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recruter, il se tient en dehors des associations populaires et perd peu à peu l'influence sur la masse des électeurs. Le parti radical est dirigé par une association générale (National Verein), il se renforce des jeunes gens des nouvelles générations, il continue à agiter pour la revision.

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2o Les réactions qui ont suivi en Europe les mouvements de 1830 ont rempli la Suisse de réfugiés politiques, que les gouvernements monarchiques accusent de conspirer. Des réfugiés polonais ont fait une expédition armée contre Neuchâtel (1833), une expédition contre la Savoie (1834). Les disciples de Mazzini ont fondé dans la Suisse romande une section de la Jeune Europe, la Jeune Suisse. - Des réfugiés allemands, dans une auberge des environs de Berne, ont déployé l'étendard de l'Empire et chanté des chansons patriotiques (1834). L'Autriche et la Bavière réclament leur extradition, Berne la refuse, elles rompent les relations diplomatiques. Le gouvernement français réclame l'extradition de Conseil, qu'on prétend complice de l'attentat de Fieschi contre Louis-Philippe; la police de Berne déclare que Conseil est un agent provocateur, le gouvernement français répond par le blocus hermétique (il ne laisse franchir la frontière française à personne venant de Suisse) et il force la Diète à faire des excuses (1836). En 1838, le gouvernement français réclame l'expulsion du prince Louis-Napoléon. - Dans ces conflits les radicaux soutiennent les réfugiés au nom de l'indépendance de la Suisse et des principes démocratiques; les libéraux appuient les réclamations des gouvernements monarchiques et, unis aux conservateurs, font créer par la Diète, comme en 1823, une police centrale pour surveiller les réfugiés.

3o Il s'est fait une transformation dans les cantons catholiques. Un parti catholique s'est formé, qui fait passer la question de religion avant les questions politiques; il s'appuie, non sur les conservateurs aristocrates, mais sur les paysans, et se présente comme un parti démocrate. Il travaille, avec l'aide des électeurs des campagnes, à enlever le gouvernement aux libéraux.

Les conflits locaux (1837-45). -- Les conflits commencent à propos de l'organisation ecclésiastique. La Suisse allemande, jusqu'à 1815, avait fait partie du diocèse de Constance. Les gouvernements suisses, ne voulant pas être soumis à un évêque étranger, obtinrent, après de longues négociations, la création de six évêchés suisses directement soumis au Pape. Quelques gouvernements libéraux s'entendirent(1833) pour rédiger les « articles de Baden » (1834), qui réglaient les relations entre l'Église et l'État de façon à établir la souveraineté

du gouvernement laïque. Le pape les condamna comme contraires à la constitution de l'Église. Il y eut quelques émeutes des populations catholiques contre les ordres des gouvernements protestants, en Argovie, à Saint-Gall, dans le Jura bernois.

Dans plusieurs cantons les conflits allèrent jusqu'à la bataille. On se battit à Schwytz (1838) à propos de la jouissance des pâturages communaux (Allmende); les propriétaires de gros bétail, surnommés Hornen (cornes), vinrent armés de gourdins à l'Assemblée générale; leurs adversaires les propriétaires de petit bétail, surnommés Klauen (pieds fourchus), n'étaient pas armés; on vota, le vote fut douteux, les Hornen dispersèrent à coups de bâtons les Klauen. - On se battit à coups de fusil dans le Tessin (1839) et les radicaux l'emportèrent. Dans le Valais les radicaux, qui depuis longtemps réclamaient l'égalité de représentation pour le Bas-Valais, obtinrent la revision (1838), la Diète les soutint et fit élire au vote par têtes un Conseil qui rédigea une constitution. Le Haut-Valais, pour conserver ses privilèges, voulait se séparer, la Diète refusa. La nouvelle constitution fut soumise au vote du peuple, le Bas-Valais l'accepta par 8000 voix, le Haut-Valais vota contre et prétendit avoir réuni 10 770 voix; la fraude était évidente; les radicaux du Bas-Valais prirent les armes, entrèrent dans le Haut-Valais et le forcèrent à accepter la constitution (1840).

