Page images
PDF
EPUB
[graphic][subsumed][subsumed]

IL SE REMIT BIENTOT ET CAUSA FAMILIÈREMENT AVEC LES ÉVÊQUES

[ocr errors]

qu'on lui accordât l'appui de quelques-uns de ses conseillers dans cette grave occurrence. La requête fut repoussée avec les formes les plus respectueuses; les prélats délégués par l'empereur Napoléon offrirent leur assistance au saint-père. La lettre des dix-neuf évêques insistait sur l'espérance que le pape s'engagerait à ne rien faire de contraire aux déclarations de l'Église gallicane en 1682;. Pie VII protesta qu'il n'en avait jamais cu l'intention, mais qu'il lui était impossible de prendre à ce sujet aucun engagement écrit, la déclaration ayant été condamnée par le pape Alexandre VIII. Il discuta sans aigreur la question de l'institution canonique, tout en repoussant les propositions émises par les évêques. « A lui tout seul, un pauvre homme ne saurait prendre sur lui un si grand changement dans l'Église, dit-il en souriant.

>>

La discussion se prolongeait, non-seulement de la part des prélats, mais de la part du préfet de Montenotte qui avait de fréquentes entrevues avec le pape, usant tour à tour de menaces et de caresses, cherchant à agir sur l'esprit de Pie VII par l'entremise de son médecin le docteur Porta, complètement dévoué au service impérial. Le pape se plaignait de sa santé; son intelligence paraissait quelquefois altérée par ses longues angoisses. « Patience! patience, » répétait-il, et il réclamait de nouveau des conseils. « Le chef de l'Église est en prison et seul, disaitil, rien ne peut être décidé par lui. »

Les vertus de Pie VII comme ses faiblesses naturelles contribuaient au trouble de sa conscience et de son esprit. Doux et bon, facilement livré aux scrupules, il était tiraillé entre la conviction des devoirs qui le liaient envers le saint-siège et la crainte de prolonger dans l'Église un désordre grave qui pouvait amener de fâcheuses conséquences. Dans ses entrevues avec les évêques, il cédait tout en croyant résister, et il finit par accepter une note, rédigée sous ses yeux, contenant en principe toutes les concessions exigées. Il n'avait pas signé, mais les négociateurs se contentèrent de ce qu'ils avaient obtenu. « Ce matin, nous avons rédigé le tout clairement et en français, écrivit l'archevêque de Tours. Nous l'avons présenté au pape, il a voulu des changements d'expression, des additions de phrases, de légères soustractions, et il en est résulté un ensemble assez bon, beaucoup meilleur que ce que nous nous flattions, il y a quelques jours, d'obtenir. » Le lendemain, 20 mai, au matin, les négociateurs reprirent le chemin de Paris.

Ils étaient à peine à quelques lieues de Savone, et déjà les remords

II. - 26

avaient saisi le pape. Malade depuis quelques jours, privé de sommeil par les agitations de son esprit et de sa conscience, il se reprochait successivement tous les articles de la note qu'il avait faite, et tomba dans un état de souffrance qui inquiétait gravement ses geôliers. « Je ne conçois pas comment j'ai pu accepter ces articles, répétait Pie VII; il y en a qui sont entachés d'hérésie; c'est de ma part un acte de folie; j'étais à moitié ivre. » « Absorbé dans un complet silence, il ferma les yeux dans l'attitude d'un homme qui réfléchit profondément, écrivait M. de Chabrol le 25 mai; il n'en est sorti que pour s'écrier : « Heureu<< sement, je n'ai rien signé. » Je lui ai dit de prendre plus confiance en ce qu'il avait adopté dans sa conscience, qui n'avait besoin ni de signatures, ni de conventions faites par les lois civiles. Il m'a répondu que depuis ce moment il avait perdu tout repos et il est retombé dans la même absorption. >>

Ainsi s'ébranlaient momentanément, sous le poids d'une souffrance morale au-dessus de ses forces, le courage et jusqu'à la raison du malheureux pontife. Pour le calmer, M. de Chabrol avait dû expédier un courrier à la poursuite des évêques, retirant les concessions impliquées dans l'article premier de la note; là s'étaient enfin concentrés les scrupules du pape. « Cette suppression est absolument nécessaire, avait-il dit, sans quoi je ferai un éclat pour faire connaître mes intentions. >> D'avance et par le fait même de la violente pression exercée sur un captif, âgé, malade et seul, l'empereur se trouvait en réalité désarmé en face du concile qu'il venait de convoquer; la concession qu'il avait arrachée à Pie VII devenait nulle, car le pape protestait du fond de sa prison.

