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lutte de classes, conquête du pouvoir politique pour arriver à une révolution sociale, entente internationale. Le programme immédiat est celui du parti démocratique radical', on y a joint quelques réformes sociales: limitation de la journée de travail, diminution du travail des femmes, interdiction du travail des enfants, impôt unique progressif sur le revenu et l'héritage, subvention d'État aux associations de production (ce dernier article pour rallier les partisans de Lassalle).

L'organisation était fédérative, opposée à celle de Lassalle; Bebel déclara qu'on voulait empêcher « la foi à l'autorité » et « le culte des personnes ». Les adhérents d'une même ville se réunissaient sans former de société permanente pour échapper aux lois sur les associations et désignaient un homme de confiance chargé de convoquer les réunions et de recueillir les cotisations. Chaque année les délégués élus s'assemblaient en congrès pour régler les affaires générales; le congrès nommait une commission exécutive de 5 membres, surveillée par une commission de contrôle de 11 membres, les deux résidant dans deux villes différentes. Il y avait un journal du parti, entretenu par une cotisation.

Les deux partis socialistes allemands tinrent séparément leurs congrès, présentèrent leurs candidats séparés et se combattirent jusqu'en 1875, mais leurs deux associations ayant été poursuivies et dissoutes en Prusse au nom de la loi qui interdisait l'union (Verband) de sociétés politiques, ils se fondirent en un seul parti, le parti ouvrier socialiste d'Allemagne. Leur programme, rédigé en commun à Gotha (mai 1875), peut se diviser en deux parties, un exposé de doctrine, un programme. La doctrine était celle du programme marxiste de 1869, précisée et combinée avec les formules de Lassalle, sans souci des contradictions : « le travail origine unique de la

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1. Suffrage universel à 21 ans dans toutes les élections (le suffrage universel n'existe en Allemagne que pour le Reichstag et à partir de 25 ans), indemnité aux représentants, législation directe (referendum), — abolition de tous les privilèges de classe, de possession, de naissance, de religion, milice nationale, séparation de l'Église et de l'État, enseignement laïque, obligatoire au degré primaire, gratuit aux autres, justice gratuite, jury, procédure orale, liberté de presse, association, coalition, abolition des impôts indirects. 2. Marx écrivit ses partisans une lettre violente contre ce programme de conciliation elle n'a été publiée qu'en 1890 dans la Neue Zeit.

3. En voici les passages principaux : « Le travail est la source de toute richesse... et n'est possible que par la société. Le produit du travail appartient donc en entier à la société, c'est-à-dire à tous ses membres, avec devoir universel de travail et droit égal; à chacun suivant ses besoins raisonnables... L'émancipation du travail exige la transformation des moyens de travail en bien commun de la société, le règlement corporatif du travail total... Elle doit être

richesse» et « la loi d'airain du salaire, » — « la création d'associations de production avec l'aide de l'État », et « l'émancipation de la classe ouvrière par la formation d'un parti ouvrier politique », le «< caractère international du mouvement » et « l'action dans un cadre national ».

Le programme se divise en deux: 1° l'idéal politique, « fondement de l'Etat » suffrage universel, législation directe, milice; liberté complète de presse, association, réunion; justice par le peuple, instruction universelle et gratuite, la religion déclarée affaire privée (c'est le programme démocratique de 1869); 2° les réformes sociales immédiates (dans la société actuelle) extension des droits dans le sens de l'idéal, impôt progressif unique, liberté de coalition, journée normale, interdiction du travail des enfants, lois de protection des ouvriers, contrôle sanitaire des usines, mines et logements, responsabilité du patron, règlement du travail des prisons. L'organisation fut fédérative, analogue à celle des marxistes de 1869 des groupes locaux autonomes, un congrès annuel de délégués investi du pouvoir souverain, un gouvernement formé de 3 organes, un directoire (Vorstand) de 5 membres, un contrôle de 7 membres siégeant dans une autre ville, une commission de 18 membres pour servir d'arbitre entre les deux; un journal du parti, une caisse.

