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contre le plateau de Wagram fut repoussée; un moment le désordre gagna quelques corps. La retraite sonna et les troupes bivouaquèrent à leur poste. Les dernières instructions avaient été données ; seul le maréchal Davout restait encore auprès de l'empereur. L'archiduc Charles ne dormit pas; le suprême effort de la monarchie autrichienne devait être tenté à l'aube du jour.

L'étendue du champ de bataille et l'éloignement des positions présentaient pour les deux armées des difficultés graves; le génie organisateur de l'empereur Napoléon y avait obvié en quelque mesure par le soin qu'il prit de son centre; l'archiduc Charles s'en ressentit dès le début du combat. Obligé d'envoyer ses ordres à de grandes distances, il les vit mal exécutés; l'aile gauche de son armée nous attaqua la première, tandis que l'aile droite avait été destinée à prendre l'offensive; contre sa coutume, l'empereur Napoléon avait ordonné que ses troupes attendissent l'ennemi.

Il était quatre heures du matin lorsque le feu commença. Le maréchal Bernadotte, resté en flèche sur le champ de bataille après son attaque de la veille contre le plateau de Wagram, se trouvait menacé par les Autrichiens et venait de se replier sur le maréchal Masséna, malade encore d'une chute de cheval et qui commandait son corps dans une voiture ouverte. Les deux maréchaux avaient ramené leurs troupes contre le petit village d'Aderklaa; mais l'archiduc l'occupait; les Français furent repoussés et ramenés par l'ennemi au delà d'Essling, retombé aux mains des Autrichiens.

Cependant le maréchal Davout à l'extrême droite avait vigoureusement résisté à la première attaque des colonnes de Rosenberg, il avait obligé les Autrichiens à repasser le ruisseau de Russbach et à se replier sur Neusiedel. Le maréchal poussa aussitôt contre eux toutes ses forces: c'était à lui qu'était confié l'honneur d'enlever le plateau de Wagram.

L'empereur venait de rejoindre le maréchal Masséna, causant avec lui quelques instants sous les boulets qui pleuvaient autour de la calèche; Napoléon traversait la plaine au pas de son cheval, attendant impatiemment le grand mouvement qu'il avait ordonné sur le centre. En tête s'avançait une division de l'armée d'Italie commandée par Macdonald, peu connu des jeunes soldats par suite de sa longue disgrâce; il marchait fièrement, vêtu de son vieil habit des armées de la république. Napoléon le voyait impassible sous le feu, attentif aux moindres incidents du combat: « Ah! le brave homme! le brave homme!» répétait-il à demi-voix.

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L'artillerie de la garde arrivait au pas de course, soutenant de ses cent bouches à feu l'impétueuse attaque du centre; les Autrichiens plièrent sous cette masse énorme, dont rien n'avait pu ralentir l'irrésistible élan. Déjà Macdonald touchait à Sussenbrunn; l'archiduc et ses meilleurs lieutenants y avaient concentré leur dernier effort; les colonnes françaises s'arrêtèrent devant leur résistance désespérée. Un moment elles semblèrent menacées de reculer à leur tour, mais Davout avait réussi dans son attaque contre les hauteurs de Neusiedel, le plateau de Wagram était entre nos mains, le général Oudinot venait de le rejoindre après avoir enlevé la position de Baumersdorf: le prince de Hohenzollern se retirait devant eux. En vain l'archiduc Charles avait espéré de voir son frère, l'archiduc Jean, arriver à temps pour rétablir le combat; la lutte durait depuis plus de dix heures, toutes les positions étaient tombées en notre pouvoir; la retraite de l'armée autrichienne commença, régulière et bien ordonnée, sans précipitation ni déroute. Le désordre se manifesta au contraire dans les rangs des vainqueurs, lorsque, aux derniers instants de la lutte, quelques soldats de l'avant-garde de l'archiduc Jean apparurent aux environs de Leopoldsdorf. Les jeunes troupes déjà débandées dans la joie de la victoire, les valets de l'armée, les vivandières, les porteurs de blessés furent saisis d'une terreur panique et se rejetèrent avec des cris sur le gros de l'armée, annonçant que les ennemis revenaient nous écraser. Il était trop tard; l'archiduc Jean avait lentement exécuté des ordres tardivement reçus; son arrivée ne pouvait plus changer le sort des armes, il se replia sur la Hongrie. L'archiduc Charles avait pris le chemin de la Bohême sans que Napoléon fût bien instruit de sa marche. La poursuite se divisa donc entre la Bohême et la Moravie. Les forces de l'ennemi s'étaient dispersées dans sa retraite. L'archiduc disposait à peu près de soixante mille hommes lorsque le général Marmont, avec un corps de dix mille hommes seulement, le rejoignit à Znaïm, sur la route de Prague.

