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Le nouveau ministre de l'intérieur Schmerling (déc. 1860) venait de promettre aux autres pays de la monarchie des Landtags élus par une élection directe, avec des séances publiques et le droit de présenter des lois, c'est-à-dire un gouvernement constitutionnel pour chaque pays. Mais la bourgeoisie libérale désirait un gouvernement analogue pour l'ensemble de la monarchie. Le ministre des finances ayant consulté les chambres de commerce sur la façon de relever le cours du papier-monnaie tombé très bas, elles répondirent toutes qu'une « véritable constitution » était le seul moyen de guérir les « abus héréditaires ».

L'empereur, ne voulant pas céder aux Hongrois et inquiet de l'état des finances, se convertit à l'avis de la minorité unitaire et promulgua une nouvelle Constitution, la « patente » du 26 février 1861, qui, sous couleur de compléter le « diplôme » de 1860, le remplaçait par un régime tout différent. Chaque pays gardait son Landtag, organisé par une ordonnance spéciale; on réservait la Vénétie et les pays de la couronne de Hongrie. Dans les autres pays le Landtag serait élu, suivant une division en classes, par trois corps d'électeurs analogues à ceux des Landtags prussiens avant 1848, grands propriétaires, villes, campagnes, de façon à donner une forte représentation à l'aristocratie foncière. Mais le Conseil d'Empire devenait un véritable Parlement annuel de la monarchie, formé de deux Chambres. La Chambre des seigneurs se composait de quelques dignitaires et des seigneurs héréditaires désignés par l'empereur. La Chambre des représentants devait avoir 343 membres élus par les Landtags (Hongrie 85, Transylvanie 20, Croatie 9, Bohême 54, Moravie 22, Galicie 38), en réservant au gouvernement le droit de les faire élire directement au besoin par les corps électoraux; on prévoyait le cas où un Landtag refuserait d'élire.

L'empereur promulguait « tout cet ensemble de lois fondamentales comme la Constitution de son empire » et s'engageait, lui et ses successeurs, à « la maintenir inviolablement » et à la jurer à chaque avènement par un manifeste spécial. Par cette constitution octroyée l'Autriche devenait une monarchie constitutionnelle suivant la conception tory: l'empereur choisissait ses ministres à son gré et restait maître du gouvernement; le Conseil n'avait que le pouvoir de voter les lois et le budget, comme les Chambres de Louis XVIII.

Tentative de gouvernement unitaire (1861-65). La Constitution de 1861 répondait au désir du parti unitaire, elle fut soutenue par les Allemands libéraux et les petites nations, Serbes et Rou

HIST. POLITIQUE DE L'EUROPE.

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mains dans les pays de la couronne de Hongrie, Ruthènes de Galicie et Croates de Dalmatie. Elle blessait le parti fédéraliste aristocrate, les nations fortement constituées, en les soumettant à une assemblée commune de tout l'Empire, les partisans de l'ancien régime en établissant un régime constitutionnel libéral.

Mais la coalition qui avait formé la majorité de 1860 se rompit. — Les nations les plus indépendantes déclarèrent la Constitution contraire à leurs droits historiques; en conséquence elles refusèrent d'élire les délégués au Reichsrath; les Magyars, les Italiens de Vénétie, les Croates ne firent pas d'élections et ne furent pas représentés. Mais les autres nations fédéralistes n'osèrent pas adopter d'abord une politique si radicale; les Polonais, les Tchèques, les Slovènes envoyèrent leurs députés en se bornant à réserver leurs droits historiques. (En Istrie et en Transylvanie, le Landtag avait commencé par refuser; le gouvernement, en dissolvant le Landtag et en changeant la loi électorale, obtint une majorité pour faire l'élection). Le Tyrol, où dominait le parti du clergé, protesta contre l'égalité des confessions et demanda l'interdiction du culte protestant, mais il envoya ses délégués. Ce qui fut décisif, ce fut l'attitude. des grands propriétaires, très fortement représentés dans les Landtags. Ils abandonnèrent leurs alliés fédéralistes pour obéir au gouvernement. Le Reichsrath ne fut pas complet; il lui manqua 140 députés, mais il fut assez nombreux pour opérer légalement d'abord comme « conseil étroit » pour la partie non hongroise de l'Empire. Puis, en 1863, le gouvernement ayant organisé la Diète de Transylvanie, les Saxons opposés aux Magyars envoyèrent leurs députés au Reichsrath et l'empereur le déclara constitué en « conseil large », compétent pour les affaires de toute la monarchie.

