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Les deux divans de Moldavie et de Valachie demandèrent l'union en une seule principauté de Roumanie avec un prince étranger (oct. 1837). Le sultan refusa et déclara les divans dissous; Napoléon soutint les Roumains. Enfin, à la conférence de Paris, on fit un compromis les principautés conservèrent deux gouvernements, deux hospodars élus, deux assemblées de représentants; mais elles devinrent les principautés-unies de Moldavie et Valachie, avec une Commission commune de 16 membres pour les affaires communes et une Cour de justice commune (1858).

L'unité complète fut établie par un expédient. Les deux assemblées s'entendirent pour élire le même hospodar, un boïar moldave, Couza (1859), qui fut proclamé sous le titre d'Alexandre Ier « prince de Roumanie »; le sultan finit par le reconnaître à titre viager (1861). Couza annonça alors par une proclamation : « La nation roumaine est fondée. » Les deux ministères se retirèrent et furent remplacés par un ministère unique. Les deux assemblées se fondirent en une Assemblée nationale unique à Bucharest (1862). L'État roumain avait désormais un gouvernement et une capitale.

La formation de l'unité fut accompagnée d'agitations politiques violentes et d'un conflit permanent entre le prince et l'Assemblée. Le régime constitutionnel officiellement établi ne fonctionnait pas. Le prince gouvernait arbitrairement, sans budget régulier, changeant de ministres pour des motifs personnels (en sept ans il passa vingt ministères). L'Assemblée vota une adresse pour réclamer le régime constitutionnel, puis refusa de voter le budget jusqu'à ce que le ministère reconnût son droit de le voter. Le prince ferma l'Assemblée et se nomma lui-même commandant en chef (1863). L'Assemblée émit un vote de défiance contre le ministère, puis refusa de discuter le budget. Le prince fit un coup d'État, imité de Napoléon III; il déclara l'Assemblée dissoute, fit occuper la salle, suspendit la loi sur la presse et promulgua un statut qui établissait le suffrage universel, un Sénat et une Chambre. Il le fit ratifier par un plébiscite au suffrage universel (682 000 oui contre 1307 non); i exigea même des fonctionnaires l'approbation du nouveau régime ou leur démission. Puis, sous prétexte de complot, il fit arrêter les chefs du parti constitutionnel (1864). Il gouverna dès lors en maître, décrétant le budget, faisant élire ses candidats officiels, réduisant les Chambres à enregistrer ses décisions. Il se fit nommer prince héréditaire et, n'ayant pas d'enfant, se désigna un successeur (1865).

Dans ce conflit l'Assemblée représentait non pas la nation entière,

mais la noblesse roumaine, la seule partie de la nation assez cultivée pour avoir une vie politique; la masse des paysans restait passive. Alexandre essaya, comme Napoléon III, de se poser en souverain démocratique. La Convention de Paris imposait aux Roumains l'obligation d'abolir tous les privilèges des classes et de « procéder sans retard à la revision de la loi qui réglait les rapports des propriétaires du sol avec les cultivateurs en vue d'améliorer l'état des paysans ». L'Assemblée n'avait pu s'entendre sur la réforme, le prince la fit par décret (août 1864). Les paysans reçurent en propriété les terres qu'ils possédaient seulement comme tenanciers et furent affranchis de la corvée, moyennant une indemnité aux seigneurs propriétaires. L'État se chargea de l'opération, il expropria les propriétaires en leur laissant au minimum un tiers de la terre, et leur donna une indemnité. Il distribua aux paysans des lots de terre proportionnés au bétail possédé par chacun, moyennant une annuité payable pendant quinze ans. 400 000 familles devinrent propriétaires. Alexandre était détesté par la population de Bucharest. Les nobles roumains en profitèrent pour se débarrasser de lui par un complot. Les conjurés le surprirent dans sa chambre à coucher, le forcèrent à abdiquer et formèrent un gouvernement provisoire qui convoqua les Chambres pour élire un nouveau prince. Les Roumains s'étaient convaincus que leur pays ne pouvait être gouverné par un prince roumain, les grandes familles ne supportaient pas d'obéir à un de leurs égaux. Ils s'accordèrent donc à demander un prince étranger. Les Chambres élurent d'abord un prince belge qui refusa. Ce fut un prince allemand de la branche catholique des Hohenzollern qui devint Charles Ier de Roumanie.

