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Coalition allemande-polonaise et réforme électorale de 1896. L'empereur s'alarma des progrès de ces partis révolutionnaires qui menaçaient à la fois sa politique intérieure par des revendications démocratiques et sa politique extérieure par des manifestations contre l'alliance allemande. Le ministère Taaffe oscilla, négocia d'abord avec la gauche allemande (1892), puis avec les Tchèques (1893), puis mit Prague en état de siège, y suspendit le jury et la liberté de la presse, et finit par un projet de réforme électorale radicale. Dans les deux curies des villes et des communes (qui élisaient 268 députés sur 353), il proposait d'étendre le suffrage à quiconque aurait six mois de domicile et saurait lire et écrire, ce qui aurait élevé de 1 1/2 million à 4 1/2 le chiffre des électeurs.

Les partis conservateurs et allemands se coalisèrent contre ce projet. L'empereur s'entendit avec eux et forma le ministère Windischgrætz (nov. 1893), soutenu par la coalition la plus hétérogène qu'on eût vue encore en Autriche : les partis allemands (gauche, libéraux et catholiques), le club Hohenwart, le club polonais hostile aux Jeunes-Tchèques amis de la Russie. Pour calmer l'agitation en faveur de la réforme électorale, le ministère proposa de créer une nouvelle curie de 43 députés élus par un suffrage universel (1894). Mais les partis coalisés ne s'entendirent pas sur la façon de la former, et la coalition se disloqua à propos d'une subvention à une école secondaire slovène en Styrie. La gauche allemande refusa la subvention et déclara sortir de la coalition, le ministère se relira.

Après un ministère d'affaires provisoire (juin 1895), fut formé (oct. 1895) un ministère (Badeni) appuyé sur la coalition des partis conservateurs, club polonais, club Hohenwart, parti libéral, parti catholique, avec un programme de conciliation conservatrice tenir compte à la fois des réclamations nationales et de la « position traditionnelle » et de la « culture » plus avancée du peuple allemand, «< empêcher le bouleversement de l'ordre social, cultiver les sentiments religieux et l'éducation religieuse de la jeunesse ».

Le parti polonais aristocratique avait rompu avec la nation tchèque devenue démocratique; il sortait de la coalition slave pour entrer dans la coalition des partis allemands anti-démocratiques dont il a pris la direction. Le premier ministre Badeni, le ministre commun des affaires étrangères Goluchowski, sont Polonais. Le conflit était maintenant entre la coalition aristocratique soutenue par l'empereur et les nouveaux partis démocratiques, les JeunesTchèques de Bohême, les socialistes et les antisémites d'Autriche. Le gouvernement, sous la pression de l'opinion, a fait une réforme

électorale (1896) qui, sans toucher aux anciennes curies, crée une cinquième curie de 72 députés élus par circonscriptions au suffrage universel (direct dans six grandes villes, indirect ailleurs).

Luttes politiques en Hongrie depuis 1878. En Hongrie le parti libéral ministériel garda une majorité suffisante pour gouverner. Il continua à magyariser les écoles et fit sans se presser - quelques réformes. La Chambre des magnats fut diminuée (1886); le mandat de la Chambre des députés fut porté de trois ans à cinq (on rejeta l'extension du suffrage et le vote secret demandés par la gauche). L'État acquit les chemins de fer et adopta le fameux tarif par zones (1889). Le règlement décennal avec l'Autriche fut renouvelé sans difficulté pour 1888-98. Les luttes politiques entre Magyars ne portaient plus que sur des questions secondaires.- La gauche a lutté contre le ministère, en empêchant la réforme des comitats (1891) et surtout en faisant de grandes manifestations en l'honneur de Kossuth (1890 et 1894). La droite s'est opposée à la réforme du régime ecclésiastique. Le ministère s'était enfin décidé (1893) à présenter des lois pour établir le mariage civil, la liberté de culte, l'égalité légale des Juifs. Ces lois, votées à la Chambre à la fois par la gauche et le parti ministériel, étaient rejetées par les magnats, qui disaient avoir l'assentiment secret du roi. Contre la loi du mariage civil le clergé avait organisé une agitation dans tout le pays. Elle passa enfin quand le ministère eut obtenu du roi la permission de créer des magnats nouveaux pour déplacer la majorité (1894). Ces deux crises amenèrent la chute du premier ministre. L'agitation pour Kossuth fit partir Tisza (1890); l'agitation contre le mariage civil (1894) fit se retirer Wekerle (remplacé par Banffy).

