Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Affaires d'Orient (1875-76). Depuis la défaite de la France, la Russie avait pris l'influence dominante sur le gouvernement turc. Elle obtenait la création d'un exarque des Bulgares qui enlevait la direction religieuse des Bulgares orthodoxes au patriarche grec de Constantinople pour la donner à un prélat slave protégé de la Russie. Le parti national slave en Russie créait une Société libératrice des Slaves, dirigée par un comité central et des sous-comités qui excitaient les chrétiens slaves en Bosnie et en Bulgarie et se tenaient en rapport avec les agents consulaires russes 1.

Les orthodoxes serbes d'Herzégovine finirent par s'insurger (juil. 1875), ce qui ouvrit la question d'Orient. La note d'Andrassy (voir p. 600) énuméra les garanties à exiger des Turcs pour rétablir la paix, on renonça seulement à la forme d'une note collective pour ne pas blesser le sultan.

Mais les insurgés exigèrent des réformes que la Porte refusa; puis ils repoussèrent l'armée turque avec l'aide des Monténégrins (avril 1876). Le sultan, menacé par la Russie, n'osa pas déclarer la guerre au Monténégro; mais il envoya sur sa frontière une armée. Le prince de Monténégro déclara ouvertement la guerre. Alors l'excitation contre les Turcs devint telle que le parti de la guerre prit le pouvoir en Serbie et en Roumanie, et que les Bulgares s'insurgèrent (mai 1876). En même temps le massacre des consuls d'Allemagne et de France par les musulmans, à Salonique, obligeait les puissances à intervenir. On comptait sur l'accord de l'Europe pour forcer la Porte à des réformes qui arrêteraient les troubles. Mais le ministère Disraëli, reprenant la politique anglaise traditionnelle de défendre en tout cas l'Empire ottoman contre la Russie, refusa d'adhérer au memorandum de Berlin rédigé par les autres puissances, et envoya séparément sa flotte près de Constantinople, donnant aux Turcs l'impression que l'Angleterre les soutenait.

La Serbie déclara la guerre de petites armées serbes, formées

celle de la plupart des diplomates d'Europe. Bismarck a déclaré au contraire que ni lui, ni l'empereur n'ont voulu la guerre, qui aurait été une « stupidité colossale; que tout cet incident a été un coup monté entre Gortschakoff et Gontaut-Biron, tous deux ses ennemis personnels, pour lui créer des ennuis et se poser eux-mêmes en sauveurs de la paix; ils auraient profité de la mission de Radowitz et du voyage du tsar à Berlin, que Gortschakoff connaissait d'avance, pour faire croire à une proposition de guerre et à une intervention

du tsar.

1. Cette action secrète a été révélée par des lettres que le gouvernement ture s'est procurées en 1872, et a publiées en 1877, mais en supprimant les noms propres. On peut discuter si les agents russes opéraient sur l'ordre de leur gouvernement ou à son insu.

de milices, entrèrent sur le territoire turc (juillet); elles furent bientôt rejetées en Serbie. Le tsar, protecteur déclaré des Serbes, laissa enrôler des volontaires russes par les comités et parla publiquement de la guerre peut-être prochaine; il finit par imposer aux Turcs une trêve de deux mois (nov.). Puis, Disraëli ayant fait en Angleterre une déclaration menaçante, le tsar commença à mobiliser son armée (nov.). Il fit encore accepter à l'Angleterre la conférence de Constantinople, formée des ambassadeurs des six puissances; on rédigea un projet de réformes, mais le gouvernement turc refusa de le recevoir (voir p. 602).

Les puissances retirèrent leurs ambassadeurs (janv. 1877) et la Russie finit par décider les autres puissances à signer le protocole de Londres, par lequel elle s'engageait à désarmer si le sultan s'engageait à faire les réformes promises (voir p. 603). La Porte ayant repoussé ce protocole, la Russie annonça que tous les projets de réforme s'étant heurtés à une résistance insurmontable de la Porte, ses intérêts la forçaient à mettre fin aux troubles. Alexandre II, malgré son désir de la paix, avait fini par céder au parti national qui depuis deux ans menait une campagne de presse (dirigée par Aksakoff) pour décider le gouvernement à aller au secours des frères slaves opprimés par les Turcs.

Guerre de Turquie (1877-78). Toutes les puissances d'Europe se déclarèrent neutres; l'Angleterre, au nom des traités, protesta, mais en ajoutant qu'elle n'interviendrait que pour défendre des intérêts anglais, le canal de Suez, Constantinople, les Dardanelles.