Le régime constitutionnel commença à s'organiser sous un ministère allemand dirigé par Schmerling, ancien ministre de l'Empire en 1848, vieux libéral et patriote allemand. Sa politique se marqua surtout par des déclarations libérales et allemandes. C'était le temps des négociations avec les États allemands (1863) (voir p. 441). La Chambre des députés du Reichsrath, où la majorité était allemande, approuvait cette politique, elle vota une adresse pour prier l'empereur de resserrer les liens avec les États allemands.

Ce régime se heurta d'abord aux résistances fédéralistes des nations qui ne voulaient pas être gouvernées par des Allemands, puis à l'opposition des Allemands eux-mêmes, qui ne trouvèrent pas le gouvernement assez libéral.

La résistance nationale commença en Vénétie et en Hongrie.

La congrégation centrale (assemblée provinciale) de Vénétie refusa d'envoyer ses délégués (1861). La Diète de Hongrie convoquée par le gouvernement à Ofen (en face de Pesth), consentit à se réunir. Mais aussitôt, sur la réponse à faire à l'empereur, elle se divisa en deux partis, presque égaux. L'un voulait répondre par une décision de la Diète pour indiquer que les Hongrois ne consentaient même pas à discuter et exigeaient le rétablissement de la constitution de 48. L'autre, dirigé par les anciens libéraux, Deak et Eötvös, proposait d'adopter la forme plus conciliante d'une adresse au roi pour réclamer contre la constitution nouvelle. Après trois semaines de discussions, le parti de l'adresse » l'emporta sur le « parti de la décision »>< (155 voix contre 152). Mais l'adresse fut rédigée dans le sens de la décision; au lieu de s'adresser au roi (suivant l'usage de Hongrie), la Diète employa le terme « Très sérénissime seigneur, » pour indiquer qu'elle ne reconnaissait pas légalement l'abdication de Ferdinand et l'avènement de François-Joseph. L'empereur refusa de recevoir l'adresse. — La Diète consentit à prendre la forme de 1790, mais en déclarant que « le roi de Hongrie ne devient légalement roi que par le couronnement », et que le couronnement était lié à des conditions préalables : 1ola réunion des pays de la couronne de Hongrie (Croatie et Transylvanie) dont les députés devaient siéger à la Diète de Hongrie; 2° le « rétablissement complet des lois fondamentales », c'est-àdire de la constitution de 1848; 3° le « rétablissement du régime parlementaire et du ministère responsable ». - Quant à la Constitution d'ensemble, qui faisait de la Hongrie « une province autrichienne »>, en soumettant la nation à « un corps en majorité étranger », la Diète la repoussait comme contraire au «< contrat conclu entre la nation et la dynastie régnante ». Elle déclarait qu'elle « ne sacrifierait l'indépendance constitutionnelle... du pays à aucune espèce de considérations ou d'intérêts » (juillet 1861); qu'elle « ne pouvait rendre le gouvernement de la Hongrie dépendant de personne autre que du roi de Hongrie »; qu'elle ne voulait prendre part à aucune représentation d'ensemble de la monarchie, et consentait seulement à négocier pour chaque cas, avec les peuples des pays héréditaires, comme une nation indépendante avec d'autres nations indépendantes.

Chacun des deux partis ne voulait négocier qu'après avoir obtenu de l'autre la reconnaissance formelle de son droit, les Hongrois leur constitution historique, l'empereur sa constitution octroyée; les deux droits étant contradictoires, les négociations aboutirent à une rupture officielle. Le gouvernement revint à la politique de compression comme régime provisoire, pour lasser la patience des Hongrois.

Mais les Hongrois ne cédèrent pas et le régime dura jusqu'en 1866. -Les Croates refusèrent aussi de déléguer au Reichsrath, tant que le gouvernement leur refusait la réunion de la Dalmatie.

Les nations moins fortement organisées, Polonais et Tchèques, qui avaient commencé par prendre part au Reichsrath, changèrent peu à peu de politique. Il leur parut plus avantageux d'imiter les Hongrois. Les Polonais se retirèrent du Reichsrath; les Tchèques, ayant conquis la majorité au Landtag de Bohême, refusèrent d'envoyer leurs délégués. Il ne resta plus que les Allemands et les députés des petites nations.

