Page images
PDF
EPUB

Les progrès matériels ont continué; si la dette a augmenté, c'est pour construire des chemins de fer d'État; mais le crédit de la Roumanie s'est affermi et les fonds roumains ont monté.

LA GRÈCE

La nation grecque avant 1820. La Grèce, conquise par les Ottomans, soumise à des gouverneurs musulmans, occupée par des garnisons musulmanes, n'avait conservé aucune organisation d'ensemble. Les Grecs, depuis le moyen âge, ne formaient plus une nation; il ne restait plus qu'une église grecque commune à tous les orthodoxes au point que les étrangers ne distinguaient plus les Grecs des Slaves. Mais la langue grecque se conservait, et, jointe au souvenir de la Grèce antique, elle suffit à reconstituer une nation hellénique. Tous les chrétiens qui parlaient grec, non seulement les descendants des Hellènes, mais les Albanais et les Slaves hellénisés, se sentaient membres d'un même peuple et d'un peuple illustre, auquel il était glorieux d'appartenir.

La renaissance de la nation hellénique devint manifeste à la fin du XVIIIe siècle. Sous le sultan Sélim, favorable à ses sujets chrétiens, les Grecs avaient gagné en nombre, en richesse, en civilisation. Ils avaient créé des industries de soie, de coton (le fil turc), surtout en Thessalie. Ils avaient profité des guerres entre Européens pour créer une marine de commerce sous le pavillon turc resté neutre, ils faisaient presque toute l'exportation des blés russes par Odessa et une bonne partie du commerce européen dans le Levant; bons marins, hardis, naviguant vite et à peu de frais (l'équipage était formé des parents de l'armateur, intéressés aux bénéfices), ils avaient, dit-on (en 1816), jusqu'à 600 navires et 17000 matelots. Il s'était formé des colonies de commerçants grecs dans les grands ports de la Méditerranée (Marseille, Livourne, Trieste, Odessa), même à Londres et Liverpool.

Au contact des pays civilisés les Grecs se cultivèrent; des commerçants enrichis fondèrent des écoles grecques pour instruire les jeunes Grecs, à Bucharest, Corfou, Constantinople. La langue grecque, altérée par des siècles de barbarie, se reconstitua; ce fut l'œuvre de Coraï, qui trouva un moyen terme pratique entre la langue vulgaire et le grec classique.

En s'instruisant les Grecs prirent conscience de leur nationalité.

La Révolution française les excita '. Puis la destruction de la république de Venise créa un centre hellénique indépendant du sultan, les îles Ioniennes, dont la France fit la République des Sept iles et que l'Angleterre organisa avec une administration sous la direction d'un gouverneur anglais (1815).

Les Grecs étaient dispersés dans tout l'empire ottoman, sur les côtes et dans les grandes villes. Mais une population grecque compacte occupait, au sud de la Turquie d'Europe, la Morée, la Romaïe (Grèce centrale), la Thessalie et les îles, mélangée à des chrétiens albanais et slaves qui s'hellénisaient rapidement. Dans ces régions il y avait des groupes helléniques organisés assez fortement pour tenter d'atteindre une indépendance nationale.

Dans la Morée, où les musulmans étaient peu nombreux, chaque commune chrétienne s'administrait elle-même par ses notables; pour l'ensemble du pays l'assemblée des primats élus par les délégués des communes se réunissait chaque année auprès du pacha musulman établi à Tripolitza. Dans le Magne (l'ancienne Laconie), les montagnards, les Maniotes, restaient armés sous des chefs retranchés dans des châteaux forts et guerroyant les uns contre les autres.

Dans les montagnes de la Grèce centrale et de l'Épire les chrétiens, Hellènes et Albanais, formaient une milice irrégulière, les Pallicares, qui gardaient leur costume national et leurs chefs nationaux, les Armatoles. Mais depuis que le gouvernement turc, se défiant des armatoles chrétiens, leur avait opposé des Albanais musulmans, les pallicares retirés dans les montagnes s'étaient faits klephtes (brigands), et les klephtes, ennemis des autorités turques, étaient devenus les héros nationaux des Hellènes; ils se battaient par petites bandes, d'ordinaire à coups de fusil, en se cachant derrière les rochers. Il n'y avait alors de marins que dans les îles où la population grecque se gouvernait elle-même, à condition de payer l'impôt, et presque toute la population maritime se concentrait sur trois rochers nus et stériles, les iles Nautiques, dans le golfe d'Argolide. La plus grande, Hydra, encore albanaise (les habitants y portaient le costume grec, mais y parlaient albanais), avait une population de 40 000 âmes entassée dans 3000 maisons de pierre accrochées au flanc d'un rocher abrupt; la société y était aristocratique, seuls les primats propriétaires élisaient les 12 démogérontes

[ocr errors]

1. Rhigas, le patriote hellène de Thessalie, avait composé un chant national: Allez, enfants des Hellènes, le moment de la gloire est arrivé. La police autrichienne le livra au pacha de Belgrade, qui le fit noyer (1798).