Napoléon en jugea ainsi; il ne se prévalut point des articles aussitôt démentis de la note ébauchée par ses négociateurs, et péniblement acceptée par le pape. En fait, l'entreprise avait échoué à Savone; elle recommençait à Paris, où le concile se réunit enfin le 17 juin. L'empereur avait d'avance cherché à intimider quelques-uns des prélats appelés à en faire partie. Pendant son récent voyage en Normandie, il avait fait appeler l'évêque de Séez, M. de Bois Chollet, accusé de rigueur envers les prêtres naguère assermentés. « Vous voulez la guerre civile, vous l'avez déjà faite, s'était-il écrié; vous avez trempé les mains dans le sang français. Je vous ai pardonné et vous ne pardonnez pas aux autres, misérable; vous êtes un mauvais sujet, donnez-moi votre démission tout à l'heure. » L'un des chanoines de Séez, l'abbé Le Gallois.

savant et vertueux et qui passait pour exercer une grande influence sur son évèque, fut conduit à Paris et mis en prison à la Force. « Le chanoine a trop d'esprit, dit l'empereur; qu'on le mène à Vincennes. » M. Le Gallois y devait passer neuf mois, et la chute de l'Empire seule mit fin à sa détention.

«Votre conscience est une sotte!» avait dit Napoléon à l'évêque de Gand, M. de Broglie, qu'il avait fait chevalier de la Légion d'honneur, lorsque celui-ci réclamait contre une clause du serment. Il en disait autant à tous les prélats qu'il venait de convoquer au concile. Le cas est grave pour le pouvoir absolu lorsqu'il entre en lutte avec les plus nobles sentiments de la nature humaine. L'empereur Napoléon en était venu à ce point qu'il regardait comme ses ennemis la liberté de la pensée et la liberté de la conscience chez ses sujets encore suspects d'indépendance, littérateurs ou évèques.

Quatre-vingt-quinze prélats se réunirent le 17 juin à huit heures du matin dans l'église de Notre-Dame. Neuf évêques désignés par l'empereur s'adjoignirent à eux, bien qu'ils n'eussent pas reçu l'institution canonique. Dès la seconde séance par laquelle débutèrent sérieusement les affaires du concile, les ministres des cultes de France et d'Italie prirent place dans l'assemblée. En ouvrant, le 16, la session du Corps législatif, l'empereur avait hautement proclamé sa suprématie. « Les affaires de la religion, avait-il dit, ont été trop souvent mêlées et sacrifiées aux intérêts d'un État de troisième ordre. J'ai mis fin à ce scandale pour toujours. J'ai réuni Rome à l'empire. J'ai accordé des palais aux papes à Rome et à Paris. S'ils ont à cœur les intérêts de la religion, ils voudront séjourner souvent au centre des affaires de la chrétienté. C'est ainsi que saint Pierre préféra Rome au séjour de la Terre Sainte. >

En prenant séance au concile, le ministre des cultes, M. Bigot de Préameneu, prononça à son tour un discours que l'histoire doit faire remonter à sa véritable origine. L'empereur énumérait par la bouche de son ministre ses nombreux griefs à l'égard de la Cour de Rome, les diocèses sans évêques, les prélats dépourvus de l'institution canonique : Par ce moyen le pape a essayé de susciter des troubles dans l'Église et dans l'État. Les projets sinistres du pape ont été rendus nuls par la fermeté des chapitres à maintenir leurs droits et par le bon esprit des peuples, habitués à ne respecter que les autorités légitimes. Sa Majesté déclare qu'elle ne souffrira jamais qu'en France, comme en Allemagne,

« PreviousContinue »