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triche et l'Italie armeraient en conservant la neutralité. Lebrun fut reçu en audience privée par l'empereur d'Autriche, qui lui dit ne pouvoir s'engager à déclarer la guerre en même temps que la France (juin). Napoléon sembla avoir renoncé à la guerre, car le ministre de la guerre demanda à la Chambre 10 000 hommes de moins et Ollivier déclara que la paix n'avait jamais été plus assurée, les gouvernements ayant tous compris la nécessité de respecter les traités sur lesquels reposait la paix de l'Europe, celui de Paris pour l'Orient, celui de Prague pour l'Allemagne (30 juin).

Déclaration de guerre (1870). La paix semblait assurée, Napoléon était malade, le gouvernement prussien en vacances, quand un incident diplomatique amena brusquement une complication qui en quelques jours aboutit à la guerre entre les deux premières puissances militaires de l'Europe.

Depuis 1869 le gouvernement provisoire d'Espagne cherchait un roi (voir p. 293). Il offrit le trône à un prince catholique, Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, allié à la famille impériale de France. La proposition fut faite quatre fois au père du prince; il refusa trois fois, la quatrième fois, il accepta (juill. 1870). Le gouvernement

1. Deux diplomates français, le duc de Gramont et Chaudordy, ont donné de ces négociations une interprétation qui a été adoptée en France par une partie de l'opinion et propagée par les historiens allemands adversaires de Beust (Oncken), disposés à croire à un complot secret préparé contre la Prusse. Gramont a dit que la France, avant de déclarer la guerre, s'était assuré l'aide de l'Autriche et de l'Italie; elle avait sinon un traité en forme, du moins la promesse que l'Autriche la soutiendrait; la neutralité n'était qu'un moyen de se donner le temps de mobiliser. - Chaudordy a raconté que Gramont a discuté (entre le 15 juillet et le 4 août 1870) avec les ambassadeurs et les attachés militaires autrichiens (Metternich et Vitzthum) et italiens (Nigra et Vimercati); on serait convenu d'une neutralité pour donner le temps d'armer à l'Autriche et à l'Italie qui devaient entrer en campagne en septembre, à condition qu'une armée française fût entrée en Allemagne du Sud. - Cette interprétation s'appuie sur deux phrases ambigues d'une lettre de Beust à l'ambassadeur autrichien (20 juill. 1870). — Quant à l'Italie, le prince Jérôme a déclaré que l'alliance s'est heurtée au désaccord sur la question romaine. Il n'y a donc aucune preuve que la triple alliance ait jamais été autre chose qu'un projet. (Voir Sybel, Begründung des deutschen Reiches, t. VII).

2. L'idée fut émise d'abord par Salazar, député espagnol unioniste (févr. 1869): 1° Proposition faite au père du prince, qui refusa (printemps 1869); l'agent français en Prusse, Benedetti, en fut informé et interrogea Bismarck qui parut considérer le refus comme certain. - 2o Proposition portée secrètement en Suisse au père du prince, qui avant toute négociation demanda l'assurance que Guillaume et Napoléon approuveraient et qui en informa Napoléon (sept. 1869). — 3° Proposition portée secrètement avec deux lettres personnelles de Prim à Guillaume et à Bismarck (févr. 1870); Guillaume conseilla de refuser; Bismarck, partisan de l'acceptation, tomba malade et partit pour la campagne. - 4° Proposition du gouvernement espagnol (14 juin); le prince accepta.

français, prévenu dès 1869 des négociations, fut averti officiellement par l'Espagne; il ne répondit pas directement, pour éviter de froisser le sentiment national des Espagnols en paraissant les empêcher de choisir librement leur roi. Il s'adressa au gouvernement prussien, lui déclarant que ce choix faisait mauvaise impression en France. L'opinion regardait l'avènement d'un Hohenzollern en Espagne comme une provocation et une menace de la Prusse; la France, disait-on, ne pouvait pas supporter la reconstitution de l'empire de Charles-Quint. A Berlin, on disait au contraire que le choix d'un souverain espagnol ne regardait pas le gouvernement prussien; c'était une affaire privée de la famille des Hohenzollern, et Guillaume n'avait pas d'autorité sur la branche des Sigmaringen '.