De toutes ces petites guerres la plus caractéristique est « l'échauffourée de Zurich » de 1839. A l'Université de Zurich (fondée en 1833), le gouvernement radical avait appelé un professeur allemand, le célèbre rationaliste Strauss, l'auteur de la Vie de Jésus. Les pasteurs irrités organisèrent un Comité de la foi qui demanda la révocation de Strauss; le gouvernement mit Strauss à la retraite, mais déclara ne pouvoir tolérer que le Comité de la foi organisât des assemblées communales. Le Comité protesta et tint une grande assemblée de 15 000 personnes, qui décida d'envoyer une pétition. Le 6 septembre 1839 de grand matin, 4 à 5000 hommes, réunis par les pasteurs à Pfäffikon, au bord du lac, marchent sur Zurich; en tête, 500 environ porteurs de fusils, les autres armés de faux et de fléaux et chantant des cantiques. Zurich était cette année-là comme Vorort le siège du Directoire fédéral. Pour défendre ce gouvernement il n'y avait dans la ville que 190 fantassins et 30 cavaliers. Une décharge suffit pour arrêter les insurgés, mais aussitôt on fit retirer les troupes dans la caserne, les bourgeois chargés de garder les arsenaux les livrèrent et les membres du Conseil donnèrent leur démission. Les insurgés, maîtres de Zurich, établirent un Conseil provisoire qui se

trouva investi du Directoire fédéral. Ainsi une petite insurrection cantonale avait suffi pour changer le directoire de la Confédération. Au milieu de ces conflits, les partis intermédiaires, conservateurs et libéraux, perdaient peu à peu le gouvernement des cantons; le pouvoir passait aux deux partis extrêmes. Dans les cantons protestants, les radicaux prenaient la place des bourgeois des anciennes familles. Dans les cantons catholiques, le parti démocrate catholique renversait les gouvernements partisans de la souveraineté du pouvoir laïque. Les Jésuites dirigeaient le mouvement et en profitaient pour fonder des collèges (1836 à Schwytz, 1837 à Fribourg, 1844 à Lucerne). Le parti conquit Fribourg en 1837, Lucerne en 1841. - Par 17555 voix contre 1679 le peuple de Lucerne vota la Constitution démocratique catholique qui établissait l'égalité de représentation entre la ville et la campagne, abolissait les «<articles de Baden >> et supprimait toute surveillance laïque sur les écoles; le nouveau gouvernement soumit cette Constitution à l'approbation du pape. — En Valais, après un combat sanglant, les catholiques vainqueurs établissaient une constitution qui interdisait de célébrer publiquement tout culte autre que le catholique (1844).

Le

Les forces politiques se groupaient peu à peu, sans distinction de cantons, en deux partis, les catholiques et leurs adversaires. gouvernement protestant d'Argovie, après une émeute catholique contre la revision, supprimait les huit couvents du canton en 1841; les catholiques faisaient annuler le décret par la Diète comme contraire à la Constitution fédérale; Argovie accepta un compromis en 1843 (il rétablit les couvents de femmes), mais en 1844 il demanda à la Diète l'expulsion des Jésuites. Contre le gouvernement catholique de Lucerne se formèrent des bataillons de volontaires qui s'armèrent dans les arsenaux fédéraux; l'avocat Ochsenbein qui les commandait devint plus tard le chef d'état-major fédéral. Deux fois ils marchèrent sur Lucerne et furent vaincus (1844-1845). Le gouvernement de Lucerne condamna ses sujets prisonniers à la réclusion comme criminels de droit commun.

Le Sonderbund et la guerre civile (1845-47). La Suisse était coupée en deux partis extrêmes prêts à la guerre. Le parti 1. A Genève, le chef du parti radical, Fazy, ne parvint à enlever le gouvernement au patriciat de la ville qu'en faisant coaliser les radicaux de Saint-Gervais (le faubourg populaire) avec les catholiques des communes nouvelles de la campagne, annexées en 1815. Il fallut une émeute en 1841 pour obtenir une assemblée constituante qui fit la constitution démocratique de 1842; une révolution en 1846 pour expulser des conseils les chefs du patriciat et faire la constitution de 1847.

catholique donna une forme officielle à la scission en formant une <«< Ligue séparée » (Sonderbund) entre les sept cantons catholiques, Uri, Schwytz, Unterwalden, Zug, Lucerne, Fribourg, Valais (1845). Les sept cantons s'engageaient, « au cas où l'un ou plusieurs d'entre eux seraient attaqués, à repousser l'attaque en commun »; il s'agissait de « défendre leurs droits de souveraineté et territoriaux ». C'était donc une ligue défensive, conclue sur le modèle « des anciennes alliances ». On créait un Conseil de guerre de sept délégués, un par canton, «< chargé de la direction supérieure de la guerre », qui devait prendre les mesures nécessaires pour défendre les cantons ». Chaque canton contribuait aux dépenses suivant la matricule fédérale.