La Russie, outre le Monténégro resté en guerre, eut pour alliée la Roumanie qui, n'ayant pu obtenir la neutralité, préféra s'entendre avec la Russie et lui offrit le passage pour son armée à condition que la Russie garantirait l'intégrité de son territoire.

La guerre se divisa en quatre opérations.

1° L'armée russe entra en Roumanie (avril) et passa le Danube lentement (mai-juin), malgré la flottille turque; elle se servit du matériel de la Roumanie, mais refusa le concours de son armée.

2o L'armée russe envahit la Bulgarie et, laissant de côté le quadrilatère de forteresses turques, marcha sur les Balkans; l'avantgarde (Gourko) surprit et occupa la passe Chipka, elle essaya de descendre de l'autre côté et fut repoussée, mais garda la passe. L'armée turque se retrancha dans Plewna au croisement des principales routes de Bulgarie et repoussa deux attaques (fin juillet). L'armée russe se résigna à faire le siège en règle et à demander l'aide de l'armée roumaine.

3o Le siège de Plewna fut long et meurtrier (sept.-déc.). Les soldats turcs, en majorité Albanais, s'étant débarrassés de leurs officiers et divisés en petits groupes, à l'abri dans des tranchées, ayant de bons fusils (Martini et Snyder) et des cartouches à volonté dans l'arsenal de Plewna, se défendaient à coups de fusil et tuaient beaucoup d'ennemis (16 000 Russes, 5000 Roumains). L'armée russe, mal approvisionnée, n'avait pas d'outils pour creuser des tranchées. Il fallut attendre l'arrivée des renforts (oct.) pour cerner la place; on finit par l'enfermer, afin de la prendre par la famine. L'armée turque de secours fut arrêtée. L'armée de Plewna, affamée, sortit de ses retranchements, attaqua, fut cernée et capitula (10 déc.). La Serbie, qui armait depuis longtemps, déclara de nouveau la guerre. 4o L'armée russe traversa les Balkans malgré la neige et le froid, força les défilés, cerna et prit une armée turque dans la montagne, puis descendit par la vallée de la Maritza sur Philippopoli où elle dispersa la dernière armée turque (14-17 janv. 1878) et arriva à Andrinople.

[ocr errors]

Paix de San Stefano et Congrès de Berlin (1878). Le sultan, n'ayant plus d'armée, envoya demander la paix, déclarant s'en remettre à la générosité du tsar; la Russie signifia ses conditions par le protocole d'Andrinople (31 janv.): indépendance et agrandissement de la Roumanie, de la Serbie, du Monténégro, principauté de Bulgarie, autonomie de la Bosnie. L'Angleterre, inquiète, se prépara à envoyer une flotte (28 janv.), puis fit entrer ses vaisseaux dans les Dardanelles, malgré la protestation du sultan. La Russie répondit à cette manifestation en déclarant qu'elle se regardait comme libre d'occuper Constantinople (févr.); on évita le conflit par un accord provisoire. Comme le gouvernement turc faisait trainer les négociations, le grand-duc Nicolas transporta son quartier général à San Stefano; là le plénipotentiaire russe, Ignatieff, imposa son ultimatum. Les préliminaires de San Stefano (3 mars 1878) concluaient la paix sur les bases du protocole du 31 janvier (voir p. 603).

La Russie avait opéré exclusivement dans l'intérêt de ses protégés slaves. Le gouvernement anglais répondit par des démonstrations belliqueuses, mais il hésita à s'engager seul dans un conflit où aucune autre puissance ne le suivrait. La Russie, épuisée, désirait la paix. Les gouvernements russe et anglais finirent par s'entendre sur les questions à discuter en congrès européen. Pour faire contrepoids aux acquisitions de la Russie en Asie, l'Angleterre conclut un traité secret avec le sultan (4 juin), s'engageant, si les annexions

russes étaient maintenues, à défendre l'Asie Mineure; le sultan en échange promettait des réformes dans ces pays et autorisait l'Angleterre à occuper Chypre.

Le Congrès de Berlin, formé des ministres et des ambassadeurs des six grandes puissances (Russie, Allemagne, Autriche, Angleterre, France, Italie) et du sultan, sous la présidence de Bismarck (juin-juil. 1878), manifesta la prépondérance de l'Allemagne en Europe. Bismarck avait déclaré qu'il acceptait le rôle non d'arbitre, mais «< d'honnête courtier » pour aider à rétablir la paix.