Ce fut là que Napoléon arriva dans la journée du 11: Masséna l'y avait devancé, et le combat s'était engagé sur les rives de la Taya; le pont venait d'être forcé après une lutte très-vive, mais déjà le prince Jean de Lichtenstein était venu demander une suspension d'armes, annonçant hautement l'intention du gouvernement autrichien d'entamer les négociations. On délibérait au quartier général pendant que l'armée débouchait dans la plaine de Znaïm; l'empereur récapitulait

rapidement dans son esprit les dangers et les chances de la guerre prolongée; plusieurs des généraux étaient d'avis de pousser à bout l'Autriche et d'écraser enfin la coalition. Napoléon sentit le fardeau énorme qui pesait sur ses épaules; il revit la guerre difficile et languissante en Espagne, la Prusse frémissante, la Russie froide et secrètement mal disposée, les embarras de Rome, l'Angleterre prenant désormais sa part de la lutte continentale, il s'écria: « Assez de sang versé, faisons la paix! Il fallut répéter plusieurs fois ces propres paroles aux combattants de Znaïm pour les décider à cesser les hostilités. Les officiers chargés de porter la nouvelle sur le champ de bataille furent blessés avant de parvenir à arrêter le combat.

L'armistice fut signé dans la nuit du 11 au 12 juillet, et Napoléon reprit aussitôt le chemin de Schoenbrunn. Les négociations allaient commencer; leur pacifique succès n'était pas assuré. Les armées autrichiennes avaient été vaincues avec éclat; elles n'étaient pas dispersées ni détruites, et l'effort qu'avait exigé leur résistance prouvait assez les qualités militaires du chef et des soldats. L'empereur Napoléon campait au centre de la monarchie autrichienne, dont il occupait la capitale; il ne pouvait et ne devait en rien se relâcher de sa vigilance guerrière. Des corps nouveaux furent appelés de France. Le Tyrol n'étant pas compris dans l'armistice, les Bavarois et le prince Eugène furent chargés de le soumettre dans ses deux parties, allemande et italienne; partout les postes furent fortifiés et les travaux de défense poursuivis avec ardeur; le gros de l'armée occupa de vastes baraquements aux environs de Vienne. Napoléon distribua des récompenses aux officiers et aux soldats; il témoigna même son mécontentement au maréchal Bernadotte qui s'était permis d'adresser un ordre du jour personnel au corps d'armée qui se trouvait sous sa direction à Wagram.

<< Sa Majesté commande son armée en personne, fit-il dire au prince de Pontecorvo par le major général Berthier; c'est à Elle seule qu'il appartient de distribuer le degré de gloire que chacun mérite. » Napoléon ajoutait dans une lettre au ministre de la guerre : « Je suis bien aise d'ailleurs que vous sachiez que le prince de Pontecorvo n'a pas toujours bien fait dans cette campagne. La vérité est que cette colonne d'airain a été constamment en déroute. » Ainsi commençaient les froissements d'amour-propre qui devaient par la suite aggraver les nécessités imprévues de la politique en laissant dans le cœur de Bernadotte contre l'empereur une amertume ineffaçable.

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