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cardinal. - - Et moi je n'ai pas pensé à prendre ma bourse. » Le pape possédait un papetto (vingt sous). << Voilà tout ce qui me reste de ma principauté, dit-il en souriant. Nous voyageons à l'apostolique, repartit Pacca. —Nous avons bien fait de publier la bulle du 10 juin, reprit Pie VII; maintenant, il serait trop tard. »

Le carrosse roulait depuis dix-neuf heures, les stores de la voiture étaient baissés; partout et malgré quelques accidents, le passage du pape devançait la nouvelle de son enlèvement. La suite du saint-père le rejoignit le lendemain ; le pape était souffrant ; il avait la fièvre, les populations commençaient à s'émouvoir des bruits qui circulaient, elles se pressaient autour des voitures. « Je m'en débarrassais en leur criant de se mettre à genoux à droite et à gauche de la route, parce le saint-père allait leur donner sa bénédiction, écrit Radet; puis tout à coup j'ordonnais aux postillons de fouetter. Par ce moyen, les populations étaient encore à genoux que nous étions déjà bien loin et au galop; cela m'a réussi partout. »

que

Arrivé le 8 juillet à la chartreuse de Florence, Pie VII avait cru s'y reposer quelques jours, mais la princesse Baciocchi n'avait point reçu les instructions de l'empereur; elle précipita le départ. « Je vois bien qu'on veut me faire mourir à force de mauvais traitements, dit le vieillard épuisé, et pour peu que cela dure, je sens que ce ne sera pas long. Le cardinal Pacca n'était plus avec lui. A Gênes, le prince Borghèse qui y commandait fut saisi du même effroi que la princesse Baciocchi. Après quelques moments de repos à Alexandrie, Pie VII fut dirigé par Mondovi et Rivoli sur Grenoble. Aux dernières étapes, dans les petites villes italiennes, les cloches sonnaient à toute volée, et la foule qui demandait la bénédiction du prisonnier retardait partout la marche. Il en fut de même sur tout le parcours de la Savoie et du Dauphiné. Lorsque le pape fit son entrée dans Grenoble le 21 juillet, l'ardeur de la population ne s'était pas ralentie, mais les cloches ne sonnaient plus; le clergé avait reçu défense de se porter au-devant du pontife; le préfet était absent, Fouché l'ayant à dessein retenu à Paris. Les ordres de l'empereur étaient enfin arrivés de Schonbrunn. «Je reçois en même temps les deux lettres du général Miollis et celle de la grande-duchesse, écrivait-il le 18 juillet à Fouché. Je suis fâché qu'on ait arrêté le pape, c'est une grande folie; il fallait arrêter le cardinal Pacca, et laisser le pape tranquille à Rome. Mais enfin il n'y a point de remède, ce qui est fait est fait. Je ne sais ce qu'aura

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fait le prince Borghèse, mais mon intention est que le pape n'entre pas en France; s'il est encore dans la Rivière de Gênes, le meilleur endroit où l'on pourrait le placer serait Savone. Il y a là une assez grande maison, où il serait convenablement jusqu'à ce qu'on sache ce que cela doit devenir. Je ne m'oppose point, si sa démence finit, à ce qu'il soit renvoyé à Rome. S'il était entré en France, faites-le rétrograder sur Savone et San-Remo. Faites surveiller sa correspondance.

Quant au cardinal Pacca, faites-le enfermer à Fénestrelle et faiteslui connaître que, s'il y a un Français assassiné par l'effet de ses instigations, il sera le premier qui le payera de sa tête. »

