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eux et avec l'Angleterre; Talleyrand obtint de faire entrer la France. dans la combinaison, et la quadruple alliance fut conclue (avril 1834). Les puissances s'engageaient à expulser du Portugal les deux prétendants (voir p. 282), l'Angleterre avec sa flotte, l'Espagne avec son armée; la participation de la France serait réglée plus tard s'il y avait lieu; pour l'Espagne le traité ne stipulait aucune intervention: Palmerston n'avait pas voulu fournir à la France cette occasion de s'implanter dans la péninsule.

Palmerston présenta la quadruple alliance comme une ligue des quatre monarchies constitutionnelles de l'Ouest qui faisait contrepoids à la ligue des trois monarchies absolutistes de l'Est. Ce fut une manifestation plutôt qu'un acte effectif. Elle n'eut guère de résultat qu'en Portugal.

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Question d'Orient (1832-1833). Le tsar, depuis le traité de 1829, avait gardé l'Empire ottoman sous son influence (voir p. 591). La France soutenait Méhémet-Ali, pacha d'Egypte l'opinion le regardait comme le futur régénérateur de l'Empire ottoman et le fidèle allié de la France.

Palmerston déclarait l'intégrité de l'Empire ottoman indispensable aux intérêts de l'Angleterre; c'était pour lui un dogme qui ne se discutait pas. Il se défiait de Méhémet-Ali, lui attribuant le projet de créer un royaume arabe. L'expédition d'Ibrahim en Syrie, puis la marche de l'armée égyptienne en Asie Mineure (voir p. 592) firent une vive impression sur l'opinion (1832). Le Sultan, n'ayant pu obtenir de secours des États maritimes, s'adressa à la Russie qui envoya des troupes (avril 1833).

La France et l'Angleterre, en effrayant le Sultan, parvinrent à lui faire accepter les conditions de Méhémet-Ali. La Russie laissa faire, mais profita de l'irritation du Sultan pour obtenir le traité d'alliance d'Unkiar-Skelessi (juill. 1833), (voir p. 592).

L'Angleterre et la France furent informées et protestèrent, mais ne purent s'entendre pour opérer ensemble contre la Russie. Les réfugiés et l'alliance des monarchies absolutistes (1833). Les trois puissances de l'Est, Russie, Autriche, Prusse, mécontentes de l'intervention des États de l'Ouest en Belgique, en Espagne et en Portugal, inquiètes de l'agitation des révolutionnaires polonais, allemands, italiens, réfugiés en Suisse et en France, se concertèrent pour faire une manifestation contre la Révolution. Ce fut l'entrevue de Münchengrætz (sept. 1833) entre l'empereur d'Autriche, le tsar et le prince royal de Prusse. On y rédigea un manifeste, mais le roi de Prusse refusa de le signer de peur d'être engagé à une

guerre, et on se contenta du traité secret de Berlin (15 oct. 1833). Les trois souverains, « en considération des dangers dont l'ordre des choses établi en Europe par le droit public et les traités, spécialement ceux de 1815, continue à être menacé », se déclaraient << unanimement résolus à raffermir le système de conservation qui constitue la base immuable de leur politique ». En conséquence, ils « reconnaissaient que tout souverain indépendant a le droit d'appeler à son secours dans les troubles intérieurs comme dans les dangers extérieurs de son pays tel autre souverain indépendant qui lui paraît le plus propre à l'assister, et que ce dernier a le droit d'accorder ou refuser ce secours selon ses intérêts et ses convenances. Dans le cas où cette assistance serait accordée, aucune puissance non invoquée... par l'État menacé n'a le droit d'intervenir, soit pour empêcher l'assistance, soit pour agir dans un sens contraire. Dans le cas où l'assistance matérielle d'une des trois cours aurait été réclamée et qu'une puissance quelconque voulût s'y opposer par la force des armes, les trois cours considéreraient comme dirigé contre chacune d'elles tout acte d'hostilité entrepris dans ce but ». C'était un engagement de maintenir la doctrine d'intervention formulée en 1820, une ligue de l'Est opposée à celle de l'Ouest.

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Après la mort de l'empereur François, l'entente entre les trois cours fut renouvelée par deux entrevues, à Kalisch en Pologne et à Teplitz (1835). On s'accorda à ne publier aucun manifeste. « Ce que veulent les trois cours est généralement connu, écrivait Metternich, le redire est inutile et ne pourrait avoir d'autre résultat que d'affaiblir leur situation inexpugnable. »>

Rupture de l'alliance entre la France et l'Angleterre (1836-40). - L'entente entre la France et l'Angleterre établie en 1830 se disloqua d'elle-même par la différence d'intérêts des gouvernements.

