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qui sollicitaient les Pères du concile de tenter une démarche en faveur des prisonniers. Terreur ou séduction, les évêques, individuellement travaillés et pressés, plièrent les uns après les autres sous la volonté impériale. Les nouvelles de Savone indiquaient un meilleur état de santé du pape, et le penchant d'en revenir à peu près aux concessions primitives. Le concile, dissous le 11 juillet, se rassembla de nouveau sans bruit le 5 août. On était assuré de la signature de quatre-vingts évêques environ. La discussion publique ne se ne se renouvela pas; l'archevêque de Bordeaux protesta seul contre le projet de décret qui sanctionnait toutes les prétentions impériales; treize ou quatorze prélats joignirent leur protestation muette à la déclaration de M. d'Aviau; l'assemblée vota par assis et levé. Soumis à un pouvoir qu'ils n'osaient discuter, les Pères du concile n'avaient pas de goût à proclamer hautement leur obéissance personnelle. Le décret rédigé par l'empereur Napoléon revint entre ses mains confirmé par l'approbation du concile. <«< Notre vin n'a pas été trouvé bon en cercle, avait dit cyniquement le cardinal Maury; vous verrez qu'il sera meilleur en bouteilles. » Une députation d'évêques partit pour Savone.

Quelques mois plus tard, sous la pression de la même volonté, arbitraire et souveraine, Pie VII, seul à Fontainebleau comme il l'avait été dans sa prison de Savone, devait à son tour céder dans une certaine mesure aux exigences de l'empereur Napoléon. Comme naguère à Savone, il était destiné à voir ses concessions, dénaturées et exagérées, servir de base à une convention qu'il ne ratifia jamais. Au lendemain du concile, il ne témoigna point de mécontentement aux évêques délégués auprès de lui, promit l'investiture aux vingt-sept prélats nommés, et donna même aux délibérations du concile une certaine sanction dans un bref qu'il se réserva le droit de rédiger. La forme n'en plut pas à l'empereur, qui le renvoya au Conseil d'État avec mission de l'examiner. Les évêques qui étaient encore demeurés à Paris dans l'attente des décisions du saint-père furent envoyés dans leurs diocèses. « Je ne veux pas trouver toujours ici une convention de dévots,» avait dit l'empereur à M. de Rovigo. En convoquant le concile, il avait commis cette erreur de compter sur la docilité facile d'une assemblée. « Interroger les hommes, c'est leur reconnaître le droit de se tromper, disait-on dans Paris au lendemain de l'arrestation des évêques opposants. Pourquoi réunit-il un concile pour emprisonner ensuite ceux qui ne sont pas de son avis? Le triomphe que Napoléon avait obtenu sur les

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prélats épouvantés n'avait pas servi sa gloire, il contribuait cependant à diminuer momentanément ses embarras ecclésiastiques. Tous les diocèses se trouvaient pourvus d'évêques, et l'ordre était rétabli dans les chapitres. C'était alors tout ce que demandait l'empereur. Les attentats qu'il avait commis contre l'indépendance des consciences et la liberté des personnes ne pesaient pas pour lui dans la balance. Il avait accoutumé de faire peu de cas des droits qui mettaient obstacle à l'accomplissement de ses desseins. Il avait soumis les évêques, imposé au pape captif une acceptation partielle de sa volonté, revendiqué hautement l'héritage de Charlemagne, et proclamé sa suprématie morale et religieuse; il laissait encore Pie VII à Savone, et les prélats récalcitrants à Vincennes; rien ne le retenait plus à Paris. La campagne de Russie se préparait déjà.

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GLOIRE ET FOLIE. LA CAMPAGNE DE RUSSIE (1811-1812).

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Il est cruel d'aimer son pays et de le voir marcher vers la défaite; il est triste de voir un grand esprit, naguère aussi sensé que puissant, entraîné vers la ruine par ses propres fautes, entraînant à sa suite une nation lassée. En 1812, la France commençait à juger l'empereur Napoléon; depuis longtemps, l'Europe avait prononcé contre l'insatiable conquérant qui la dévastait sans relâche. Elle allait apprendre une fois de plus que ni l'éloignement, ni les rigueurs du climat, ni les forces menaçantes n'offraient contre les entreprises de l'empereur une protection suffisante. Pendant que ses armées luttaient avec peine en Espagne et en Portugal contre les peuples soulevés avec le concours de l'Angleterre, tandis qu'il retenait en Allemagne les gages de ses conquêtes, Napoléon se préparait à attaquer l'empereur Alexandre, encore officiellement honoré du nom de son allié, et auquel il écrivait le 6 avril 1811, lorsque déjà il préparait partout ses armements :

« Votre Majesté a-t-elle jamais eu à se repentir de la confiance qu'elle m'a témoignée? »

