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Wellington, préparait, non loin de Lisbonne, entre le Tage et la mer, cette position invincible que l'histoire a désignée sous le nom de lignes de Torrès-Vedras. C'était-là qu'il comptait attirer l'armée française, en épuisant lentement ses forces devant un ennemi patiemment inattaquable. Les ordres de Napoléon et la déférence de Masséna à ces instructions nous avaient évité le danger d'être attaqués par derrière; lorsque l'armée française s'avança à la rencontre de lord Wellington, elle avait pris possession de Ciudad-Rodrigo et d'Almeida; mais les deux sièges avaient été longs et pénibles, ils avaient coûté la vie à beaucoup de soldats, des garnisons importantes occupaient les places. Suivant une coutume de son esprit, qui allait se développant avec le défaut de contradiction, l'empereur Napoléon n'admettait pas l'affaiblissement de ses forces, tout en rabaissant, à l'avance, celles de ses ennemis. « Mon cousin, écrivait-il le 19 septembre 1810 au maréchal Berthier, faites partir demain un officier porteur d'une lettre pour le prince d'Essling, dans laquelle vous lui ferez connaître que mon intention est qu'il attaque et culbute les Anglais; que lord Wellington n'a pas plus de dix-huit mille hommes, dont seulement quinze mille d'infanterie et le reste de cavalerie et d'artillerie; que le général Hill n'a pas plus de six mille hommes, infanterie et cavalerie; qu'il serait ridicule que vingt-cinq mille Anglais tinssent en balance soixante mille Français: qu'en ne tâtonnant pas et en les attaquant franchement après les avoir reconnus, on leur fera éprouver de grands échecs. Le prince d'Essling a quatre fois plus de cavalerie qu'il ne lui en faut contre l'armée ennemic. Je suis trop éloigné et la position de l'ennemi change trop souvent pour que je puisse donner des conseils sur la manière de mener l'attaque, mais il est certain que l'ennemi est hors d'état de résister. »

Ce fut le tort du maréchal Masséna d'accepter une mission dont il prévoyait les immenses dangers et de ne pas insister auprès de l'empereur avec le poids de sa vieille expérience sur les illusions qu'on se faisait à Paris au sujet de la situation respective des deux armées. Comptant sur la victoire le jour où il parviendrait à rejoindre son ennemi, il s'engagea avec cinquante mille hommes dans les routes impraticables du Portugal, à la suite de lord Wellington, déjà son égal en forces, et secondé par la nation portugaise tout entière soulevée contre les Français. Les lieutenants de Masséna, aussi hardis et plus jeunes, pesaient comme lui toutes les chances funestes de la cam

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Lord Wellington s'était arrêté dans sa retraite sur les hauteurs de Busaco, au-dessus de la vallée de Mondego, en avant de Coïmbre; il barrait le passage au maréchal Masséna, qui résolut de donner la bataille; après un combat acharné et sanglant (27 septembre 1810), l'attaque des Français fut définitivement repoussée. Pour la première fois, les Portugais mêlés aux troupes anglaises avaient courageusement soutenu leurs alliés. « Ils se sont montrés dignes de se battre à côté des soldats anglais, dit lord Wellington dans son rapport. La route restait fermée et les Anglais, maîtres de leur position, voyaient déjà le maréchal Masséna contraint de se retirer. Il avait retrouvé sur le champ de bataille toute son indomptable ardeur. « On doit pouvoir tourner les collines, » dit-il à ses lieutenants, et il détacha aussitôt le général Montbrun sur la droite pour battre un pays inconnu, ennemi et déjà enveloppé dans les ténèbres de la nuit. La perspicacité et la persévérance du maréchal ne l'avaient pas trompé : ses éclaireurs découvrirent un passage que les Anglais n'avaient pas occupé. Le 29, au coucher du soleil, lord Wellington apprit tout à coup que l'armée française tout entière avait défilé par le petit village de Bazalva sur le revers de la montagne; elle débouchait déjà dans la plaine de Coïmbre lorsque les Anglais se virent obligés d'évacuer la ville en toute hâte; les Français traversèrent la place à leur suite, se bornant à y établir les malades et les blessés; les milices portugaises reprirent aussitôt possession de la ville. Masséna s'avançait sur Lisbonne à marches forcées; le 11 octobre, il arriva devant les lignes de Torres-Vedras désormais complètement achevées, et garnies de six cents bouches à feu. Derrière trois séries successives de retranchements formidables, muni de ressources de tout genre, et s'appuyant d'un côté sur le Tage et de l'autre sur l'Océan, lord Wellington avait résolu de renfermer son armée jusqu'alors victorieuse et d'attendre que la faim, la maladie et l'épuisement l'eussent enfin délivré de ses ennemis, quelles que pussent être les difficultés de l'entreprise et les clameurs qui dussent s'élever contre lui.

