Page images
PDF
EPUB

1

La défaite de Napoléon fit écrouler toute l'organisation territoriale de l'Europe. En 1813, la Prusse et l'Autriche se détachèrent de Napoléon et s'unirent à ses ennemis; ainsi se forma le concert des quatre grandes puissances officiellement appelées les Alliés (Angleterre, Russie, Autriche et Prusse), qui prirent la direction de la guerre et rallièrent à la coalition les États allemands et les souverains dépossédés d'Italie. Les Alliés concentrèrent méthodiquement leurs forces contre l'armée de Napoléon en Saxe; la bataille de Leipzig leur donna d'un coup toute l'Allemagne; ils offrirent alors à Napoléon la France avec son territoire de 1800 (Francfort, nov. 1813). Puis leurs trois armées envahirent la France et ils n'offrirent plus à Napoléon que le territoire de 1790 (Châtillon, février 1814). Enfin ils prirent Paris et décidèrent de détrôner Napoléon (mars 1814).

Tous les territoires annexés à la France depuis 1790 et tous ceux des États organisés par Napoléon se trouvent alors sans souverain; les Alliés, devenus maîtres de l'Europe, se chargent de régler leur sort. Avant de quitter la France, ils décident d'ouvrir à Vienne un congrès général de plénipotentiaires de « toutes les puissances qui ont pris part à la guerre d'un ou d'autre côté »; c'était y inviter tous les États de l'Europe. Mais, par un article secret, les Alliés se réservent de fixer les bases sur lesquelles seront réglées « les dispositions sur les pays abandonnés par la France et les rapports desquels doit résulter un système d'équilibre durable » et ils tracent le plan du partage; il ne restera plus au Congrès qu'à faire le règlement << sur les bases arrêtées par les puissances entre elles »; c'està-dire à enregistrer les décisions des Alliés (traité du 30 mai 1814).

Le Congrès de Vienne. - Tous les États de l'Europe avaient pris part à la guerre, ils envoyèrent tous des plénipotentiaires à Vienne, il y en eut 90 des princes souverains, 53 des princes médiatisés. Une réunion si nombreuse de diplomates, après une si longue période de guerres et sous l'impression de la victoire des monarchies légitimes sur la France révolutionnaire, donna à la ville de Vienne une animation exceptionnelle; le gouvernement autrichien avait créé une commission de la cour chargée de rendre le séjour agréable à ses hôtes; le temps se passa en réceptions, en soirées mondaines, en fêtes.

Les opérations devaient se faire en réunion générale, les Alliés avaient annoncé le Congrès dans deux mois à partir du 30 mai, puis l'avaient convoqué pour le 1er octobre, puis ils fixèrent officiellement au 1er novembre « l'ouverture formelle du Congrès »; on devait commencera par rlemise et la vérification des pouvoirs des pléni

potentiaires. En fait l'opération n'eut pas lieu, le Congrès ne fut iamais ouvert. Il n'y eut pas de Congrès; il n'y eut que des commissions partielles de plénipotentiaires qui signèrent des traités particuliers entre les États; puis tous ces traités furent réunis en un instrument unique qu'on appela l'acte final du Congrès de Vienne (9 juin 1815).

Ce furent les grandes puissances qui réglèrent seules l'organisation de l'Europe et imposèrent leurs décisions aux autres États. Les quatre Alliés avaient, dès le 30 mai, posé les principes du règlement. Les territoires à distribuer étaient les pays repris sur la France et sur les États créés par Napoléon; Belgique, Hollande, rive gauche du Rhin, Italie, Allemagne, grand-duché de Varsovie. Les Alliés étaient unanimes sur la destination de certains territoires, et en désaccord sur quelques autres. Ils réglèrent, le 30 mai, les questions non contestées l'Italie, la Belgique, la rive gauche du Rhin; ils réservèrent les autres, Allemagne et Pologne, pour les régler à Vienne.

A Vienne, les plénipotentiaires des quatre puissances décidèrent de s'entendre d'abord entre eux sur les questions réservées, mais de faire la politesse à ceux de la France et de l'Espagne de les inviter à assister aux conférences. Voici, d'après le récit du plénipotentiaire français Talleyrand, comment se passa la première conférence (30 sept.). L'Anglais dit à Talleyrand: « Le but de la réunion est de vous donner connaissance de ce qu'ont fait les quatre cours depuis que nous sommes ici ». On lui communiqua le procès-verbal, les quatre puissances s'y donnaient le nom d'allies. Talleyrand protesta contre une expression qui mettait la France en dehors du concert des grandes puissances européennes. « Où donc sommesnous? A Laon ou à Chaumont? Avons-nous la paix ou la guerre? » Puis il prit le procès-verbal : « Je lus plusieurs paragraphes et je dis: « Je ne comprends pas ». Je les relus posément une deuxième fois de l'air d'un homme qui cherche à pénétrer le sens d'une chose et dis que je ne comprenais pas davantage. « Il y a pour moi deux dates entre lesquelles il n'y a rien le 30 mai, où la formation du Congrès a été stipulée; le 1er octobre, où il doit se réunir. »