Quinze jours plus tard (6 août 1809), au milieu de ses prudents et prévoyants préparatifs pour un retour possible des hostilités, éclairé par la réflexion ou par le bruit de l'émotion populaire dans les provinces traversées par Pie VII, Napoléon modifiait ses ordres sur la résidence du pape. «Monsieur Fouché, j'aurais désiré qu'on n'eût arrêté à Rome que le cardinal Pacca et qu'on y eût laissé le pape. J'aurais désiré, puisqu'on n'a pas laissé le pape à Gênes, qu'on l'eût mené à Savone; mais puisqu'il est à Grenoble, je serais fâché que vous l'eussiez fait partir pour le conduire à Savone; il vaudrait mieux le garder à Grenoble puisqu'il y est; cela aurait l'air de se jouer de ce vieillard. Je n'ai pas autorisé le cardinal Fesch à envoyer personne auprès de Sa Sainteté; j'ai seulement fait connaître au ministre des cultes que je désirerais que le cardinal Maury et d'autres prélats écrivissent au pape pour savoir ce qu'il veut et pour lui faire comprendre que s'il renonce au Concordat, je le regarderai de mon côté comme non avenu. Quant au cardinal Pacca, je suppose que vous l'avez envoyé à Fénestrelle et que vous avez défendu qu'il communiquât avec personne. Je fais une grande différence entre le pape et lui, d'abord à cause de sa qualité et pour ses vertus morales. Le pape est un homme bon, mais ignorant et fanatisé. Le cardinal Pacca est un homme instruit et un coquin, ennemi de la France et qui ne mérite aucun ménagement. Aussitôt que je saurai où se trouve le pape, je verrai à prendre des mesures définitives; bien entendu que, si déjà vous l'aviez fait partir pour Savone, il ne faut point le faire revenir. »

Le pape était à Savone, où il devait séjourner longtemps; déjà les difficultés de l'administration religieuse commençaient et l'empereur se préoccupait de l'institution des évêques aux sièges vacants; il avait ordonné à tous les prélats de chanter publiquement le Te Deum au

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sujet de la victoire de Wagram. Seuls les évêques de Dalmatie avaient nettement et fièrement répondu à l'exposé des motifs qui précédait la circulaire. En France, le silence était encore profond. D'avance l'empereur avait défendu que les journaux donnassent aucune nouvelle de Rome. « C'est une mauvaise route de laisser faire des articles, avait-il écrit à Fouché; il ne faut en parler ni en bonne ni en mauvaise part, et il ne doit pas en être question dans les journaux. Les hommes instruits savent bien que je n'ai pas attaqué Rome. Les faux dévots, vous ne les changerez pas; partez de ce principe. Le Moniteur se taisait. Tous les journaux suivirent son exemple. Personne ne parlait de la bulle d'excommunication; les tournées des prêtres missionnaires furent interdites, comme les conférences ecclésiastiques de Saint-Sulpice. « Les missionnaires sont pour qui les paye, déclara l'empereur, pour les Anglais s'ils veulent s'en servir. Je ne veux plus de missions quelconques; présentez-moi un projet de décret là-dessus, je veux en finir. Je ne connais que les évêques, les curés et les desservants; je me contente de créer la religion chez moi, et je ne me soucie point de la propager à l'étranger. Tous les cardinaux qui se trouvaient encore à Rome furent expulsés. Au fond de son âme, et malgré les entraînements chimériques de ses pensées irritées, Napoléon sentait déjà les embarras qu'il avait lui-même semés sur sa route. Le pape prisonnier à Savone, indomptable dans sa consciencieuse résistance, pouvait devenir plus dangereux que le pape à Rome impuissant et désarmé. La lutte n'était pas terminée, un souffle de révolte avait passé sur l'Europe; désormais Napoléon était en guerre avec cette religion catholique dont il avait tenu à honneur de relever avec éclat les autels; il luttait en même temps violemment contre cette indépendance nationale des peuples qu'il avait partout opposée dans ses paroles à l'arbitraire jalousie des monarques. Les souverains espagnols avaient plié sous son joug. Le peuple espagnol, désormais soutenu par la puissance de l'Angleterre, défendait courageusement ses libertés. Au moment où l'effort suprême de la victoire de Wagram allait arracher à l'empereur François d'humiliantes concessions, le pape captif et les Espagnols insurgés présentaient à l'Europe un salutaire et frappant contraste dont elle commençait à comprendre les enseignements.

Ce n'est pas la moins significative des leçons sur la fragilité des

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