A la Chambre française, on demanda à poser une question sur la candidature d'un Hohenzollern en Espagne. Le ministère français, en grande majorité partisan de la paix, rédigea une réponse pacifique. Mais Gramont, qui considérait l'affaire comme une intrigue de Bismarck, fit ajouter une phrase à l'adresse de la Prusse; elle fut reçue par des acclamations patriotiques à la Chambre (6 juin), et les journaux commencèrent à parler de la guerre.

Les puissances européennes désapprouvaient la candidature du prince et désiraient maintenir la paix; le gouvernement anglais engagea le gouvernement espagnol à retirer son offre. Napoléon personnellement chargea le roi de Belgique d'engager le prince à retirer son acceptation. Le prince la retira (12 juillet) par une déclaration officielle. On crut l'affaire terminée, Ollivier annonça que la paix était assurée, la rente monta de 2 francs.

Mais Gramont avait déjà posé la question sur un nouveau terrain et créé une nouvelle complication. Convaincu que le prince de Hohenzollern n'agissait que sous la direction secrète du roi de Prusse, il fit demander à Guillaume d'interdire au prince d'accepter cette candidature offensante pour la France. « Personne, dit-il, ne croira qu'un prince prussien puisse accepter la couronne espagnole

1. On a donné de ces faits deux interprétations opposées. Les Allemands, qui croyaient à un coup monté d'avance entre les trois puissances catholiques pour faire la guerre à la Prusse, ont regardé la rès stance subite du gouvernement français à la candidature Hohenzollern comme un prétexte pour se procurer un casus belli. - L'opinion française au contraire a cru à une ruse de Bismarck pour piquer l'amour-propre du gouvernement français et l'entraîner à la guerre. La démonstration de Sybel établit qu'aucune des deux interprétations ne peut être prouvee. Mais une indication du roi de Roumanie (Charles de Hohenzollern) en 1894 donne à penser que la candidature a été un instrument pour la politique de la Prusse.

sans l'autorisation du roi, chef de la famille... Si le roi n'a pas permis, qu'il interdise » (7 juillet). Le roi était aux eaux d'Ems; le gouvernement français envoya Benedetti l'y relancer. Le roi répondit que l'affaire ne regardait pas son gouvernement, et que lui n'avait rien à interdire au prince. Gramont, convaincu que le roi de Prusse essayait de trainer en longueur pour se donner le temps de préparer la guerre, voulut l'obliger à se démasquer et ordonna d'exiger une réponse catégorique. Il s'agissait de montrer à l'Europe que la Prusse avait mené cette affaire et que la France l'avait forcée à reculer. Le roi, au contraire, se maintenait dans l'attitude d'un témoin désintéressé; il dit qu'il attendait la réponse du prince (11 juill.). Après la renonciation (12 juill.), Gramont, n'ayant plus de motif d'exiger une interdiction, voulut obtenir du roi une déclaration pour satisfaire l'honneur national français; à la Chambre, le groupe de la Droite belliqueuse annonçait une interpellation sur les garanties prises pour l'avenir. Le gouvernement envoya donc Benedetti dire au roi que la renonciation n'étant pas une réponse suffisante aux réclamations et encore moins une garantie pour l'avenir, le roi devait promettre qu'il ne permettrait plus au prince de reprendre la candidature. Cependant le conseil des ministres français repoussa la mobilisation demandée par le ministre de la guerre.

L'acte décisif se passa à Ems (13 juillet). Le roi était dans le parc. Benedetti vint le matin lui communiquer la demande de garantie. Le roi répondit : « Vous exigez un engagement sans limite de temps et pour tous les cas, je ne puis le prendre ». Benedetti insista; le roi finit par dire qu'il repoussait une fois pour toutes cette exigence inattendue. Puis arriva une dépêche de l'ambassadeur prussien disant que Napoléon faisait demander au roi de lui écrire une lettre personnelle pour l'assurer qu'il n'avait pas voulu porter atteinte aux intérêts de la France. Guillaume, irrité, décida de ne plus recevoir Benedetti et lui fit dire par son aide de camp que la lettre du prince de Sigmaringen était arrivée, confirmant la renonciation, et qu'il regardait l'affaire comme terminée. Benedetti insista pour avoir une audience; l'aide de camp répondit que le roi en restait à sa déclaration du matin.

