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ment un moyen d'action contre un Landtag qui refusait en masse de choisir des délégués au Reichsrath, c'était le droit de faire élire directement par les électeurs au Landtag. Mais contre les délégués d'un Landtag qui individuellement refusaient de venir siéger, le gouvernement était désarmé. La majorité du ministère proposa d'établir le suffrage direct pour le Reichsrath. En même temps, à Vienne, les ouvriers, organisés par des socialistes allemands, venaient faire devant la Chambre une manifestation monstre et présenter une pétition pour le suffrage universel, la liberté de réunion, d'association, de presse (déc. 1869) 1. — L'empereur commença par renvoyer la minorité aristocratique du ministère (déc. 1869). Mais tous les partis d'opposition se retirèrent du Reichsrath, catholiques du Tyrol, Galiciens, Slovènes, Italiens de Trieste et d'Istrie, Roumains de Bukovine; il n'y resta guère que des Allemands, juste en nombre pour délibérer. Les ministres centralistes demandèrent de dissoudre les Landtags. L'empereur refusa. Changeant de système, il se décida à négocier avec les aristocraties nationales slaves, comme en 1865 avec l'aristocratie magyare. En attendant il prit un ministère de transition (avril 1870) présidé par un Polonais (Potocki).

L'incertitude causée par la guerre entre la France et l'Allemagne arrêta l'empereur. Mais, la guerre finie, il appela un ministère fédéraliste avec un président aristocrate (Hohenwart) et deux Tchèques (févr. 1871). Les partis se classèrent en deux groupes constitutionnel (Verfassungstreu), qui voulait conserver la constitution centraliste de 1871; fédéraliste, qui demandait d'augmenter les pouvoirs des Landtags. Le ministère fédéraliste fit dissoudre les Landtags allemands à majorité constitutionnelle; et les grands propriétaires, toujours ministériels, firent pencher la balance du côté des fédéralistes.

Les Tchèques n'entraient dans la coalition qu'à condition d'obtenir l'indépendance de la Bohême. Leurs chefs négocièrent personnellement avec l'empereur, qui annonça l'entente par un message (12 sept. 1871). Il déclarait « reconnaître volontiers les droits de ce royaume » et être prêt à renouveler le serment de couronnement. Le Landtag répondit par les 18 articles fondamentaux qui établis saient pour la Bohême le même régime d'union que pour la Hongrie,

Ce fut alors dans tous les pays allemands une agitation violente : protestations des Landtags, articles menaçants des journaux, manifestations contre les ministres. Ce qui eut plus d'action sur l'empereur,

1. La loi militaire amena dans le sud de la Dalmatie un soulèvement des montagnards slaves; le gouvernement ne le réduisit qu'en renonçant à introduire la Landwehr dans ce pays (1869-70).

c'est que le chancelier Beust et les ministres de Hongrie, inquiets du panslavisme des Tchèques, prirent parti contre les fédéralistes. Un conseil tenu entre les principaux ministres (oct. 1871) décida l'empereur à revenir à la constitution de 1867. Le ministère Hohenwart se retira. Puis Beust, son principal adversaire, tomba brusquement en disgrâce et fut remplacé aux affaires étrangères d'Autriche-Hongrie par un Hongrois, Andrassy. (Le titre de chancelier fut supprimé.) Réforme électorale et ministères constitutionnels (1871-78). En revenant à la Constitution, l'empereur reprit un ministère allemand (Auersperg); une nouvelle dissolution des Landtags rendit la majorité au parti allemand constitutionnel dans le Reichsrath. A leur tour les Tchèques, les Slaves et les catholiques refusèrent d'y siéger. Mais le ministère avait gagné les Polonais et les Croates de Dalmatie. Il reprit le projet d'élection au suffrage direct.

La réforme électorale, décidée en principe, mit plus d'un an à aboutir. On était d'accord pour augmenter le nombre de députés; mais les libéraux proposaient de faire porter l'augmentation sur les curies les moins représentées; le ministère ne voulait pas sacrifier le privilège des grands propriétaires, dont il avait besoin pour faire la majorité des deux tiers nécessaire à un changement de Constitution. La loi électorale de 1873, votée à la Chambre par 120 voix contre 2 (sur 203 députés) se borna à remplacer l'élection au Landtag par le suffrage direct, mais sans changer la division en curies1. On porta le nombre des députés à 353: 85 aux propriétaires, 137 aux villes et chambres de commerce, 131 aux communes rurales (au scrutin indirect). On conservait une inégalité énorme de représentation; (en 1890, 1 député par 63 électeurs dans la curie des propriétaires, - 1 par 27 dans les chambres de commerce, 1 par 2918 dans les villes, 1 par 11 600 dans les campagnes.) La majorité restait aux Allemands. (Jusqu'en 1878 il y eut environ à la Chambre des députés 220 Allemands, contre 115 Slaves, 15 Italiens.)