Le parti radical demanda à la Diète l'expulsion des Jésuites et la dissolution du Sonderbund. C'était la guerre. Plusieurs cantons hésitaient; pour obtenir la majorité à la Diète, les radicaux travaillèrent à renverser les gouvernements cantonaux qui voulaient rester neutres. Ils firent de l'expulsion des Jésuites la question dominante de la politique suisse et, en profitant de l'impopularité des Jésuites pour compromettre les gouvernements soupçonnés de les soutenir, ils obtinrent la revision et le pouvoir en Vaud (1845), Berne, Genève (1846), Saint-Gall (1847). Avec Saint-Gall ils acquéraient dans la Diète une majorité pour la guerre (12 voix et 2 demi-voix). La Diète déclara le Sonderbund dissous, puis invita les cantons à éloigner les Jésuites. Les cantons du Sonderbund décidèrent de résister, puis retirèrent leurs députés de la Diète.

La Diète donna la direction de la guerre au général Dufour, un conservateur; en novembre elle eut 100 000 hommes et 172 canons. Les cantons du Sonderbund n'avaient que 30 000 hommes et 74 canons. Mais ils comptaient sur l'impuissance de la Diète, sur la facilité de se défendre dans leurs montagnes et sur le secours des gouvernements de l'Europe. Les quatre grandes puissances continentales (Autriche, Prusse, Russie, France) promettaient d'intervenir pour maintenir le Pacte de 1815 et la souveraineté des cantons placés sous leur garantie. Le Conseil de guerre du Sonderbund avait reçu de l'Autriche 400 000 florins et 3000 fusils et des canons de Louis-Philippe. La Diète, prévenue secrètement par le gouvernement anglais que les grandes puissances allaient intervenir, ordonna de mener rapidement les opérations. Dufour, avec toutes ses forces réunies, marcha sur Fribourg qui se rendit sans combat (14 nov.), puis sur Zug, puis sur Lucerne; l'armée du Sonderbund se débanda, Lucerne fut prise (24 nov.). Les cantons forestiers n'eurent plus qu'à capituler. Alors on s'occupa de soumettre le Valais. La campagne n'avait

duré que trois semaines. L'offre de médiation des puissances européennes arriva quand tout était fini; la Diète répondit que l'intervention n'avait plus d'objet.

La guerre du Sonderbund avait été une guerre de principes entre le parti laïque centralisateur et le parti confessionnel cantonal. A mesure que l'armée fédérale occupait un canton, elle expulsait les Jésuites et les autres religieux; puis elle obligeait la population à établir un nouveau gouvernement formé de radicaux, qui déclarait se retirer du Sonderbund et faisait reviser la Constitution du canton. A Fribourg, le nouveau Conseil, pris dans la minorité radicale, fit la revision et gouverna le canton, contrairement au principe démocratique, sans demander aucun vote au peuple, qu'on savait hostile à la révolution.

Le parti radical, en battant le parti catholique, était devenu maître de la Suisse et il l'est resté.

La Constitution fédérale de 1848. Le parti radical vainqueur réorganisa la Suisse d'après ses principes. La Diète chargea une commission de rédiger une constitution nouvelle. Ce fut la Constitution de 1848. A la place de la fédération d'États (Staatenbund) créée par l'acte de 1815, elle établit un État fédératif (Bundesstaat). Elle conserve encore la formule : « Les peuples des 22 cantons souverains forment la Confédération suisse », et même elle copie dans la Constitution des États-Unis, la phrase: « Les cantons sont souverains et exercent tous les droits qui ne sont pas conférés au pouvoir fédéral. » Mais elle ordonne aux cantons de « demander à la Confédération la garantie de leurs constitutions » et règle les conditions auxquelles ils doivent se soumettre :

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1° « Que ces constitutions ne renferment rien de contraire aux dispositions de la Constitution fédérale.

2o « Qu'elles assurent l'exercice des droits politiques d'après des formes républicaines (représentatives ou démocratiques).

3° « Qu'elles aient été acceptées par le peuple et qu'elles puissent être revisées lorsque la majorité absolue des citoyens le demande. >> Toute alliance politique est interdite entre les cantons.

Ainsi il y a des principes et des formes politiques obligatoires pour tous les Suisses, il y a un droit public fédéral supérieur qui donne à la Suisse l'unité de constitution politique. Ce droit est conforme à la doctrine radicale; il n'admet que des républiques (Neuchâtel se déclare indépendant du roi de Prusse), des républiques démocratiques avec suffrage universel, des républiques plébiscitaires où toute constitution doit être soumise au vote du peuple et

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