Bismarck, revenu de la campagne à Berlin, irrité des déclarations de Gramont et des articles des journaux français, annonçait à l'ambassadeur anglais l'intention de réclamer de la France des explications et des garanties. Il reçut par télégraphe le récit de l'entrevue d'Ems, avec autorisation de le communiquer à la presse. Il le publia aussitôt dans son journal officieux (Gazette de l'Allemagne du Nord)

HIST. POLITIQUE DE L'EUROPE.

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sous une forme abrégée et précise qui faisait ressortir nettement le refus du roi de répondre aux réclamations de Benedetti.

L'article envoyé dans toute l'Europe rendit la rupture inévitable. Il fut accueilli en Allemagne comme une manifestation nationale, en France comme une insulte. Le conseil des ministres, tenu le matin du 14 juillet, avait cherché encore à maintenir la paix; il songea au moyen favori de Napoléon, un congrès des puissances pour établir le principe de l'exclusion de tous les princes de famille royale. Un conseil des ministres, tenu à dix heures du soir (à Saint-Cloud), discutait encore quand Gramont reçut et lut une dépêche qui fit décider immédiatement la mobilisation; c'était la nouvelle de l'insulte faite à la France. La guerre fut annoncée le lendemain (15 juillet) à la Chambre par la réponse à l'interpellation sur les garanties. Le gouvernement déclara qu'il avait appelé les réserves et demanda le vote d'un crédit de mobilisation. Une commission, nommée aussitôt, entendit le ministre de la guerre, qui se déclara prêt; Gramont lui donna des explications sur l'insulte et laissa entendre qu'on pouvait compter sur l'Autriche et l'Italie. Puis la Chambre vota les crédits. Le même jour, à Berlin, à la nouvelle de la déclaration de Gramont, le roi ordonna la mobilisation.

La France déclara la guerre officiellement le 19 juillet.

BIBLIOGRAPHIE

Pour la bibliographie, les documents et travaux d'ensemble, voir chap. xxv. Les souvenirs de diplomates sont nombreux pour cette période.

Documents. Outre les mémoires et correspondances indiqués au chap. XXVI (Malmesbury, Stockmar, Martin), les principaux documents sont :

Pour la Prusse; Poschinger, Preussen im Bundestag, 1851-59, 1882-84, extraits des archives prussiennes; Hahn, Fürst Bismarck, 5 vol., 1878-91 (voir bibl, du chap. xv); Sybel, Begründung des deutschen Reiches (voir plus bas).

1: Bismarck s'étant vanté plus tard d'avoir modifié la rédaction de la note pour rendre la guerre inévitable, les socialistes allemands lui ont reproché d'avoir falsifié la dépêche d'Ems, et la presse française a répété cette accusation. Il suffit de comparer les deux textes pour constater qu'il n'y a pas eu falsification. La dépêche envoyée à Bismarck (par Abeken) au nom du roi est dans une forme confidentielle et obscure qui ne se prêtait pas à la publication et se termine ainsi : « S. M. laisse à juger à V. Exc. si la nouvelle exigence de Benedetti et notre refus ne doit pas être communiqué à notre ambassadeur et à la presse ». — La note publiée par Bismarck n'ajoute rien qui ne soit dans la dépêche; elle ne fait que l'abréger.

2. Sur la nature de cette insulte il est toujours resté une obscurité. Les historiens allemands la confondent avec l'article sur l'entrevue d Ems. Une tradition orale dans le monde diplomatique français attribue au roi Guillaume une phrase telle qu'on n'aurait jamais osé la publier.

Pour l'Italie Bianchi, Storia docum. della diplom. europ., 8 vol., 1865-72 (voir bibl. du chap. x1); M." Rattazzi, Rattazzi et son temps, 1881; La Marmora, Un peu plus de lumière sur... l'année 1866, trad. de l'ital., 1873. Guiccioli, Quintino Sella, 1887 (pour la période 1867-70).

