du gouvernement, presque tous les fonctionnaires furent hollandais. En 1830 il y avait un ministre belge (sur 7), 11 fonctionnaires belges de l'intérieur (sur 117), 288 officiers belges sur 1967. Aux États-Généraux les Belges, pour une population de 3 millions et demi, les Hollandais pour une population de 2 millions et demi, avaient exactement le même chiffre de députés; il suffisait au gouvernement de détacher quelques députés belges pour avoir une majorité hollandaise. Tous les établissements publics, la Banque, les écoles militaires, étaient en Hollande. Les Hollandais apportaient au nouveau royaume une dette antérieure très lourde, qui augmentait les charges fiscales des Belges. Ils introduisirent leur système d'impôts, sur la farine (la mouture), sur la viande (l'abatage), impopulaires en Belgique. Les Belges eurent le sentiment d'être traités en peuple annexé et exploités par les Hollandais.

Le gouvernement semblait travailler à assimiler les Belges en les obligeant à changer leur langue. Depuis 1819 la connaissance du hollandais fut exigée de quiconque entrait dans un emploi public; en 1822, le hollandais devint obligatoire, excepté en pays wallon,

dans tous les actes officiels et judiciaires, or la langue du barreau, même en pays flamand, était le français. Par cette mesure le gouvernement s'aliénait les avocats. Il se rendit odieux aux journalistes en les poursuivant devant des tribunaux d'exception. Il acheva d'irriter le clergé en créant le Collège philosophique de Louvain (1825), où il obligeait les futurs ecclésiastiques à faire deux ans d'études. Le royaume des Pays-Bas ne réalisait pas ce qu'avait annoncé le traité de 1814: « la réunion intime et complète ».

La Révolution de 1830. — Les Belges étaient mécontents, mais n'avaient aucun moyen pratique de se délivrer de la domination hollandaise. Le roi leur était hostile, et le roi c'était le gouvernement. Aux États-Généraux les Hollandais ayant la moitié des voix disposaient de la majorité, grâce aux députés orangistes d'Anvers et de Gand. Les Belges n'étaient même pas unis entre eux, ils se divisaient en catholiques partisans de la tradition, et libéraux élèves de la Révolution française. Il sembla en 1827 que les catholiques, satisfaits du concordat conclu entre le roi et le Pape, allaient se rallier au gouvernement.

Mais, dans le parti catholique, quelques-uns des chefs politiques venaient d'adopter une nouvelle doctrine, inspirée surtout par la lecture de Lamennais. Au lieu de rejeter la liberté condamnée par le jugement doctrinal des évêques en 1815, ils la réclamaient comme favorable au triomphe de la vérité catholique. Ces catholiques libéraux ne furent peut-être pas très nombreux, mais ils prirent la direction du parti et décidèrent l'action commune avec les libéraux. En 1828 les deux partis belges, catholique et libéral, formèrent l'Union contre l'ennemi commun, le gouvernement hollandais. Ils commencèrent par des pétitions au roi pour réclamer les libertés garanties par la Constitution. Puis ils demandèrent pour la Belgique une administration séparée. Le conflit aboutit à un soulèvement. Ce fut la Révolution française de juillet 1830 qui donna aux Belges l'idée de la révolte. Aux fêtes pour l'anniversaire du roi (25 août 1830) on jouait à Bruxelles La Muette. L'opéra, avec ses appels à la liberté, excita les spectateurs, ils crièrent : «Faisons comme les Français! »> La foule se jeta sur les bureaux de la police et du journal ministériel. Ce n'était encore qu'une émeute bruxelloise; mais les bourgeois hissèrent le drapeau brabançon et ce fut une révolte du Brabant. Le prince Frédéric, fils aîné du roi, vint à Bruxelles avec des troupes et s'entendit avec les notables. On convint de demander au roi de convoquer les États-Généraux, pour leur poser la question de la séparation des deux pays avec l'union personnelle. Les États

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furent convoqués, et le roi parla contre la séparation. A Bruxelles, le 23 septembre, l'armée du prince Frédéric (10 000 hommes) occupa la Ville haute et attaqua la Ville basse. Mais elle la trouva barricadée et gardée par les bourgeois en armes, et après trois jours de combat fut repoussée (24-27 sept.). Les insurgés avaient formé une commission administrative pour diriger la résistance; elle se transforma en un gouvernement provisoire et lança un décret pour rappeler les Belges, soldats dans l'armée hollandaise. « Le sang belge a coulé..., cette effusion d'un sang généreux a rompu tout lien. Les Belges sont déliés. » Le 29 septembre, les États-Généraux se prononcèrent pour la séparation par 50 voix contre 44; il était trop tard.

Toutes les provinces belges s'insurgèrent, il ne resta aux Hollandais que les places fortes de Maestricht et d'Anvers. Le gouvernement provisoire de Bruxelles décréta (4 oct.): « Les provinces de la Belgique, violemment détachées de la Hollande, constitueront un État indépendant. » Il promit de rédiger « un projet de constitution belge» et de convoquer « un congrès national » pour décider la «< constitution définitive exécutoire dans toute la Belgique ». Le roi Guillaume essaya d'empêcher la rupture, il envoya son fils à Anvers promettre une administration belge, composée de Belges. Le prince déclara même : « Belges, je vous reconnais comme nation indépendante, choisissez librement des députés pour le Congrès national. » Le gouvernement provisoire répondit : « C'est le peuple qui a chassé les Hollandais du sol de la Belgique; lui seul, non le prince d'Orange, est à la tête du mouvement qui lui a assuré son indépendance et établira sa nationalité. »

Fondation du royaume de Belgique. - Le Congrès chargé d'organiser la Belgique fut élu par les électeurs âgés de vingt-cinq ans et payant un cens, qui varia suivant les lieux de 13 à 150 florins, ou exerçant une profession libérale (44000 en tout).

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Il y avait quatre partis les monarchistes orangistes, partisans du prince d'Orange (Gand et Anvers), les républicains dont le chef, Potter, venait de mener la révolution, à la France (Hainaut et pays de Liège) monarchie nationale, de beaucoup les plus nombreux.

les partisans de l'annexion et les partisans d'une

Le Congrès vota d'abord quatre principes: 1o Le peuple belge est indépendant (à l'unanimité, 188 voix). 2o Le peuple belge adopte pour forme de son gouvernement la monarchie représentative sous un chef héréditaire (174 voix, contre 13 républicains). « Ce n'était pas la peine, dit Potter, de verser tant de sang pour si peu de chose. »

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