1° Tous deux étaient des gouvernements parlementaires censitaires, obligés de tenir compte des passions de la bourgeoisie. Or dans les deux pays le souvenir des longues guerres entre la France et l'Angleterre était encore vivace. Le héros national était en Angleterre Wellington, le vainqueur de Waterloo, en France Napoléon,

1. Metternich, dès 1833, parle avec mépris de la monarchie de juillet. « Ce trône n'a rien créé..., tout ce qu'il peut faire c'est de se soutenir lui-même. Son seul produit, c'est celui du soi-disant principe de non-intervention,... la seule invention qu'ait produite la capitale de la propagande..., moyen négatif de maintenir d'autres États dans la nullité d'action que lui commande sa propre position. »

l'ennemi mortel des Anglais. En ce temps où les pauvres seuls formaient l'armée, la bourgeoisie française libérale parlait volontiers de guerres et de conquêtes, pour déchirer les odieux traités de 1815 et reprendre les « frontières naturelles », le Rhin et les Alpes. Le Parlement anglais de même aimait à entendre vanter la gloire de l'Angleterre, sa domination sur les mers, sa prépondérance en Europe; le patriotisme anglais consistait à n'estimer que ce qui était insulaire, à employer continental comme terme de mépris. La difficulté s'accrut quand les grandes questions politiques qui avaient d'abord absorbé l'attention des partis eurent été à peu près réglées, en Angleterre après les réformes, en France après l'affermissement de la monarchie. La politique intérieure, devenue stagnante, cessa de passionner le public et d'alimenter les journaux; l'intérêt se porta sur les affaires étrangères; la presse les discuta avec ardeur; l'opposition, surtout en France, ne trouvant plus à l'intérieur de matière pour exciter la bourgeoisie contre le gouvernement, se porta sur la politique extérieure, où elle chercha à exalter l'amour-propre national. Entre ces deux nations jalouses et gonflées d'amour-propre la rivalité était continuelle et les froissements incessants. Les gouvernements, sous peine d'une impopularité dangereuse, devaient être toujours prêts à soutenir « l'honneur national», ce qui signifiait en pratique refuser tout ce que demandait la nation rivale. Ces sentiments suffisaient à rendre l'accord difficile. 2° Louis-Philippe désirait se faire accepter des souverains légitimes et, par des alliances avec les vieilles dynasties, faire entrer sa famille dans la société monarchique; il travaillait personnellement à rentrer en grâce auprès des monarchies de l'Est qui donnaient le ton à toutes les cours d'Europe, et à se dégager de l'union compromettante avec les ministères libéraux d'Angleterre.

Le refroidissement devint apparent dès 1836. Dans les pays où la France et l'Angleterre étaient intervenues ensemble, Grèce, Espagne, Portugal, chacune soutenait un parti soumis à son influence, et ses agents l'excitaient secrètement contre le parti de l'autre.

Le désaccord se manifesta surtout en Espagne. Louis-Philippe soutenait sa parente Christine et les modérés (voir p. 280). L'Angleterre prit parti pour les progressistes.

Le gou vernement espagnol, très menacé par les carlistes, demanda secours à la quadruple alliance (1836). Louis-Philippe promit, mais les progressistes ayant pris le pouvoir par une révolution (voir p. 281), il rompit avec Thiers (voir p. 131) et resta neutre entre Isabelle et don Carlos.

Louis-Philippe se rapprocha des puissances de l'Est. Il voulait marier son fils aîné le duc d'Orléans et l'envoya faire une visite aux cours de Prusse et d'Autriche; à Vienne le duc fut froidement reçu, la noblesse autrichienne, légitimiste, ne se montra pas; il demanda une fille d'archiduc, qu'on lui refusa. Louis-Philippe froissé se résigna à accepter une princesse proposée par le roi de Prusse, Hélène de Mecklembourg, qui devint duchesse d'Orléans.

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Question d'Orient et Convention des Détroits (1839-41). La rupture officielle entre la France et l'Angleterre se fit sur la question d'Orient. Toutes les grandes puissances annonçaient l'intention de maintenir l'intégrité de l'Empire ottoman; la France seule n'avait pas de politique arrêtée; elle hésitait entre le Sultan, son allié traditionnel, et Méhémet-Ali, son protégé.