Plusieurs raisons poussaient Napoléon à entamer les hostilités contre l'empereur Alexandre, raisons insuffisantes et mauvaises, mais qui, à ses yeux, et sous l'influence de ses passions personnelles, pesaient d'un poids décisif dans la balance. Il voulait poursuivre, partout, et par tous les moyens, sa lutte contre l'Angleterre et contre l'action. qu'elle exerçait en Europe. Alexandre s'était refusé à aggraver les rigueurs du blocus continental. A cette infraction que reprochait Napoléon à l'esprit des traités qui liait le tzar envers lui, Alexandre avait ajouté, pendant la guerre contre l'Autriche, une attitude indifférente et réservée qui avait inspiré confiance à l'empereur François et à ses conseillers. Il n'avait manifesté aucun empressement pour l'union de famille que Napoléon lui avait fait proposer à deux reprises, et cependant l'empereur des Français ne se faisait aucune illusion sur l'humeur qu'avait causée à Saint-Pétersbourg la brusque rupture des négociations engagées pour la main de la grande-duchesse. Enfin Napoléon restait convaincu que l'empereur Alexandre préparait la guerre, qu'il était pressé de recouvrer sa liberté, d'échapper aux entraves qui lui avaient été imposées par le traité de Tilsit; il croyait en même temps que la reprise des hostilités serait signalée par d'importants avantages pour celui des deux belligérants qui saurait le premier entrer en campagne. C'était donc, pendant l'année 1811, tout son effort de hâter ses préparatifs guerriers, en usant des artifices de sa diplomatie pour endormir son adversaire, tout en démontrant clairement à l'Europe que la rupture des traités venait de l'empereur Alexandre, et que les Russes avaient armé les premiers. C'est en lui envoyant le comte de Lauriston, chargé de remplacer auprès de lui M. de Caulaincourt, que Napoléon écrivait au tzar: « Je n'envoie pas à Votre Majesté un homme consommé dans les affaires, mais un homme vrai et droit, comme les sentiments que je lui porte. Et cependant je reçois chaque jour des nouvelles de Russie qui ne sont pas pacifiques. Hier, j'ai appris de Stockholm que les divisions russes de la Finlande étaient parties pour s'approcher des frontières du grand-duché. Il y a peu de jours, j'ai été instruit de Bucharest que cinq divisions ont quitté les provinces de Moldavie et de Valachie pour se rendre en Pologne et qu'il ne reste plus que quatre divisions des troupes de Votre Majesté sur le Danube. Ce qui se passe est une nouvelle preuve

que la répétition est une puissante figure de rhétorique; on a tant répété à Votre Majesté que je lui en voulais, que sa confiance en a été ébranlée. Les Russes quittent une frontière où ils sont nécessaires, pour se rendre sur un point où Votre Majesté n'a que des amis. Cependant j'ai dù penser aussi à mes affaires, et j'ai dû me mettre en mesure. Le contre-coup de mes préparatifs portera Votre Majesté à accroître les siens et ce qu'elle fera, retentissant ici, me fera faire de nouvelles levées, et tout cela pour des fantômes! Ceci est la répétition de ce que j'ai vu en 1807 en Prusse et en 1809 en Autriche. Pour moi, je resterai l'ami de Votre Majesté même quand cette fatalité qui entraîne l'Europe devrait un jour mettre les armes à la main à nos deux nations. Je ne me réglerai pas sur ce que fera Votre Majesté, je n'attaquerai jamais; et mes troupes ne s'avanceront que lorsque Votre Majesté aura déchiré le traité de Tilsit. Je serai le premier à désarmer et à tout remettre dans la situation où étaient les choses il y a un an, si Votre Majesté veut revenir à la même confiance. »

L'empereur disait vrai et la conduite qu'il tenait à l'égard de la Russie n'était pas nouvelle. C'était depuis longtemps l'artifice grossier de son insatiable besoin de combattre et de conquérir que d'attribuer à ses ennemis des craintes ou des espérances qui leur mettaient les arines à la main, craintes et espérances qui provenaient habituellement de son attitude et des projets qu'on lui supposait. Des raisons militaires contribuaient en ce moment à l'encourager dans la dissimulation et les assurances pacifiques : il avait conçu le projet d'occuper successivement les vastes territoires qui le séparaient de la Russie, et de gagner d'abord l'Oder, puis la Vistule, avant que les Russes se fussent ébranlés pour passer le Niémen. Il avait déjà commencé de forger les premiers anneaux de cette combinaison; il avait partout arraché une foule de réfractaires aux bois et aux rochers qui leur servaient de retraite en faisant parcourir leurs provinces par des colonnes mobiles qui mettaient garnison dans les villages, et pillaient librement les maisons des jeunes fugitifs. Cinquante ou soixante mille hommes avaient été ainsi obligés de se livrer eux-mêmes lorsqu'ils n'avaient pas été saisis dans leurs cachettes. L'empereur les envoya par troupeaux dans les îles d'Elbe, de Corse, de Ré, de Belle-Ile, de Walcheren, chargeant la mer de garder ses déserteurs; à peine initiés aux premières notions de la discipline militaire, ils étaient expédiés en masse au maréchal Davout toujours posté sur l'Elbe, et qui était

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