[ocr errors]

E

(anciens du peuple) qui gouvernaient l'ile. —

[ocr errors]

Spætza, albanaise mais à demi hellénisée, moins peuplée, moins riche, était moins. aristocratique, avec des primats plus nombreux, des grandes familles moins puissantes. Psara, la plus petite, était complètement grecque et démocratique. Toutes trois vivaient comme de petites républiques à condition d'envoyer des cadeaux aux dignitaires de la marine turque. Leurs navires, armés de canons pour se défendre contre les pirates barbaresques, montés par des marins à demi guerriers, formaient une véritable marine de guerre. La paix générale, en mettant fin à la situation privilégiée du pavillon turc, avait réduit les marins des îles Nautiques à l'inaction et les disposait à se jeter dans les aventures.

Formation du royaume de Grèce (1820-29). — Il y avait en 1820 des guerriers grecs, les montagnards de Morée et les pallicares, des marins grecs, les gens des iles Nautiques, armés et prêts à combattre. Ce fut la révolte d'un gouverneur musulman, Ali, pacha de Janina, qui leur donna l'exemple de l'insurrection (1820). Les Grecs se soulevèrent à la fois en Épire, en Morée et dans les îles.

En Morée, les primats, mandés à Tripolitza par le pacha, jugèrent plus prudent de s'insurger, les Maniotes descendirent de leurs montagnes, l'archevêque de Patras appela les fidèles aux armes. En trois semaines, il ne resta plus aux Musulmans que la capitale, Tripolitza. Les insurgés chrétiens, conduits par un klephte, Kolokrotoni, les y bloquè rent et finirent par les massacrer (1821). Ce fut dès l'origine une guerre de race et de religion, une guerre d'extermination où des deux parts on massacrait les prisonniers et même les femmes et les enfants. Elle fut longue, très dispersée, pleine d'épisodes dramatiques chantés par les poètes et devenus célèbres dans toute l'Europe. C'était un temps de compression dans tous les pays européens; les journaux, réduits au silence sur la politique intérieure, étaient pleins des exploits des héros grecs.

En fait le sort de la Grèce ne dépendait pas des insurgés, trop peu nombreux pour résister à toutes les forces de l'empire ottoman, il dépendait des puissances chrétiennes d'Europe. Mais la résistance des insurgés servit à donner à l'opinion publique le temps d'obliger les gouvernements à intervenir, et il y fallut six ans.

L'insurrection fut entièrement écrasée en Épire, en Thessalie, en Crète (1823-24), après des massacres. Elle se concentra dans les trois régions qui devaient former le royaume de Grèce Morée, Iles, Grèce centrale. Les Grecs s'y défendirent quatre ans (1821-25); ils repoussèrent une armée turque en Morée (1823), détruisirent une flotte

turque (1824); ils faisaient surtout la guerre en partisans, sur terre par des embuscades, sur mer avec des brûlots.

Les Grecs avaient d'abord obéi à un jeune noble venu du dehors, Démétrius Ypsilanti, avec son hétairie, et son drapeau noir orné d'un phénix (voir p. 590); on le nomma archistratège. Une assemblée nationale réunie dans un bois près d'Épidaure proclama l'indépendance. Il se forma des gouvernements de notables (gérousies), deux pour la Grèce centrale, un pour la Morée, avec un gouvernement général commun. Mais les Grecs, blessés d'obéir à des étrangers, se débarrassèrent bientôt de l'hétairie et du phénix. Alors ils se coupèrent en deux partis, d'un côté les primats de Morée et les gens des îles Nautiques, partisans de la civilisation européenne, dirigés par Maurokordato, qui portait un habit noir et un lorgnon, l'autre les guerriers de Morée qui obéissaient au klephte Kolokotroni. Les klephtes chassèrent d'abord l'assemblée législative, et chacun des partis eut son gouvernement, puis on se battit et les civilisés restèrent les maîtres. - Après quoi ils se divisèrent en pri mats et Nautiques, et se battirent (1823).