1. Voici la répartition des sièges entre les curies et les provinces :

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Trieste 4 (élus par 3 corps électoraux et 1 chambre de commerce.)

HIST. POLITIQUE DE L'EUROPE.

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Le ministère, soutenu par la majorité constitutionnelle allemande, reprit la politique laïque. Les « lois de mai » (1874), ainsi nommées à l'imitation des lois allemandes du Culturkampf (voir p. 467), abolirent formellement le régime du concordat; elles obligèrent les évêques à déclarer à l'autorité civile les vacances d'emplois et les nominations, et reconnurent aux non-catholiques le droit de fonder des sociétés religieuses. Le pape protesta; il écrivit à l'empereur, qui répondit en se retranchant derrière le droit du Reichsrath.

Sous ce ministère, il y eut à Vienne une fièvre de « fondations >> analogue à celle des Gründer de Berlin (voir p. 470). Les valeurs fictives créées par les sociétés de banques et les compagnies de chemins de fer et de construction s'effondrèrent d'un coup, dans le fameux krach de Vienne (9 mai 1873), faillite gigantesque de la Bourse, qui fut suivie d'une longue dépression des affaires.

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Au Reichsrath le parti constitutionnel s'était organisé en clubs distincts, mais alliés pour soutenir le ministère : la gauche unie, surnommée «<les Jeunes » (65 députés environ), divisée en démocrates et nationaux allemands, le club libéral (100 environ) surnommé << les Anciens », la Droite centraliste (près de 60), groupe de grands propriétaires qui comprenait le club Coronini, formé surtout d'Italiens. L'opposition consistait dans le club polonais (de 40 à 45), — les catholiques non encore organisés, le club Hohenwart (Rechtspartei) formé de fédéralistes des petites nations. Les Tchèques (plus de 40), depuis la rupture de 1871 refusaient de venir au Reichsrath.

Les partis et la vie politique en Hongrie (1867-78). Dans le royaume de Hongrie, le compromis de 1867 fut suivi d'une période de calme politique. Comme en Autriche, le compromis avait donné le gouvernement à une nation politiquement dominante, quoique en minorité numérique. Sur une population de 16 millions d'àmes, les Magyars n'étaient guère alors plus de 6 millions. Mais leur force relative était beaucoup plus grande que celle des Allemands d'Autriche. Ils constituaient une nation compacte composée d'une aristocratie patriote, habituée à gouverner, très bien en cour auprès de l'empereur, et d'une population rurale inerte et docile. La bourgeoisie commerçante, formée surtout d'Allemands et de Juifs, était sans force politique. Les autres nations consistaient surtout en des masses de paysans sans vie politique, et d'ailleurs cantonnées aux extrémités du royaume, les Slovaques au nord-ouest, les Roumains à l'est, en Transylvanie, les Serbes au sud-est. Les colonies allemandes disséminées dans la plaine hongroise, les Allemands et les

Juifs établis individuellement dans les villes, sans cohésion, sans organisation nationale, ne formaient pas un parti. Deux groupes seulement avaient une organisation nationale: le royaume de CroatieEsclavonie au sud-ouest, et la petite nation des Saxons de Transylvanie (200 000 âmes), colonie allemande, restée très allemande, mais où les familles se réduisaient d'ordinaire à deux enfants.