La lutte a été plus intense entre les Magyars et les petites nations. En Croatie surtout, le parti national, excité par l'occupation des nouvelles provinces de langue croate (Bosnie-Herzégovine), a repris le projet d'un royaume de Grande-Croatie indépendant de la Hongrie et relié à la monarchie par une union personnelle. La Diète d'Agram vota une adresse à l'empereur (1878) pour demander la réunion de la Dalmatie et de la Bosnie. En renouvelant le compromis avec la Hongrie elle exigea l'annexion des Confins militaires à la Croatie. Cette province peuplée de soldats croates, restée depuis l'abolition de son régime spécial (1866) dans une situation provisoire, fut enfin incorporée à la Croatie, et représentée par des députés à la Diète d'Agram. La Diète réclama aussi le port de Fiume (1881), mais la Hongrie y a maintenu son gouverneur provisoire.

La Croatie renforcée continua contre le gouvernement hongrois

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une opposition nationale sourde, entrecoupée de manifestations violentes. A côté du parti national ministériel s'était formé un parti radical qui réclamait l'union personnelle. En 1883 le ministre des finances hongrois ayant fait mettre sur les locaux des administrations financières à Agram des écussons avec des inscriptions en deux langues (magyar et croate), la foule les arracha et le ban refusa de les rétablir. Le gouvernement hongrois envoya des soldats pour les remettre, remplaça le ban et ajourna la Diète; puis il se résigna à mettre des écussons sans inscription (1883). Mais l'agitation patriotique croate avait été si vive qu'en 1884 le parti radical monta de 17 à 24 députés. - Le gouvernement hongrois fit transporter les archives d'Agram à Budapest (1885); ce fut l'occasion de scènes violentes dans la Diète; deux députés radicaux furent condamnés à la prison. La majorité gouvernementale qui tient à maintenir l'union avec la Hongrie est restée assez forte pour contenir le parti de la Grande-Croatie; mais l'agitation a continué par des manifestations : pendant la visite de l'empereur à Agram un drapeau magyar a été brûlé par les étudiants (1895).

Les autres nations, privées d'organisation politique, n'ont guère pu agir que par des protestations. Les Slovaques du Nord-Ouest ont tenté de se rapprocher des Tchèques de Bohême et Moravie, leurs voisins et leurs congénères de langue. Le gouvernement magyar et le clergé luthérien ont répondu en interdisant à tout pasteur et instituteur en pays slovaque de prendre part à la propagande slave (1884). Chez les Serbes du Sud un petit parti séparatiste, dirigé par une société secrète, la Omladina, travaillait dès 1872 à faire l'unité de toute la nation serbe en la réunissant à l'État de Serbie. Le parti national, formé par la majorité de la nation, se contentait de réclamer l'autonomie. Il protesta contre le gouvernement magyar en réclamant (1884) les droits, reconnus aux Serbes en 1790, 1848, 1868, d'élire leur métropolite, et de régler leurs affaires d'église et d'écoles. En Croatie, où les Serbes ne diffèrent des Croates que par leur religion (orthodoxe) et leur écriture (slavonne), le « parti serbe indépendant de Croatie » formé après l'annexion des Confins militaires, demanda l'égalité de l'écriture cyrillique avec l'alphabet latin et la revision de la loi scolaire (1887).

Les Roumains, exclus presque de la représentation par le régime électoral, s'étaient bornés longtemps à une protestation passive. Ils commencèrent (1881) à demander un gouvernement distinct pour la Transylvanie. Enfin (1892) ils envoyèrent une députation à « l'empereur » à Vienne, avec un mémorandum. Le gouvernement hongrois fit

condamner les chefs à la prison (1895). Un parti séparatiste, en relation avec le parti irrédentiste en Roumanie, a commencé à parler de la «< Romania irredenta» et à rêver la séparation des Roumains de Hongrie et leur union au royaume de Roumanie.

Contre l'agitation roumaine les Saxons ont achevé de se solidariser avec les Magyars. Par contre les petites nations ont essayé de se coaliser contre leurs maîtres magyars. Un congrès de Roumains, Slovaques et Serbes a formé une alliance pour la défense des autonomies nationales en maintenant l'intégrité du royaume (1895).

Évolution politique de l'Autriche-Hongrie au xix siècle. — L'Autriche était un aggrégat hétérogène de nations, mélangées elles-mêmes d'éléments hétérogènes et soumises à une monarchie. absolutiste et aristocratique. Le gouvernement maintenait l'unité politique et réduisait l'opposition nationale à quelques réclamations dans la Diète de Hongrie, ailleurs à de simples protestations littéraires. Mais ce régime, praticable dans un état bureaucratique, ne se conciliait pas avec des assemblées de représentants animés de passions nationales; il devint impossible aussitôt qu'on adopta des institutions représentatives. La révolution de 1848 révéla brusquement les antagonismes nationaux; elle établit le dualisme, c'est-à-dire le partage de la monarchie entre les deux nations dominantes, Allemands et Magyars. Mais toutes deux ayant pris parti pour le régime parlementaire démocratique, le gouvernement monarchique les écrasa avec l'aide des nations slaves restées sujettes et rétablit le régime absolutiste, en le complétant par la domination du clergé.