Pendant ce temps le ministère entrait en conflit même avec le parti allemand du Reichsrath, surtout sur sa politique financière; le déficit continuait, la dette augmentait et le ministère était forcé d'avouer qu'il avait couvert le déficit par des virements irréguliers. Le parti libéral allemand reprochait au ministère d'avoir réduit le régime constitutionnel à un procédé fiscal, pour obtenir de l'argent. La Chambre demanda d'abord l'équilibre dans le budget (1861), puis elle exigea des suppressions de dépenses (1865) et finit par refuser un emprunt.

Suspension de la Constitution (1865-67). -L'empereur avait accepté la constitution de 1861 pour maintenir l'unité de ses États et pour aider son gouvernement à fonctionner. Or, elle restait restreinte à une partie de la monarchie; dans l'autre la population la repoussait et on n'y pouvait même plus convoquer l'assemblée des représentants du pays. Le Reichsrath, au lieu d'aider les ministres, les gênait en leur demandant des comptes. L'empereur, dégoûté de cette expérience manquée, revint à la tradition autrichienne, au dualisme. Il y avait en Hongrie une nation distincte trop indépendante pour entrer dans une monarchie centralisée, l'empereur se résigna à la détacher du reste de la monarchie pour s'en faire une alliée. Alors commencèrent les négociations avec les Hongrois, pour concilier les droits historiques de la Hongrie avec l'unité de l'Empire. Pour n'être pas gêné pendant ces négociations, l'empereur se débarrassa du Reichsrath, du ministère allemand libéral (27 juillet) et enfin de la Constitution. Il déclara (20 septembre), qu'ayant « décidé de s'entendre avec les représentants légaux de ses peuples des parties orientales» il se voyait « obligé de suspendre » (sistiren) la Constitution. La suspension était annoncée comme provisoire. Mais le nouveau ministère (Belcredi) se composait de seigneurs du parti aristocrate. Aussi la suspension fut-elle blàmée, comme un coup d'État par les Allemands libéraux et accueillie avec joie par

les fédéralistes de Pologne, de Bohême et le parti catholique du Tyrol. Les Diètes de Hongrie et de Croatie furent convoquées pour discuter les conditions de l'entente; l'empereur reconnut en principe les lois de 1848, à condition que la Diète les reviserait dans le sens de l'unité. Les négociations commencées en décembre 1865, interrompues par la guerre de 1866, n'aboutirent qu'en 1867.

Il fallait choisir entre deux systèmes : le dualisme, qui partagerait l'empire entre deux nations seulement (la couronne de saint Étienne aux Magyars, le reste aux Allemands), et le fédéralisme, qui le morcèlerait en un nombre indéfini d'États. Le ministère se décida d'abord pour les fédéralistes et convoqua un Reichsrath extraordinaire où la majorité fut fédéraliste. Mais les élus des pays allemands refusèrent d'y siéger, le Reichsrath ne se trouva plus en nombre pour discuter le compromis conclu avec la Hongrie.

Ce fut l'ancien premier ministre de Saxe, Beust, entré au service de l'Autriche après la guerre de 1866, qui décida l'empereur à renoncer au fédéralisme. Le ministère Beust (fév. 1867) mit fin à la suspension en établissant le dualisme et le régime constitutionnel. Le compromis avec la Hongrie. Le fondement du régime nouveau fut le compromis (Ausgleich) de 1867. Il coupait l'Empire en deux États, strictement égaux en droits, tous deux soumis au même souverain, mais sous deux titres différents, empereur d'Autriche, roi apostolique de Hongrie, avec un même drapeau (l'aigle impérial). La monarchie prenait officiellement le titre double d'Autriche-Hongrie. Le partage se faisait suivant la tradition historique l'État de Hongrie se composait des anciens pays de la couronne de saint Étienne1, l'État d'Autriche comprenait tous les autres (17 provinces). On désignait les deux groupes par des noms déjà anciens, Cisleithanie (l'Autriche), Transleithanie (la Hongrie), expressions géographiques exactes appliquées à la province d'Autriche et au royaume de Hongrie qui sont séparés par la rivière de Leitha, mais devenues purement conventionnelles en s'étendant à tous les pays rattachés à l'Autriche, dont plusieurs (Galicie, Bukovine) sont à l'est de la Leitha. - Chacun des deux États se composait d'une nation dominante qui donnait au gouvernement son caractère national, allemand en Cisleithanie, magyar en Transleithanie, et de plusieurs petits peuples, la plupart slaves, moins fortement organisés et moins civilisés. On raconte que Beust avait dit au ministre hongrois : « Gardez vos hordes, nous garderons les nôtres ».

1. Hongrie, Croatie, Slavonie, Transylvanie, Serbie, Confins militaires.

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