« Je suis convaincu, écrivait le général anglais à son gouvernement, que l'honneur et l'intérêt du pays exigent que nous tenions ici le plus longtemps possible, et avec l'aide de Dieu j'y tiendrai tant que je le pourrai. Je ne chercherai pas à me soulager du fardeau de la

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responsabilité en faisant peser le poids d'un échec sur les épaules des ministres; je ne leur demanderai pas des ressources dont ils ne peuvent pas disposer et qui ne contribueraient peut-être pas d'une manière efficace au succès de notre entreprise; je ne donnerai pas non plus à la faiblesse du ministère une excuse pour retirer l'armée d'une situation que l'honneur et l'intérêt du pays nous obligent à garder. Si les Portugais font leur devoir, je puis me maintenir ici, s'ils ne le font pas, aucun effort à la portée de la Grande-Bretagne ne suffirait à sauver le Portugal, et si je me vois obligé de me retirer, je serai en mesure d'emmener avec moi l'armée anglaise. »

Ce fut avec cette ferme et modeste confiance dans une situation qu'il avait prudemment choisie et dont sa prévoyance avait multiplié toutes les ressources, que lord Wellington attendit l'attaque de Masséna et des vieilles troupes qui venaient de se déployer devant ses lignes. L'ardeur des soldats s'irrita de cet obstacle imprévu, élevé de main d'homme, et dont nul n'avait pénétré le secret. « Nous en viendrons à bout comme nous serions venus à bout de Busaco si on nous avait laissés faire!» disaient les troupes. Masséna en jugeait autrement.

Le 16 octobre, le maréchal avec son état-major examinait avec soin les lignes ennemies; un coup de canon, un seul, retentit à ses oreilles, et le mur sur lequel reposait la lunette d'approche fut renversé. Masséna regarda ses lieutenants. « La seule chose à faire est d'occuper les deux rives du Tage et de les tenir bloqués, eux et Lisbonne, dit-il; nous attendrons les renforts, et quand l'armée d'Andalousie sera arrivée, nous verrons s'il y a derrière ces canons-là d'autres canons et d'autres murs, comme disent les paysans. »>

Dans leur rigide simplicité, les conceptions de lord Wellington avaient tenu peu de compte des souffrances de la nation portugaise. Résolu à défendre le Portugal jusqu'à la dernière extrémité, il avait laissé Lisbonne exposée aux boulets, la campagne en proie aux déprédations systématiques des Français. Masséna prit son parti de constituer un établissement militaire en face des lignes ennemies. Partout les ressources de la contrée environnante furent soigneusement amassées dans des magasins, un hôpital fut préparé; le général Éblé, vieux et fatigué, mais toujours. inépuisable dans ses ressources, préparait des barques afin de former un équipage de pont. Opérant un mouvement en arrière, Masséna et ses lieutenants occupèrent toutes les positions de Santarem à Thomar, empressés de s'installer sur les

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