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blée qui discuterait la paix; l'armée de l'Est restait en dehors de l'armistice (28 janv.).

2o Les préliminaires conclus à Versailles entre Bismarck et Thiers au nom de l'Assemblée nationale (26 févr.) décidèrent les conditions de la paix. Bismarck demandait toute l'Alsace, y compris Belfort, un morceau de la Lorraine et 6 milliards; Thiers, à force d'insister, obtint de garder Belfort et de réduire à 5 milliards. L'armée allemande entrerait dans Paris et y resterait jusqu'à l'acceptation. L'assemblée, par 546 voix contre 107, vola d'urgence le traité (1er mars); les Allemands n'avaient eu le temps d'occuper que les Champs-Élysées.

3° Pour le traité définitif la négociation commença à Bruxelles (fin mars). Il restait à régler le mode de paiement de l'indemnité, l'achat des chemins de fer des pays cédés, les relations de commerce. Les Allemands réclamaient le paiement en numéraire, la cession des chemins de fer sans indemnité, le retour aux traités de commerce de 1862; on ne put s'entendre. La Commune arrêta les négociations; les Allemands restèrent neutres, mais Bismarck au Reichstag parla de la nécessité de maintenir l'armée prête. Thiers inquiet reprit les négociations à Francfort (mai). Le traité de Francfort (20 mai) régla les frontières nouvelles, le mode de paiement des 5 milliards, l'époque de l'évacuation par les Allemands.

Bismarck consentit à racheter les chemins de fer à la compagnie de l'Est pour 325 millions (il en offrait d'abord 100), à accepter une partie du paiement sous forme de valeurs sûres en papier, et à renoncer au traité de commerce de 1862; mais il exigea que les tarifs de douane entre les deux nations fussent abaissés au taux de la nation la plus favorisée 2.

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Conditions nouvelles de la politique européenne depuis 1871. La guerre de France a bouleversé la politique de l'Europe. Elle a créé l'Empire allemand, c'est-à-dire l'unité de l'Allemagne sous la domination militaire de la Prusse (voir p. 157). — Elle lui a donné en Europe une prépondérance incontestable. Elle a détruit le pouvoir temporel du pape et achevé l'unité de l'Italie. — Elle a fait cesser la neutralité de la mer Noire et rouvert la question

1. Le roi avait consenti à ne pas exiger l'entrée des Allemands dans Paris; Thiers obtint Belfort en échange de l'entrée dans Paris.

2. C'est ce qu'on a surnommé en France un « Sedan industriel ». C'était le maintien du régime de semi-libre-échange essayé en Europe depuis 1860 et auquel la France a renoncé. En fait, comme on ne pouvait imposer par voie diplomatique une restriction à la législation des deux pays, le traité se borna à désigner quelques nations avec lesquelles l'égalité de droits devait être maintenue.

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d'Orient. Elle a détruit l'Empire et établi en France le premier gouvernement républicain qui ait duré. Elle a enlevé à la France. trois départements, (1 500 000 hectares, plus de 1 500 000 âmes) et créé une question d'Alsace-Lorraine.

En outre, elle a changé les idées des gouvernements et des peuples d'Europe sur la politique extérieure. Le service militaire universel, adopté par tous les grands États du continent à l'imitation de l'Allemagne, en faisant entrer dans l'armée les jeunes gens des familles riches, a intéressé personnellement les membres des gouvernements et des parlements à éviter la guerre. Le nouveau système de guerre, avec les masses énormes de troupes, l'invasion, les réquisitions, l'arrêt complet des affaires, les nouveaux engins de destruction, a rendu la guerre si redoutable que tous les peuples désirent l'éviter, et si odieuse qu'aucun homme politique n'ose plus s'en déclarer responsable. Les assemblées représentatives, devenues à la fois plus puissantes et plus démocratiques, ont tenu plus de compte des désirs de la masse pacifique de la nation et ont pesé plus fort sur les gouvernements pour les détourner de la guerre.

La volonté personnelle des souverains et des ministres, qui avait déterminé les guerres de la période précédente, a été désormais paralysée par les sentiments des peuples. L'action des hommes d'État, bien que quelques-uns depuis 1871 aient été considérables (Bismarck, Andrassy, Gortschakoff, Disraeli et Gladstone), est devenue moins sensible sur les événements. C'est en Orient seulement, dans les pays restés en dehors des conditions de la vie contemporaine, avec des souverains absolus et des armées mal exercées, qu'ont continué les guerres et les opérations diplomatiques effectives toute l'histoire politique de l'Europe depuis 1871 s'est concentrée dans la péninsule des Balkans. Dans l'Europe civilisée la diplomatie, privée de son seul procédé d'action efficace, le recours à la guerre, s'est réduite à un jeu de manifestations de sympathie ou d'antipathie. Les diplomates ont continué à combiner des alliances dépourvues de sanctions militaires; les journaux ont continué à recueillir les nouvelles à sensation, venues du monde diplomatique; le public a été maintenu dans une inquiétude permanente; mais il ne s'est plus produit aucun événement effectif.