La monarchie constitutionnelle. Avec l'avènement du prince Charles a commencé la vie politique régulière. La Constitution de 1866 établit en Roumanie un régime libéral sur le modèle belge (jury, garde nationale, libertés de réunion et de la presse) et l'appareil de gouvernement des monarchies constitutionnelles, un ministère responsable choisi par le roi, un parlement législatif formé de deux Chambres, toutes deux élues par des électeurs divisés en collèges suivant un système analogue aux classes de Prusse : un Sénat (de 120 membres), dont 110 élus parmi les propriétaires par deux collèges de censitaires, une Chambre des députés (178 membres) élus par un suffrage presque universel, mais inégal (quatre collèges, dont le dernier comprenait tous les contribuables). Le pays était organisé à la française en départements et arrondissements, administrés par des préfets et sous-préfets; avec des services centra

lisés, une Cour des comptes et des codes de droit imités de la France.

Les anciens partis commencèrent à se disputer le pouvoir. Les différences portaient surtout sur la politique étrangère et les tendances sociales. Le parti blanc ou conservateur, formé des grands propriétaires et appelé « parti des boïars », était le parti de la Russie, hostile au prince étranger et mal disposé pour les réformes.

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Le parti rouge ou libéral voulait le gouvernement par la bourgeoisie et l'alliance avec l'Allemagne et l'Autriche. Le chef du parti, Jean Bratiano, se faisait surnommer le Bismarck roumain. - Entre les deux, par suite de rivalités personnelles, se forma une « jeune droite », tiers parti qui attaqua surtout l'administration de Bratiano. - Du parti libéral se détacha un groupe de dissidents, dont le chef fut le frère même de J. Bratiano, un autre dirigé par Rosetti, partisan du suffrage universel. Les luttes et les coalitions entre ces groupes ont rendu la vie parlementaire animée et compliquée.

Charles Ier, officier dans l'armée prussienne jusqu'au moment où il est devenu prince, s'est occupé surtout de l'armée et de la politique étrangère. Il a toujours observé à peu près le principe parlementaire, gouvernant avec des ministères soutenus par la majorité des Chambres. Mais il semble bien qu'en Roumanie le ministère a sur les élections une influence si forte qu'il dépend souvent du souverain de faire la majorité, en appelant au ministère le parti qu'il préfère. Charles Ier, naturellement porté à s'appuyer de préférence sur les libéraux partisans de l'alliance allemande, commença à s'installer avec un ministère libéral Bratiano et maintint d'ordinaire au ministère le parti libéral, excepté quand les oppositions coalisées devenaient trop fortes.

Une des grandes difficultés fut d'organiser les finances; le pays avait déjà une lourde dette (près de 800 millions), et un déficit chronique qui a continué pendant vingt ans. On organisa la vente des terres d'État, on introduisit le monopole du tabac, on fit la réforme de la monnaie en adoptant le système décimal. Bratiano avait pour programme de développer les ressources économiques du pays en établissant des chemins de fer et créant des écoles. Mais le parti libéral était encore trop faible pour se maintenir au pouvoir. Les sympathies du peuple roumain pour la France rendirent très difficile la position d'un prince de la famille des Hohenzollern, aussi longtemps que dura le conflit aigu entre la France et la Prusse. Le parti conservateur prit la majorité dans les Chambres. Charles Ier, se sentant impopulaire, se résigna à prendre des ministères conser

vateurs, tout en essayant de revenir à Bratiano jusqu'à 1868. La Roumanie traversa une période de luttes sourdes entrecoupées d'émeutes. La Chambre exprima officiellement sa sympathie pour la France (1870), le prince parla d'abdiquer 1; une manifestation en l'honneur de la victoire des Allemands souleva une émeute à Bucharest (mars 1871). Enfin par une dissolution on obtint une Chambre suffisante pour soutenir un ministère conservateur de compromis (Catargi) qui consentit à gouverner d'accord avec le prince (1871). L'ordre se rétablit, le ministère Catargi dura jusqu'en 1876. Pour la première fois une Chambre arriva au terme de son mandat.

Charles Ier travailla à créer une armée sur le modèle prussien. Il fit adopter le service obligatoire de trois ans ; mais, comme le budget n'aurait pas suffi à encadrer tout le contingent, on divisa celui-ci en deux portions, une armée permanente de trois ans et une réserve (dorobanze) appelée pendant les périodes d'exercice. Il forma ainsi une armée de près de 150 000 hommes en temps de guerre, pourvue d'une artillerie moderne fabriquée en Allemagne. Cette armée roumaine allait jouer un rôle décisif dans la guerre contre les Turcs.