La doctrine différait peu du manifeste de 1848, l'organisation ressemblait à l'Internationale; la tentative de Marx, avortée sous le nom de communisme et sous la forme d'une société internationale, aboutissait enfin sous le nom de collectivisme et sous la forme d'un parti national. La création de ce parti en Allemagne fut un événement international. Pour la première fois dans un grand État se formait un parti ouvrier socialiste dirigé par une organisation permanente (un gouvernement central, un parlement annuel, un journal officiel), disposant d'un budget régulier, opérant au nom d'un programme défini, à la fois doctrinal et pratique, et tenant une place permanente parmi les partis politiques. Ce parti allemand allait fournir le modèle aux socialistes des autres pays; comme il conservait l'esprit international de son fondateur, il reprit par l'exemple et la propagande l'œuvre manquée de l'Internationale.

l'œuvre de la classe ouvrière, en face de laquelle toutes les autres classes ne sont qu'une masse réactionnaire. Le parti... s'efforce par tous les moyens légaux d'obtenir l'Etat libre et la société socialiste, la rupture de la loi d'airain du salaire par l'abolition du système du travail salarié, la suppression de l'exploitation sous toute forme, la disparition de toute inégalité sociale et politique. Le parti... bien qu'agissant d'abord dans le cadre de l'État national, a conscience du caractère international du mouvement. »

Les partis anarchistes. furent longtemps que des noms injurieux appliqué aux révolutionnaires par leurs ennemis. Proudhon le premier donna le nom d'anarchie à son système. Autant qu'on peut tirer une formule positive de ses œuvres, avant tout critiques et polémiques, son idéal était une fédération d'associations volontaires d'ouvriers et de cultivateurs sans gouvernement politique. Parmi les révolutionnaires de 1840 à 1848 quelques-uns marquèrent une tendance analogue ', mais ils ne formèrent pas de parti.

Les mots anarchie et anarchiste ne

Le créateur du parti anarchiste fut Bakounine, officier russe, devenu disciple de Proudhon pendant son séjour à Paris (1843-1847), révolutionnaire militant, un des chefs de l'insurrection de Dresde en 1849, déporté en Sibérie, échappé, et réfugié à Londres (1860) où il collabora au Journal de Herzen, puis en Suisse. Il prit à Proudhon l'idée de l'anarchie et de la fédération, mais il y joignit la haine des institutions civilisées et l'appel systématique à la violence pour les détruire. Il déclarait les classes opprimées incapables de s'émanciper par elles-mêmes; si elles reconstruisaient une nouvelle société, elles la feraient aussi oppressive que l'ancienne; il faut donc s'abstenir de toute création positive et se borner à « déchaîner tout ce qu'on appelle les mauvaises passions et détruire tout ce qui dans la même langue s'appelle l'ordre public. » La tactique doit consister à exciter des émeutes.

L'Alliance de la démocratie socialiste créée par Bakounine en 1868 eut des statuts secrets et un programme anarchiste; elle demandait non seulement l'égalité complète de tous et la collectivité de la terre et des instruments de travail, mais « la révolution universelle, sociale, philosophique, économique et politique »; il s'agissait de <«< détruire tous les États et toutes les Églises avec toutes leurs institutions religieuses, politiques, juridiques, financières, policières, universitaires, économiques et sociales ».

L'Alliance entra (1869) dans l'Internationale (voir p. 694), puis en sortit avec Bakounine (1872). Elle se composait des révolutionnaires. des pays romans, des membres les plus indisciplinés et les plus violents de l'Internationale, de la section italienne, de la section espagnole qui prit part aux insurrections cantonalistes (voir p. 295), d'une section belge et de la Fédération jurassienne, recrutée parmi les ouvriers horlogers du canton de Neuchâtel, section peu nombreuse, mais très active. Elle tint des Congrès (1872, 73, 74, 76, 77).

1. Hess et Grün en Allemagne, Marr en Suisse.

Peu nombreux et vivement combattus par les socialistes, les anarchistes ne se recrutèrent guère que dans les pays où le parti socialiste n'était pas encore organisé. Mais ils acquirent une action politique disproportionnée à leur force en adoptant le procédé des terroristes russes, les attentats par explosion; ils en firent la théorie, qui leur donna une notoriété universelle. Les partis révolutionnaires n'avaient jusque-là employé les actes de violence que pour produire un effet déterminé en détruisant un individu gênant. La théorie anarchiste considéra l'acte, même sans but précis, comme un procédé de publicité qui attirait l'attention du public sur les vices de la société et le forçait à réfléchir; c'était la propagande par le fait.