L'invasion allemande a transformé l'image que les Français se faisaient de la guerre ils la voient sous la forme non plus d'une «<expédition » mais, d'une « invasion ». Les représentants qui dirigent la politique extérieure savent que l'énorme majorité de leurs électeurs ne veut en aucun cas une guerre offensive.

Mais le traité de Francfort, en annexant à l'Allemagne l'AlsaceLorraine, malgré la volonté formelle des habitants, a créé en Europe. une question nouvelle. Elle s'est posée confusément d'abord dans l'opinion française, sous la forme populaire de revanche c'était encore la vieille idée que la guerre est un duel entre deux peuples, où le vaincu doit mettre son honneur à recommencer. Cette formule donna aux Allemands, et peut-être à l'Europe, l'impression que la protestation des Français contre le traité de Francfort partait des mêmes sentiments qu'autrefois la haine des traités de 1815. Il est vrai qu'en 1815 l'amour-propre était seul en jeu, tandis que l'annexion des Alsaciens-Lorrains malgré eux soulevait une question de justice politique car, en violant le principe fondamental de la démocratie, elle rendait impossible de reconnaître la légitimité du traité de Francfort, comme contraire au droit des annexés. Mais la formule de la revanche mêlée à la revendication de l'Alsace-Lorraine lui donna l'apparence d'une simple réclamation de territoire, fondée seulement sur un sentiment national de rivalité. — Aujourd'hui même l'opinion française n'est pas arrivée à poser nettement la question sur le terrain rationnel du droit des peuples. Les représentants de la France, bien que désireux de maintenir la paix, n'ont jamais pu déclarer que les Français acceptaient le traité de 1871 et n'ont pas pu faire comprendre pourquoi ils ne l'acceptaient pas. Un point seulement a paru clair à l'Europe, c'est que la France, devenue l'ennemie irréconciliable de l'Allemagne, n'attendait qu'une occasion de lui faire la guerre; politique exprimée plus tard par la formule de Gambetta: << Pensons-y toujours et n'en parlons jamais ».

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Comme après 1815, la politique européenne a consisté à maintenir la France en paix. Comme l'Autriche en 1815, l'Allemagne s'est chargée de ce rôle. N'ayant plus rien à demander, « saturée 1 »>, comme autrefois l'Autriche, elle a travaillé à maintenir le statu quo, c'est-à-dire ses conquêtes et sa prépondérance. Mais l'Autriche, avec sa diplomatie sans armée, avait vite perdu sa prépondérance; l'Allemagne, en possession de la plus forte armée d'Europe, a gardé la sienne.

L'alliance des trois empereurs (1871-76). - La politique agressive de Bismarck en 1864 et 1866, les annexions de 1866 et 1870, toutes fondées uniquement sur le droit de conquête, avaient donné en Europe l'impression que l'Allemagne allait, comme autrefois Napoléon I, profiter de la supériorité incontestable de son armée.

1. Expression de Metternich, reprise par Bismarck.

pour continuer ses annexions; on s'attendait à la conquête des pays germaniques, les Pays-Bas, les États allemands d'Autriche, la Suisse allemande. L'empereur avait déclaré (proclamation du 18 janvier, discours du trône 21 mai) que l'Allemagne, désormais unie et forte, ne travaillerait plus qu'à maintenir la paix de l'Europe, mais on se défiait de ces démonstrations. Pendant quelques années, dans les petits États voisins de l'Empire, Hollande, Belgique, Luxembourg, Suisse, Danemark, l'opinion resta inquiète, en défiance des Allemands. En fait le gouvernement allemand, depuis 1871, n'a fait ni guerre ni conquête et n'est jamais sorti de son programme pacifique.

Les autres puissances reconnurent la prépondérance de l'Allemagne et les gouvernements se rapprochèrent pour manifester leur désir de maintenir la paix. L'Autriche commença; la création de l'Empire lui ôtant toute pensée de chercher à reprendre un rôle en Allemagne, elle tournait désormais sa politique vers l'Orient (suivant le conseil de Bismarck en 1862), et de ce côté elle avait besoin de l'Empire allemand pour contre-balancer la Russie. L'entente cordiale entre l'Autriche et l'Allemagne, qui a toujours duré depuis, s'annonça en 1871 par une série de manifestations: - déclaration de Beust aux Délégations d'Autriche et de Hongrie sur l'amitié de l'Autriche avec l'Allemagne et l'Italie, qui faisait de l'Europe centrale le boulevard de la paix (juillet), entrevue de Gastein entre Bismarck et Beust (août), entrevue des deux empereurs à Salzbourg (sept.). Elle fut consolidée par la chute de Beust (voir p. 313) et l'avènement aux affaires étrangères d'Andrassy, représentant de la Hongrie alliée naturelle de l'Allemagne contre les Slaves (déc. 1871).