La question fut peu à peu embrouillée par les intrigues personnelles des représentants de l'Angleterre. Le Sultan Mahmoud, poussé par l'ambassadeur anglais Ponsonby, voulut prendre une revanche de la défaite de 1832, et ordonna à son armée d'envahir la Syrie (1839); l'armée égyptienne était à la frontière (voir p. 593). L'Angleterre et la France, opérant encore de concert, voulurent imposer une trêve aux deux partis, mais quand l'envoyé français arriva à Constantinople pour arrêter les hostilités, Ponsonby refusa de l'aider, parce qu'il n'avait pas d'instructions; le gouvernement turc en conclut que l'Angleterre voulait la guerre et donna l'ordre de marcher. L'armée ottomane fut mise en déroute (juin 1839); puis l'amiral ottoman, passant du côté du vainqueur, emmena la flotte se joindre à celle de Méhémet-Ali (juill.). Mahmoud venait de mourir; Khosrew, au nom du nouveau sultan Abdul-Medjid, offrit la paix. Méhémet refusa de négocier avec lui.

Le tsar allait intervenir en vertu du traité de 1833. Pour l'empêcher d'opérer seul, les autres puissances déclarèrent au Sultan qu'elles prenaient en main la question et l'engagèrent à attendre pour négocier le résultat de leurs démarches (24 juill.). Mais sur les conditions à imposer à Méhémet-Ali l'accord se rompit entre la France et l'Angleterre. Palmerston voulait exiger la restitution de la flotte turque et proposait de la réclamer par un ultimatum, le gouvernement français refusa.

Palmerston, changeant de tactique, entra en négociations avec les puissances de l'Est, l'Autriche d'abord, lui offrant de sommer Méhémet de rendre la flotte et, s'il refusait, de bloquer les côtes d'Égypte et de Syrie; il ajoutait qu'au besoin l'Angleterre agirait << avec moins de quatre puissances ». Le tsar, saisissant l'occasion

d'isoler la France, envoya offrir à l'Angleterre sa coopération : il renonçait à son traité séparé de 1833 avec le Sultan et se déclarait prêt à opérer de concert avec tous les alliés, mais de préférence sans la France (sept. 1839).

Palmerston proposa l'entrée simultanée des trois flottes, anglaise, française, russe; le gouvernement français (Soult) accepta. Mais la Chambre s'étant réunie (janv. 1840), le ministère Soult tomba et l'opinion française se prononça nettement contre tout ultimatum à Méhémet-Ali.

Palmerston finit par négocier en dehors de la France. Les quatre autres puissances conclurent entre elles et avec le Sultan le traité de Londres (15 juill. 1840) qui réglait l'ultimatum à imposer à Méhémet-Ali le Sultan ne lui offrait que l'Égypte héréditaire et une partie de la Syrie en possession viagère, et à condition qu'il acceptât dans les dix jours; passé ce délai on lui retirait la Syrie, et dix jours après le Sultan ne s'obligeait plus à rien. Les puissances s'engageaient à faire admettre ces conditions par la force.

Comme en 1815, la France se trouvait isolée en face des quatre alliés; leur décision prenait l'aspect d'un ultimatum adressé à la France par-dessus la tête de Méhémet-Ali; la question d'Orient devenail une question d'honneur national. Les Chambres s'exaltèrent (voir p. 133), on parla de recommencer la lutte contre l'Europe, de déchirer les traités de 1815, même de reconquérir la frontière du Rhin, ce qui amena en Allemagne un contre-mouvement (voir p. 369). Le ministère Thiers, qui ne se soutenait que par le sentiment national', commença des armements, et l'Autriche et la Prusse conclurent des arrangements pour le cas d'une guerre (nov.). Mais nit Louis-Philippe ni la Chambre ne voulaient de la guerre. MéhémetAli avait repoussé l'ultimatum. La France rappela sa flotte à Toulon et laissa les puissances opérer contre lui librement.

Une escadre anglaise, autrichienne et turque bombarda les ports de Syrie, détruisit en trois heures Saint-Jean-d'Acre, qui passait pour imprenable, puis vint bloquer Alexandrie. Méhémet, abandonné de la France, se soumit (nov. 1840). Les alliés consentirent alors à annuler le traité de Londres et à le remplacer par un traité général de toutes les puissances avec le Sultan, la Convention des

1. Avant la rupture avec l'Angleterre il avait demandé à Palmerston — qui l'accorda volontiers la permission de ramener en France le corps de Napoléon I" enseveli à Sainte-Hélène. Le prince de Joinville fut envoyé pour le chercher; quand il revint, le ministère Thiers était tombé, et la translation des cendres de Napoléon aux Invalides ne fut qu'une cérémonie officielle.

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