-

de

Enfin, en 1825, deux armées musulmanes à la fois envahirent la Grèce. L'une, venant du nord par terre, fit le siège de Missolonghi, terminé par l'assaut et le massacre fameux (1826). L'autre, celle d'Ibrahim, venue d'Égypte par mer, débarqua au sud et reprit la Morée. La lutte continuait entre le parti des primats, amis de l'Angleterre, et le parti des guerriers amis de la Russie. Chacun avait son assemblée. Elles se décidèrent à se fondre en une seule, qui fit la constitution de Trézène et élut pour sept ans un chef du gouvernement (kybernétès), qui fut Capodistria, Ionien, agent de la Russie, avec un amiralissime et un généralissime anglais. Après la prise de l'Acropole par les Turcs (juin 1827), il ne restait plus aux insurgés que quelques forts, sans munitions, ni pain, ni argent.

La Grèce, déjà reconquise par les Musulmans, fut délivrée par les puissances d'Europe. Les gouvernements d'Angleterre, de Russie et de France s'étaient enfin décidés à intervenir. Ils voulaient seulement intimider le sultan pour l'obliger à donner aux Grecs une administration autonome; leurs flottes ne venaient en Grèce que pour faire partir l'armée d'Ibrahim (1827). Mais la bataille de Navarin, survenue contre la volonté des gouvernements, les obligea à intervenir activement. Une armée française reprit aux Tures la Morée (1828), une armée russe força le sultan à accepter les déci

1. Sur ces négociations et la guerre qui suivit, voir chap. xxv.

sions des puissances (1829). La Conférence de Londres créa un royaume de Grèce indépendant (elle avait conservé un tribut au sultan, qu'elle supprima). Mais elle ne voulut pas faire une véritable nation grecque. Le territoire du royaume fut formé, non de tous les pays à population grecque, mais seulement de ceux qui restaient insurgés en 1825, la Morée, la Grèce centrale et les îles d'Europe. Le roi devait être un prince européen; on le chercha longtemps. (Léopold de Cobourg, plus tard roi de Belgique, faillit accepter en 1830.) Le régime absolutiste (1829-43). En attendant, Capodistria gouvernait despotiquement et insultait les Grecs. « Vous êtes tous, disait-il, des klephtes et des menteurs. » Les gens d'Hydra se révoltèrent, saisirent les navires grecs et les brûlèrent. Les Mauromichalis, la principale famille des Maniotes, s'insurgèrent, Capodistria fit emprisonner le chef de la famille et fut assassiné (oct. 1831). Son frère essaya de lui succéder; mais les mécontents formèrent un gouvernement qui lui fit la guerre et le força à s'enfuir. Enfin on trouva un prince étranger à toutes les grandes puissances rivales, Otton, fils du roi de Bavière, Louis, admirateur de la Grèce (1832). La Grèce telle que l'avaient faite la guerre et la diplomatie était un royaume tout petit (750 000 âmes) et misérable. Il lui manquait la région grecque la plus riche, la Thessalie, et la principale île grecque, la Crète. Le pays qu'on lui laissait était dévasté, ruiné, dépeuplé par une guerre d'extermination prolongée pendant dix ans, plein encore de bandes armées (les pallicares à demi brigands), sans ressources et chargé déjà d'une dette usuraire contractée en 1824-25. La nation grecque a employé tout le siècle à repeupler et à remettre en valeur son sol, à se débarrasser des brigands, à essayer d'agrandir son territoire et de rétablir ses finances. en équilibre. Elle n'a pu accomplir que lentement et en partie une tàche si disproportionnée à ses ressources. Le public européen, mal informé, s'attendait à une brillante renaissance de la Grèce antique; sa déception, venant après l'enthousiasme philhellène, produisit un sentiment de défiance moqueuse que les progrès évidents de la Grèce n'ont pas encore entièrement dissipé.

Les Grecs étaient un peuple de paysans, de marins et de guerriers, avec des mœurs démocratiques, mais habitués à se grouper autour de chefs populaires; dans ce pays montagneux, sans routes et presque dépourvu de villes, la seule vie publique était la vie municipale. A ce peuple encore à demi barbare on superposa un gouvernement à l'européenne. Le roi Otton, encore mineur, amena de Bavière un régent bavarois qui gouverna jusqu'à sa majorité, un

« PreviousContinue »