Des paysans slovaques le gouvernement magyar n'eut pas d'abord à s'occuper; ils ne votaient pas ou votaient pour les nobles magyars. -Les Serbes avaient leur patriarche orthodoxe, leurs églises et leurs écoles et tenaient surtout à leur autonomie religieuse. La Transylvanie, où le gouvernement de Vienne avait opposé les Saxons aux Magyars, en organisant un Landtag indépendant (1849, puis 1863), fut incorporée au royaume de Hongrie. Elle perdit son Landtag, son administration distincte, et fut divisée en 75 circonscriptions directement représentées à la Diète de Hongrie. Les Saxons s'allièrent aux Magyars, par crainte des paysans roumains orthodoxes qui formaient le fond de la population : le régime électoral censitaire donna à ces deux aristocraties presque tous les sièges de députés du pays. Seule la nation croate, anciennement constituée et représentée par une aristocratie, avait pu sauver son autonomie en profitant de la rivalité entre l'Autriche et la Hongrie. Le compromis conclu entre les deux Diètes hongroise et croate (1868) laissa au royaume uni de Croatie-Esclavonie son gouverneur (ban), sa capitale d'Agram, et sa Diète formée de 75 députés élus par un suffrage censitaire et 25 membres de droit (magnats et dignitaires). C'était un État autonome, avec des armoiries nationales, une langue nationale officielle (le croate), une justice, un enseignement, des cultes et un pouvoir législatif exercé par la Diète. Mais il restait uni à la Hongrie par des <«< affaires communes » très étendues qui comprenaient, outre les affaires communes aux deux États de Hongrie et d'Autriche, toutes les questions de commerce et de communications. Pour ces affaires la Croatie était représentée dans le gouvernement par un ministre croate, à la Diète de Hongrie par 29 délégués de la Diète d'Agram, à la Délégation d'Empire par 4 délégués. Un règlement financier conclu pour dix ans partageait le produit des impôts de Croatie entre les deux pays, en attribuant 45 pour 100 aux dépenses propres de la Croatie, mais en fixant un minimum que la Hongrie devait parfaire en cas de déficit. C'était le gouvernement hongrois de Pesth qui nommait le Ban; c'était lui qui avait imposé en 1868 un régime électoral calculé de façon à donner la majorité aux partisans du compromis.

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Dans les deux Chambres de Hongrie les nations secondaires n'avaient ainsi que d'infimes minorités. La Diète ne se composait guère que de Magyars, et les partis ne s'y formaient que sur des questions politiques. C'étaient les mêmes presque qu'en 1848. La droite, ou opposition modérée, parti conservateur, nombreux surtout dans la Chambre des magnats, resté en faveur à la cour de Vienne, cherchait à maintenir le plus possible du régime aristocratique et catholique. Le parti de l'adresse », organisé en un «< club de Deák », avait accepté le compromis de 1867 et l'entente avec l'Autriche; il voulait établir en Hongrie un régime parlementaire libéral, en conservant l'administration par la noblesse. La gauche, ancien parti de la constitution de 48, hostile à l'Autriche, réclamait l'union personnelle, et protestait contre le compromis de 1867 comme contraire à l'indépendance nationale. L'extrême gauche se composait de démocrates, fidèles au culte de Kossuth, de proscrits de 1848, ennemis irréconciliables du gouvernement autrichien. (Kossuth, retiré en Italie, refusa jusqu'à sa mort (1894) de retourner dans sa patrie et de reconnaître François-Joseph.)

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Le gouvernement resta toujours strictement parlementaire, le roi ne prenant que des ministères soutenus par la majorité de la Chambre. Mais en Hongrie, comme en Italie, le ministère a jusqu'ici toujours obtenu des élections dans son sens.

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Le parti de Deák eut d'abord une forte majorité et devint le parti ministériel libéral. Le ministère libéral conclut les arrangements avec l'Autriche et fit reviser les lois de 1848. Puis il eut à réorganiser l'armée, l'administration et les finances. L'armée active resta commune aux deux États de l'Empire et garda l'allemand pour langue du commandement. Mais les Honveds, correspondant à la Landwehr, devinrent une armée exclusivement hongroise. L'administration des comitats resta autonome, dirigée par une commission formée à moitié de délégués élus, à moitié des plus fort imposés; on n'osa pas faire une réforme complète, de peur d'irriter la noblesse. Le parti libéral avait aussi dans son programme la laïcisation de l'État (liberté complète de religion, mariage civil, abolition de toute confession de foi). Mais il retarda longtemps la discussion de ces réformes, de peur de pousser le parti catholique à se coaliser avec la gauche.

La principale affaire fut de fonder l'unité nationale du pays en le magyarisant. Le gouvernement, aidé par tous les partis, travailla. à faire du magyar ce qu'était l'allemand en Cisleithanie, la langue de l'État et de la civilisation; il en fit la langue non seulement du

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