Talleyrand demanda donc l'ouverture du Congrès suivant la promesse des Alliés et la formation d'une commission pour préparer les questions que le Congrès seul avait le pouvoir de décider. Sa politique était de grouper les petits États autour de la France pour résister aux Alliés. — Il obtint en effet la déclaration que l'ouverture du Congrès serait faite au 1er novembre et fit ajouter « conformément aux principes du droit public »; sa tactique était d'invoquer le « droit

[ocr errors]

public » et la légitimité, c'est-à-dire le droit des souverains légitimes, pour empêcher les Alliés de remanier les territoires conquis : « Le roi, dit-il, est résolu à ne point reconnaître que la conquête seule donne la souveraineté ». En conséquence il prenait sous sa protection le roi légitime de Saxe et refusait de reconnaître roi de Naples l'usurpateur Murat, qui avait détrôné le roi légitime. Il obtint aussi qu'on créât une commission préparatoire formée des représentants des quatre Alliés et de ceux des quatre autres États qui avaient signé le traité de Paris: France, Espagne, Portugal, Suède. Ce ne furent guère d'ailleurs que deux concessions de forme le Congrès ne s'ouvrit pas et les décisions furent prises seulement par les Alliés. Les règlements de territoires. L'Angleterre garda ses conquêtes, Malte, les îles Ioniennes, Heligoland et, hors d'Europe, le Cap, Ceylan et l'île de France. - L'Autriche reprit les provinces illyriennes et les pays cédés à la Bavière; on indemnisa la Bavière avec le Palatinat sur la rive gauche du Rhin. Ainsi l'Angleterre et l'Autriche furent satisfaites sans contestation. Le règlement des Pays-Bas et de l'Italie se fit sans discussion. La Belgique fut réunie à la Hollande pour former le royaume des Pays-Bas qui fut donné au prince d'Orange. En Italie, l'Autriche ajouta au Milanais la Vénétie et la Valteline; le roi de Sardaigne reçut l'ancienne république de Gênes; les autres anciens États furent rétablis.

Mais, sur les questions réservées, la Pologne et l'Allemagne, les Alliés se divisèrent. Le tsar voulait garder tout l'ancien grand-duché de Varsovie, c'était toute la part de la Prusse dans les partages de la Pologne en 1793 et 1795. La Prusse ne tenait pas à reprendre sa part de Pologne, elle préférait s'indemniser en annexant le royaume de Saxe; on pouvait le considérer comme territoire vacant, car il avait été conquis sur le roi de Saxe, allié de Napoléon, qui n'avait pas eu le temps, comme les autres princes allemands, de signer un traité avec les Alliés pour garantir ses États. Le tsar acceptait cette solution, il ne pardonnait pas au roi de Saxe d'avoir accepté de Napoléon le grand-duché de Varsovie et d'avoir « trahi la cause de l'Europe ». La Prusse et la Russie, opérant d'accord, proposèrent donc d'annexer la Saxe et d'indemniser le roi avec des territoires vacants en Allemagne. Mais l'Angleterre et surtout l'Autriche ne voulaient pas laisser le tsar s'établir si avant en Europe et la Prusse si complètement en Allemagne; elles s'opposèrent à l'annexion de la Saxe. Talleyrand, sous prétexte de soutenir le roi légitime de Saxe contre les prétentions « révolutionnaires » de la Prusse, profita du désaccord entre les Alliés pour conclure une alliance défensive

entre l'Angleterre, l'Autriche et la France. Il écrivit au roi : « Maintenant la coalition est dissoute et pour toujours » (janv. 1815). En fait, son intervention servit seulement à mettre l'armée prussienne sur la frontière française. Les plénipotentiaires prussiens auraient préféré éviter le contact immédiat entre la France et la Prusse, ils proposaient de former, avec la rive gauche du Rhin, un État pour le roi de Saxe; c'eût été un État catholique sous un souverain allié naturel de la France. Le tsar acceptait. Les deux autres Alliés refusèrent et Talleyrand les aida à faire rejeter une combinaison si évidemment avantageuse à la France. On finit par créer une Commission de statistique qui découpa quatre morceaux pour en faire l'indemnité de la Prusse; on lui devait 3 400 000 âmes, on lui donna 1o une province de Pologne, la Posnanie (810 000 âmes), 2o la rive gauche du Rhin (1 044 000), 3° la Westphalie (829 000), 4o un lambeau du royaume de Saxe (782 000). Le tsar garda le reste de la Pologne et promit d'en faire un royaume avec une constitution.