Les défaites militaires de 1859 et 1866 et la ruine du crédit décidèrent le gouvernement allemand à adopter un régime constitutionnel libéral. Il commença par essayer de maintenir l'unité de tout l'empire, puis, reculant devant la résistance unanime de la nation magyare, il fit la part du feu en abandonnant aux Magyars tous les pays de la couronne de saint Etienne. Là s'organisa un État magyar avec un gouvernement parlementaire libéral semi-aristocratique, assez fort pour s'imposer aux petites nations, mais qui fut obligé de laisser la nation croate se constituer en État autonome.

Avec le reste de l'empire, le gouvernement allemand recommença

1. On peut rattacher aux luttes nationales l'agitation antisémite. Elle s'est manifestée violemment par le procès contre les Juifs de Tisza-Eslar accusés du meurtre rituel d'une jeune fille (1882-83), et par la formation d'un parti antisémite (17 à la Diète de 1884). L'agitation socialiste, limitée à la capitale, n'a pas pris d'importance politique.

à organiser un régime unitaire constitutionnel. Il parvint, par un système électoral favorable aux Allemands et aux grands propriétaires, à faire fonctionner ce régime en coalisant tantôt les Allemands libéraux avec l'aristocratie (1867-78), tantôt l'aristocratie allemande avec les aristocraties des nations slaves (1879-93). Mais à la coalition des aristocraties slave et allemande il a dû sacrifier une partie du régime libéral et laïque (établi après 1867) et une partie de l'ancienne prépondérance de la langue allemande; il a laissé l'Autriche reculer vers l'ancien régime sous l'autorité de la noblesse et du clergé. Puis un nouveau parti démocratique ayant, par un appel au sentiment national, conquis la nation tchèque, le gouvernement, inquiet des progrès de la démocratie, a compensé la perte du parti tchèque par l'adjonction du parti libéral allemand et il s'appuie sur une coalition anti-démocratique, dirigée par les Polonais.

BIBLIOGRAPHIE1

Bibliographie. On trouvera des bibliographies dans les ouvrages indiqués au chapitre XII, Waitz, Krones, Leger. Documents. Les comptes rendus parlementaires et les recueils de lois, sont indiqués dans Mühlbrecht, Wegweiser zur Literatur der Staatswissenschaften. Pratiquement on trouvera tous les documents et les faits importants dans Schulthess, Europäischer Geschichtskalender, 1 vol. par an depuis 1860; l'Autriche-Hongrie y est une des parties les mieux traitées (dans un sens très hostile aux Slaves et aux Magyars). Voir aussi l'Annuaire des Deux Mondes, jusqu'à 1870, et l'Annual Register.

Pour l'histoire des partis voir les revues, les Grenzboten, les Preussische Jahrbücher, la Deutsche Rundschau depuis 1874, la Deutsche Revue, depuis 1877, Unsere Zeit, et la Revue politique et parlementaire depuis 1894.

Travaux. Pour les histoires générales, Krones, Leger, voir chap. xin. W. Rogge, Esterreich von Vilagos bis zur Gegenwart, 3 v., 1872-73; OEsterreich seit der Katastrophe Hohenwart-Beust, 2 v., 1879; s'arrête à la crise d'Orient; œuvre de journaliste, très partial pour les Allemands.

SUR LES NATIONS 2 : il existe une collection de monographies descriptives, Die Völker Oesterreichs-Ungarn.

SUR LES INSTITUTIONS: Voir la bibliogr. dans Ulbrich, OEsterreichisches Staatsrecht, 1892 (collect. Marquardsen). Jellinek, Ungarisches Staatsrecht (même collection) est annoncé. Les principaux traités sont Ulbrich, Lehrbuch des Esterr. Staatsrechts, 1883; Handbuch der Esterr. politischen Verwaltung, 2 v. e 1 suppl., 1888-92. - Il se publie depuis 1895 un dictionnaire sous la direction de Mischler et Ulbrich, Esterreichisches Staatswörterbuch.

1. L'ignorance où je suis du magyar et des langues slaves no me permet pas de dresser une bibliographie vraiment scientifique. Je me borne aux ouvrages en allemand et en français, qui pratiquement suffisent pour étudier cette histoire.

2. Je renonce à citer les écrits de polémique nationaliste, tchèques, magyars, allemands, polonais, dans le genre de Rieger, Le royaume de Bohême, 1867, Heinze, Hungarica, 1882, très nombreux et de peu de valeur historique.

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