La situation du prince s'affermit. Quand la crise de l'empire ottoman commença, Charles Ier se trouva assez fort pour suivre une politique nationale. Il s'agissait de délivrer la Roumanie de la souveraineté du sultan qui se faisait encore sentir par des formes blessantes; la Porte refusait d'appeler le pays Roumanie, de reconnaître les agents diplomatiques roumains en Turquie et de les laisser juger les affaires des sujets roumains. Charles Ier se débarrassa alors du parti conservateur et, après une tentative de ministère mixte, prit un ministère libéral Bratiano (1876), qui, sauf un court intermède (1881), reconstruit plusieurs fois, dura jusqu'en 1888.

La Roumanie, entrée en guerre contre le sultan, s'allia à la Russie qui lui promit l'intégrité de son territoire. Mais à la paix la Russie garda la Bessarabie roumaine dont elle avait besoin pour atteindre la rive gauche du Danube; en échange elle fit céder par le sultan la Dobroudja, pays fertile mais malsain et désert. La Roumanie réclama auprès du Congrès, mais n'obtint qu'un petit agrandissement.

La guerre fit de la Roumanie un État souverain. L'indépendance, proclamée par les Chambres roumaines dès 1877, fut reconnue officiellement par le sultan et le Congrès, mais à condition de donner l'égalité de droits sans distinction de religion; il s'agissait des Juifs

1. Dans une lettre privée (1871), il se plaignait de l'inexpérience du peuple roumain « passé sans transition d'un régime despotique à la constitution la plus libérale et qui n'avait pas les vertus nécessaires pour une forme quasi républicaine».

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de Moldavie (près de 300 000, jusque-là exclus des droits politiques. Puis le titre de prince fut remplacé par celui de roi (1881).

Le royaume de Roumanie était pourtant encore loin de comprendre toute la nation roumaine. Sans compter les bergers valaques et les groupes roumains disséminés en Bulgarie, Serbie, Macédoine, il restait en dehors 1/2 million de Roumains en Bessarabie, 2 millions 1/2 en Hongrie et Transylvanie, 200 000 en Bukovine. Un parti national s'est formé pour réclamer la « Romania irredenta », il s'est mis en rapports avec les Roumains du dehors, surtout en Hongrie, et a fait (1894-96) des manifestations contre lesquelles le gou vernement hongrois a protesté officiellement.

Par contre une propagande russe orthodoxe s'est faite dans le clergé par les ecclésiastiques élevés au séminaire russe de Kiev, auprès des paysans par les popes et les colporteurs d'images patriotiques russes. L'Église de Roumanie, déjà autonome, gouvernée par un synode formé des évêques, sous la direction de fonctionnaires laïques, fut déclarée entièrement indépendante du patriarche grec de Constantinople (1885). Ce fut l'occasion d'une agitation orthodoxe, dirigée en réalité contre le roi à qui l'on reprochait sa religion catholique. Pour calmer les mécontents, le roi fit venir en Roumanie le prince héritier Ferdinand (son neveu), qui est resté catholique, mais a fait baptiser son fils orthodoxe (1893).

Le ministère libéral continua à créer des chemins de fer et des écoles et à soutenir l'œuvre militaire du roi qui fit de Bucharest un grand camp retranché. Le ministère essaya une réforme agraire; il fit voter une revision de la Constitution (1884) qui consista surtout à abolir la garde nationale et à rendre le suffrage plus démocratique en supprimant le collège des électeurs à 3000 francs. Il se forma un petit parti socialiste qui eut son centre à Bucharest et chercha à se recruter parmi les paysans mécontents de n'avoir pas reçu de terres.

Le parti libéral, affaibli par les divisions entre ses chefs, ne résista pas à l'excitation que produisit le rapprochement entre la France et la Russie. Le parti conservateur lui reprochait d'avoir fait de l'armée roumaine une partie de l'armée allemande et de s'allier aux ennemis de la France. Il prit la majorité à la Chambre, et même vota la mise en accusation du ministère Bratiano (1889).

Après une tentative de ministère de coalisation (dissidents libéraux et jeunes conservateurs), le roi revint à des ministères conservateurs Catargi (1889) mélangés de conservateurs libéraux (1889) qui ont duré jusqu'en 1895. Puis, Bratiano étant mort, le parti libéral a repris la majorité et le ministère (Stourdza 1895, Aurelian 1896).

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