Pour la France: D'Harcourt, Les quatre ministères de Drouyn de Lhuys, 1882 (parti de l'alliance autrichienne); L. Thouvenel, Nicolas Ier et Napoléon III, 1852-54, 1891; Le secret de l'Empereur... 1860-63, 2 vol., 1889; la série des Souvenirs diplomatiques de Rothan (voir Waitz, Quellenk., no 6356); l'auteur, consul français en Allemagne, a recueilli la tradition diplomatique; (pseudon. de Gramont), L'Allemagne nouvelle (1863-67), 1879. Pour l'Autriche Beust, Aus drei Vierteljarhunderten, 2 vol., 1887. thum von Eckstätt, Sanct-Petersburg und London, 1852-64, 1888; London, Gastein und Sadowa, 1864-66, 1889, souvenirs d'un attaché autrichien.

A. Memor

Vitz

Pour les Cobourg : Ernst II von Sachsen-Coburg-Gotha, Aus meinem Leben..., 3 vol., 1887-89.

Sur les origines de la guerre de 1870 Gramont, La France et la Prusse..., 1872. Benedetti, Ma mission en Prusse, 1871; - les documents de la Commission d'Enquête sur la guerre, 1872; - Revue des Deux Mondes, 1878, art. du prince Napoléon. Lebrun, Souvenirs militaires, 1895; Aus dem Leben Konigs Karls von Rumanien, t. II, 189 (mémoires du roi de Roumanie, Charles de Hohenzollern), fournissent tous deux des détails inconnus à Sybel.

Travaux. HISTOIRES D'ENSEMBLE. Coll. Oncken: Bulle, Gesch. des zweiten Kaiserreiches und d. K. Italien, 1890; - Bamberg, Gesch. der orientalischen Angelegenheit (de 1856 à 1878), 1892; dans tous deux trop peu de références; Oncken, Zeitalter des K. Wilhelms, 2 vol., 1890-92, plus scientifique, très prussien.

H. von Sybel, Die Begründung des deutschen Reiches durch Wilhelm 1, 7 vol., 1889-94, arrêté à 1870 par la mort de l'auteur, est l'ouvrage le plus considérable pour l'histoire extérieure; gêné par un respect officiel pour le gouvernement prussien et une recherche de la forme littéraire. Friedjung, Der Kampf um die Vorherrschaft in Deutschland, 1859-66, t. I, 1897, en cours de publication, autrichien. Jerrold, Life of Napoleon, 4 vol., 1874-82. - En outre, les histoires nationales indiquées au chap. XXVI, Walpole, Springer, Reuchlin, Rosen, et, pour la France, Taxile Delord, Histoire du Second Empire, 6 vol., 1870.

ÉPISODES. Guerre de Crimée: Geffcken, Zur Gesch. des orientalischen Krieges, 1881; Kinglake, Invasion of Crimea, 3o éd., 5 vol., 1863, trad. fr.; L'invasion de la Crimée, 4 vol., 1869, anglais, principale histoire; C. Rousset, Hist. de la guerre de Crimée, 2 vol., 1877; Totleben, Défense de Sébastopol, 4 vol., 1863,

russe.

Guerre d'Italie Campagne de... Napoléon III en Italie, 1862, public. du gouvernement français; Der Krieg in Italien 1859, 1859, 3 vol., 1872-76, public. de l'état-major autrichien; Lecomte, Relation... de la campagne d'Italie, 2 vol., 1860, suisse.

Guerre des duchés voir Waitz, Quellenkunde, nos 6275 à 6286. Il y a deux histoires officielles : Der deutsch-dänische Krieg 1864, 2 vol., 1886-87, état-major prussien; Den Dansk-Tydske Krieg, 1808-92, état-major danois.

Négociations entre les deux guerres : J. Klaczko, Les préliminaires de Sadowa, 1860; J. Vilbort, L'œuvre de M. de Bismarck, 1863-66, 1869.

Guerre de 1866: voir Waitz, Quellenkunde, no 6321 à 6347. Il y a deux histoires officielles des deux états-majors: autrichien, 1867-69, prussien, 1868; en français; Rüstow, La guerre de 1866 en Allemagne et en Italie, 1866; Lecomte, Guerre de la Prusse en 1866, 2 vol., 1868, suisse; Crousse, Les luttes de l'Autriche en 1866, 3 vol., 1868 à 70, traduction belge de l'histoire de l'état-major autrichien. Affaire du Luxembourg Rothan, Souvenirs diplom., 1882.

Le Concile Ollivier, L'Église et l'Etat au concile du Vatican, 2 vol., 1879.

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