En Russie, l'opinion, dans le parti national slave et le monde des fonctionnaires, commençait déjà à se manifester contre les Allemands. Mais le tsar, personnellement ami de l'empereur Guillaume, tenait à conserver les relations amicales commencées en 1863 pendant la lutte contre les Polonais. Il marqua ses sentiments par le toast à l'empereur où il rappela la fraternité des armées àllemande et russe et l'amitié entre les deux souverains, « la meilleure garantie pour la paix et l'ordre en Europe » (8 déc. 1871).

L'Italie, inquiète des manifestations du parti catholique en France pour le rétablissement du pouvoir temporel, commença à se rapprocher de l'Allemagne. Le mouvement se marqua par la visite du prince héritier Humbert à l'empereur, à Berlin (mai 1872).

L'entente entre les puissances se manifesta par l'entrevue des trois empereurs et de leurs ministres à Berlin (sept. 1872). Bis

marck en expliqua le sens : « L'Europe reconnaissait le nouvel Empire allemand comme le boulevard de la paix générale ». C'est ce qu'on appela improprement « l'alliance entre les trois empereurs » (aucun traité ne fut conclu). Il y eut d'autres entrevues, à l'Exposition de Vienne (1873), à Pétersbourg (1874), dans les mon— tagnes d'Autriche, Ischl (1874-75), Salzbourg (1876), en Bohême (1875-76). Le roi d'Italie vint à Vienne, à Berlin (1873), les deux empereurs lui rendirent sa visite (1875), mais ne vinrent pas à Rome à cause du pape, et l'on en resta à des relations de politesse.

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L'Angleterre et la France se tinrent en dehors, isolées, en face des monarchies du centre et de l'est. Cet état pacifique dura jusqu'aux affaires d'Orient en 1876, sans autre incident que les bruits de guerre entre la France et l'Allemagne (avril-mai 1875), dont l'histoire certaine n'est pas connue 2.

1. Je ne compte pas l'intervention d'un croiseur allemand dans la guerre civile de Carthagène (1873), ni le conflit entre l'Allemagne et la Belgique à propos des déclarations des évêques belges contre Bismarck (1875).

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2. Voici les faits non contestès. L'Assemblée nationale venait de voter une loi militaire sur les cadres de l'armée. L'état-major allemand (Moltke) déclara que cette loi ne se comprenait que si la France préparait une guerre prochaine. Le gouvernement allemand chargea son ambassadeur à Paris, Hohenlohe, de réclamer des explications; Hohenlohe se présenta un soir au ministre des affaires étrangères Decazes et lui dit : « Je suis chargé par mon gouvernement de vous déclarer qu'il regarde vos armements comme un acte menaçant; voulez-vous en prendre acte? » Decazes refusa d'en prendre acte, disant que les soupçons étaient injustes. Un journal allemand officieux (Post) publia un article Guerre en vue » qui discutait les chances d'une guerre. Vers le même temps Radowitz venait en mission spéciale de l'Allemagne auprès du tsar. Le bruit courut dans le monde diplomatique de toute l'Europe que la France était menacée de la guerre; Decazes demanda secours à Orloff, l'ambassadeur russe, et déclara que si les Français étaient attaqués, ils se retireraient derrière la Loire. Un article du Times raconta que le parti militaire prussien voulait faire déclarer la guerre, marcher sur Paris et réclamer de nouveaux milliards. En Russie, le chancelier Gortschakoff, averti par l'ambassadeur français Leflô, lui répondit : « Soyez forts! Vous êtes trop riches pour ne pas exciter l'envie. Leflo obtint une audience du tsar, lui exprima ses craintes, et lui demanda s'il couvrirait la France de son épée; le tsar répondit que sa parole suffirait, qu'il allait à Berlin et y exprimerait ses sentiments pour le maintien de la paix. Le 11 mai, le tsar voyait l'empereur à Berlin, les bruits de guerre cessèrent aussitôt. Quelque temps après, l'empereur Guillaume disait à l'ambassadeur français que ces bruits étaient nés de manœuvres de Bourse, et à l'attaché militaire français : « On a voulu nous brouiller. » Bismarck au Reichstag (février 1886) déclara que les journaux s'occupaient trop des affaires étrangères.

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Ces faits ont reçu deux interprétations. Gortschakoff a laissé entendre, et l'ambassadeur Gontaut-Biron a dit que le gouvernement prussien avait décidé la guerre, qu'il envoyait Radowitz au tsar pour le sonder et que, sans l'intervention du tsar, il aurait attaqué la France. Cette opinion paraît avoir été

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