Les autres échanges de territoires se réglèrent par des traités particuliers; la Suède céda la Poméranie à la Prusse qui céda le Lauenbourg au Danemark, en échange de la Norvège.

Avant la fin des règlements on apprit le retour de Napoléon. Les plénipotentiaires s'entendirent pour déclarer au nom de l'Europe que « Napoléon Bonaparte s'est placé hors des relations civiles et sociales, et, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'est livré à la vindicte publique »; ils promettaient de secourir contre lui le roi de France ou tout autre gouvernement attaqué (13 mars 1815). Puis ils se hâtèrent de préparer « l'acte final du Congrès ». Il fut signé par les huit États qui avaient formé la « commission préparatoire » et les autres furent « invités à adhérer ». On y inséra une convention sur la libre navigation des fleuves et la garantie de neutralité des Pays-Bas et de la Suisse.

Après Waterloo les Alliés tinrent de nouveau des conférences secrètes pour décider les garanties à prendre contre la France; ils furent tous d'accord pour exiger l'occupation, une indemnité en argent et des cessions de territoires. Mais sur l'étendue de ces cessions ils se divisèrent. Les deux États allemands, Prusse et Autriche, plus directement menacés, demandaient l'Alsace et même la Lorraine et la Flandre. L'Angleterre et le tsar n'admirent que la restitution de la Savoie au roi de Sardaigne et des rectifications de frontières qui enlevèrent à la France quelques places fortes. L'Autriche accepta, le roi de Prusse, resté seul, menaça puis céda. Les Alliés s'entendirent alors sur l'ultimatum à imposer à la France (20 septembre);

avec quelques adoucissements obtenus par la France il devint le traité de Paris.

En même temps les Alliés conclurent une ligue permanente « pour la sûreté de leurs États et la tranquillité générale de l'Europe », s'engageant à se concerter si les principes révolutionnaires venaient encore à « déchirer la France et menacer le repos des autres États » (20 novembre 1815).

L'Europe après les règlements de 1815. Les règlements de Vienne avaient été opérés d'après les principes des diplomates du XVIII° siècle, l'équilibre européen et le système des indemnités. La France, regardée comme trop puissante, était ramenée au territoire antérieur à ses conquêtes, de façon à rétablir l'équilibre. Les autres grandes puissances ne devaient recevoir que des indemnités, en échange de territoires cédés à d'autres États. Mais deux grandes puissances conservèrent leurs conquêtes : l'Angleterre garda Malle et les îles Ioniennes; la Russie garda la Bessarabie, la Finlande, la Pologne. Pour toutes deux les guerres contre la France se soldaient par un accroissement net de territoire aux dépens des États supprimés (Venise et Malte) ou des anciens alliés de la France (Suède, Turquie, Pologne). L'Autriche et la Prusse recevaient seulement des indemnités, mais calculées sur le moment de leur plus grande étendue territoriale, après le dernier partage de Pologne. L'Autriche s'indemnisait avec le territoire de Venise pour la Belgique, avec le Salzbourg pour ses anciens domaines en Souabe. La Prusse remplaçait les pays polonais, si difficiles à assimiler, par trois provinces allemandes, Westphalie, Saxe, province du Rhin; en échange du Lauenbourg elle acquérait la Poméranie. Toutes deux se retrouvaient donc avec un territoire, sinon plus considérable, du moins mieux composé qu'en 1795. Les princes allemands gardaient les pays sécularisés ou médiatisés au temps de Napoléon. Il y avait des gains nets de territoires pour les petits États favoris des Alliés, pour le prince d'Orange la Belgique, pour le roi de Sardaigne Gênes, pour la Suisse le Jura bernois et un fragment de la Savoie.

Ces accroissements se faisaient aux dépens des petits États sans dynastie, républiques de Gênes et Venise, domaines d'église, villes libres d'Allemagne, et des deux alliés de Napoléon, Saxe et Danemark. Tous les États ecclésiastiques d'Europe disparaissaient, excepté celui du Pape. Le Congrès avait refusé de rendre leurs domaines aux autres princes de l'église; le Saint-Siège protesta contre les décisions. des diplomates laïques de Vienne, comme autrefois il avait condamné celles du Congrès de Westphalie.

« PreviousContinue »