Le parti anarchiste, par la nature même de sa tactique, s'est mis hors d'état de se constituer en parti permanent; dès qu'un groupe actif est formé dans un pays, il se signale par ses actes au gouvernement et ne tarde pas à être exterminé; il ne reste que des anarchistes littéraires que le gouvernement tolère en les entourant d'espions. En outre, la plupart des anarchistes répugnent par tempérament et par doctrine à accepter une autorité même volontaire; ils forment des « groupes » de « compagnons » plutôt que des partis et n'opèrent pas de concert. En fait leur action politique s'est bornée aux réactions provoquées par leurs actes de propagande, et leur histoire se réduirait au récit de manifestations individuelles dans différents pays.

Les débris de l'Alliance et le « groupe » de Paris tinrent à Londres (1881) un Congrès qui déclara « nécessaire par tous les moyens possibles de répandre par l'action l'idée révolutionnaire et l'esprit de révolte dans la grande masse du peuple, qui ne prend encore aucune part active au mouvement et se fait illusion sur la moralité et l'efficacité des moyens légaux. Il recommanda l'étude de la chimie « qui a déjà rendu de grands services à la cause révolutionnaire ». Un mouvement anarchiste se produisit en France de 1879 à 1882, dans le Sud-Est (Lyon, Saint-Étienne) et à Paris, marqué surtout par les manifestations de doctrine de deux écrivains, Kropotkine et E. Reclus, et par l'explosion de Lyon suivie d'une répression (1882). Le mouvement anarchiste produit en Autriche par Most et Peukert (1882-85) fut écrasé par des lois spéciales et des arrestations en Les derniers mouvements anarchistes se sont produits à Paris (1892-94), en Italie, en Espagne et à Barcelone. — Dans les pays allemands le mouvement s'est heurté au parti socialiste. - En Angleterre, Londres sert de refuge aux anarchistes étrangers, mais il ne s'y est fait aucun acte anarchiste.

masse.

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Formation des partis socialistes nationaux. Les socialistes allemands, pour conquérir le pouvoir politique nécessaire à la révolution sociale, avaient renoncé provisoirement à l'organisation internationale et s'étaient constitués en parti national avec une organisation électorale et parlementaire.

Les autres pays les ont imités peu à peu. L'évolution a été retardée d'abord par la résistance des anarchistes de l'Alliance, puis par les divisions intestines entre socialistes, et les mesures de répression des gouvernements. Mais presque partout il s'est formé un parti ouvrier socialiste sur le modèle du parti allemand et avec son programme. En Autriche, après la destruction des anarchistes, le « part ouvrier social démocratique » s'est constitué (1888) avec un programme collectiviste international et une organisation formée comme en Allemagne d'un congrès, d'un directoire et d'un contrôle; il a manifesté surtout pour le suffrage universel et la journée de huit heures. Dans les trois pays scandinaves, en Hollande, en Belgique, le parti s'est constitué à l'allemande. En Pologne, le parti, formé en 1882 dans les villes de fabrique de la Pologne russe, a été écrasé en 1885; il s'en est reformé un autre (1892-93) avec un programme collectiviste imité de l'Allemagne; mais c'est un parti patriote polonais qui demande la reconstitution de la Pologne sous forme de république démocratique. En France et dans les pays romans, le programme collectiviste a pénétré peu à peu tous les partis révolutionnaires; mais ils n'ont pas adopté une organisation régulière et une direction centrale.

Le parti allemand, obligé de dissoudre son organisation officielle et de tenir ses congrès à l'étranger (voir p. 472) pendant toute la durée des lois d'exception (1878-90), profita du retour au droit commun pour se réorganiser. Il prit le nom de parti social démocratique (1890), rétablit l'organisation par groupes locaux (d'ordinaire constitués sous forme de comités électoraux), avec des hommes de confiance élus, et décida d'organiser la propagande socialiste dans les campagnes. - Le Congrès d'Erfurt (1891) a revisé le programme. Le nouveau programme supprime les passages qui rappelaient la doctrine de Lassalle et développe beaucoup plus largement la théorie de Marx, que l'évolution naturelle fait disparaître la propriété et prépare le collectivisme. Le parti se donne pour but d'organiser la lutte des classes en faisant prendre conscience de cette lutte à la

1. Le parti... est un parti international, il condamne les privilèges de nations, comme ceux de naissance, de sexe, de possession, et déclare que la lutte contre l'exploitation doit être internationale comme l'exploitation elle-même.

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