Le Congrès régla toutes les questions soulevées dans l'Empire ottoman par les insurrections et les guerres. Toutes les puissances étaient d'accord sur l'occupation de la Bosnie par l'Autriche et l'imposèrent aux Turcs. Le désaccord porta sur la Bulgarie, l'Asie Mineure, le Danube. Pour la Bulgarie, les puissances obligèrent la Russie à céder (voir p. 633). — Contre les annexions de la Russie en Asie Mineure, l'Angleterre protesta pour la forme, et en profita pour publier le traité secret qui lui livrait Chypre. - Sur la question du Danube, l'Autriche obligea la Russie à accepter la neutralisation et la destruction des forteresses.

Le Congrès s'occupa aussi de la Grèce (voir p. 603), et imposa à la Serbie et à la Roumanie l'égalité politique des Juifs.

[ocr errors]

Formation de la Triple Alliance (1879-83). Le règlement de la question d'Orient à Berlin avait rompu l'entente entre les empires; Gortschakoff ne pardonnait pas à Bismarck de ne pas avoir soutenu les demandes de la Russie. L'Autriche, maîtresse de la Bosnie, travailla à accroître son influence sur les chrétiens des Balkans, et à s'ouvrir une route de commerce par Salonique, ce qui la mit en concurrence avec la Russie. Le désaccord se marqua par des articles dans les journaux russes contre l'Allemagne et des armements russes sur la frontière autrichienne. Bismarck se rapprocha plus étroitement de l'Autriche pour la soutenir contre la Russie en Orient. L'Autriche conclut secrètement avec l'Empire allemand (oct. 1879) « une alliance de paix et de défense réciproque » calculée spécialement pour le cas d'une attaque de l'un des deux par la Russie », car, dans le cas d'une attaque venant d'une autre puissance, les États ne se promettaient qu'une neutralité bienveillante, à moins que l'agresseur ne fût soutenu par la Russie.

L'amitié personnelle d'Alexandre II pour Guillaume maintint officiellement l'apparence d'une entente; il y eut encore des entrevues des empereurs (1879), un toast d'Alexandre « à son meilleur ami, Guillaume » (mars 1880). Mais le gouvernement russe faisait des

HIST. POLITIQUE DE L'EUROPE.

50

préparatifs militaires en Pologne comme pour une guerre dans l'Ouest, et laissait faire aux journaux des manifestations pour la France ou contre l'Allemagne. L'idée d'une entente entre la France et la Russie admise plusieurs fois avant 1830 (par Napoléon, Richelieu, Polignac), abandonnée pendant un demi-siècle sous l'impression de l'indignation contre la politique russe en Pologne, commença à reparaître dans l'opinion française dominée par la préoccupation de trouver un allié contre l'Allemagne, et dans l'opinion russe irritée de la prépondérance des Allemands. Elle se manifesta par une interview (sept. 1879) de Gortschakoff avec un journaliste français (du Soleil); plus tard les déclarations de Gambetta, et les discours du général russe Skobeleff (1882).

La question d'Orient avait détruit l'entente des monarchies de l'Est et préparé un nouveau groupement. La politique coloniale. acheva cette évolution. La France, abandonnant la « politique de recueillement », chercha à s'agrandir en Afrique et en Asie. Elle se mit ainsi en conflit avec l'Italie. L'Italie depuis 1870 hésitait entre la défiance contre la France soupçonnée de vouloir rétablir le pouvoir temporel, et l'hostilité contre l'Autriche maîtresse du Tyrol italien et de Trieste (voir p. 346). Elle suivait « la politique des mains libres », évitant de s'engager pour rester libre de profiter des occasions; depuis le triomphe des républicains français elle inclinait à se rapprocher de la France et à soutenir les irredentistes. La conquête de la Tunisie changea brusquement son attitude. Elle rompit avec la France, renonça à l'irrédentisme et se rapprocha de l'Autriche; le roi fit une visite à l'empereur (oct. 1881).

L'Angleterre, à l'avènement du ministère libéral (voir p. 73), changea de politique en Orient. Gladstone, ennemi déclaré des Turcs, prit parti pour le Monténégro et la Grèce (voir p. 631 et 603).

La mort d'Alexandre II acheva de détruire l'entente des trois empereurs. Alexandre III était personnellement hostile à l'influence allemande. Mais, déterminé avant tout à maintenir la paix, il prit aux affaires étrangères un ministre pacifique, Giers (1882), et continua la tradition des entrevues entre les empereurs (Allemagne, 1881, 1884; Autriche, 1885).

Le gouvernement italien, probablement pour consolider la monarchie, demanda à être admis dans l'alliance défensive entre l'Allemagne et l'Autriche. Ainsi fut conclue (1883) la Triple Alliance, destinée à maintenir la paix par une coalition des trois puissances de l'Europe centrale contre les tentatives de guerre présumées de la France ou de la Russie. L'opinion en France ne voulut pas croire au

« PreviousContinue »