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moment où l'excès de l'arrogance devait provoquer l'effet des volontés contraires. Nous allons voir le pape captif, le peuple espagnol soulevé, le climat et les déserts de la Russie ligués contre le maître tyrannique de l'Europe. L'Angleterre n'avait jamais accepté le joug. Partout elle avait secondé la résistance. Désormais, ce n'était plus sur la mer seulement ou par l'appui de ses subsides qu'elle entrait dans la lice, sir Arthur Wellesley allait à son tour engager la lutte.

Un dernier acte de la volonté absolue de l'empereur Napoléon devait signaler la période du gouvernement intérieur de la France qui précéda la guerre d'Espagne et les campagnes d'Allemagne et de Russie : ce fut la suppression pure et simple, par un sénatus-consulte, de ce Tribunat naguère institué avec tant de pompe, et qui était peu à peu tombé dans l'insignifiance à la suite des épurations successives qu'il avait subies et du secret qui avait été imposé à ses délibérations. Le pouvoir absolu ne pouvait supporter ni la contradiction, ni l'apparence même de la discussion, quelque modérée qu'elle pût être. Le souvenir importun d'une opposition éloquente et courageuse s'attachait cependant encore au nom du Tribunat. Des noms honorés avaient survécu dans ce grand silence. « L'abolition du Tribunat sera moins un changement qu'une amélioration dans nos institutions, dit M. Boulay de la Meurthe dans son rapport, le Tribunat n'offrant plus, depuis la constitution de l'Empire, que l'aspect d'une pièce inutile, déplacée et discordante. » Le Corps législatif donna asile aux membres du Tribunat encore en exercice; ils prirent de droit place dans ses rangs; ils y disparurent, annulés par la servitude qui régnait autour d'eux. Le prix de leur admission dans le Corps législatif avait cependant été décoré d'une apparence libérale la parole avait été rendue à cette assemblée.

M. de Fontanes prit d'avance le soin de marquer quel esprit devait présider à ses discussions. « Ces enceintes qui s'étonnaient de leur silence, et dont le silence va cesser, n'entendront pas gronder les tempêtes populaires. Que la tribune y soit sans orages et qu'on n'y applaudisse qu'aux triomphes de la raison. Que la vérité surtout s'y montre avec courage, mais avec sagesse, et qu'elle y brille de toute sa lumière. Un grand prince en doit aimer l'éclat. Elle seule est digne de lui, qu'en pourrait-il craindre? Plus on le regarde, plus il s'élève; plus on le juge, plus on l'admire. » Par la bouche de M. Carrion-Nisas, le Tribunat remercia l'empereur de l'avoir déchargé de ses fonctions. « Nous croyons

moins arriver à l'extrémité de notre carrière qu'atteindre le but de tous nos efforts et la récompense de notre dévouement, disaient-ils. Assuré de la docilité des grands corps de l'État, tranquillisé sur celle de la magistrature dont il avait ordonné l'épuration, l'empereur Napoléon put tourner ses pensées vers l'extérieur: il s'agissait d'asseoir le roi Joseph sur le trône d'Espagne.

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Napoléon n'avait pas tenu sa promesse aux Bourbons d'Espagne : il n'était pas venu à Madrid pour apaiser les divisions et pour raffermir le pouvoir ébranlé; il avait attiré l'un après l'autre tous les membres de la famille royale à Bayonne, et là, sur le sol français, il avait facilement consommé leur perte. C'était de même sur le sol français qu'il préparait l'élévation de son frère au trône. Le roi Joseph tardait à arriver ce fut le 8 juin seulement qu'il fit son entrée à Bayonne; déjà la volonté impérieuse et les habiles manœuvres de l'empereur avaient amené dans cette ville un certain nombre de grands seigneurs favorables au pouvoir nouveau par intérêt ou par crainte; déjà Joseph était proclamé roi d'Espagne et des Indes; à peine ce prince avait-il eu le temps de mettre le pied à terre, qu'il était entouré de députations espagnoles soigneusement préparées par ordre de Napoléon. C'était à regret que le nouveau monarque de l'Espagne avait

quitté Naples; sans prévoir les difficultés qui l'attendaient, il aimait la vie douce et facile de l'Italie, et n'avait pas encore oublié les ennuis d'une prise de possession et les obstacles que rencontre un régime nouveau. L'empereur prit soin de l'étourdir dès le début; la junte formée à Bayonne préparait une constitution; Napoléon avait réuni de nombreux renseignements sur le lamentable état de l'administration en Espagne. Il me faut ces documents pour les mesures que j'ai à ordonner, avait-il écrit à Murat toujours à Madrid, malade et triste; il me les faut aussi pour apprendre un jour à la postérité dans quel état j'ai trouvé la monarchie espagnole. » Inutile précaution d'un grand esprit qui croyait disposer de l'avenir et du jugement de la postérité comme il avait jusqu'alors ébloui ou terrassé tous les témoins de sa prodigieuse carrière !

Huit jours après l'arrivée du roi Joseph à Bayonne, la nouvelle constitution était adoptée par la junte improvisée. « C'est tout ce que nous pouvons vous offrir, sire, avait dit imprudemment le duc de l'Infantado, naguère le plus ardent complice du prince des Asturies dans ses intrigues contre son père; nous attendons que la nation se prononce et nous autorise à donner un plus libre cours à nos sentiments. » On fit taire le duc; la nation espagnole n'avait pas été consultée.

La constitution espagnole avait été généralement inspirée par le modèle de la constitution française; l'article premier rendait hommage aux passions religieuses de l'Espagne : « La religion de l'État est la religion catholique, aucune autre n'est permise. » Le roi Joseph venait de choisir ses ministres; plusieurs avaient fait partie du gouvernement de Charles IV. Après avoir prêté serment à son nouveau monarque, le premier soin de la junte fut d'aller remercier et complimenter l'empereur Napoléon à Marac.

Au même moment, et pendant qu'il appelait à Bayonne les renforts de troupes qu'il destinait à accompagner et à soutenir le roi Joseph à l'entrée de son nouveau royaume, Napoléon écrivait à l'empereur Alexandre :

« Monsieur mon frère, j'envoie à Votre Majesté la constitution que la junte espagnole vient d'arrêter. Les désordres de ce pays étaient arrivés à un degré difficile à concevoir. Obligé de me mêler de ses affaires, j'ai été par la pente irrésistible des évènements conduit à un système qui, en assurant le bonheur de l'Espagne, assure la tranquil

lité de mes États. J'ai lieu d'être très-satisfait de toutes les personnes de rang, de fortune et d'éducation. Les moines seuls, qui occupent la moitié du territoire, prévoyant dans le nouvel ordre de choses la destruction des abus, et les nombreux agents de l'Inquisition qui entrevoient la fin de leur existence, agitent le pays. Je sens bien que cet évènement ouvrira un des plus vastes champs pour disserter. On

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ne voudra pas apprécier les circonstances et les évènements, on voudra que tout ait été suscité et prémédité. Cependant, si je n'eusse considéré que l'intérêt de la France, j'aurais eu un moyen plus simple, qui eût été d'étendre mes frontières de ce côté et d'amoindrir l'Espagne. Une province comme la Catalogne ou la Navarre eût été plus pour sa puissance que le changement qui vient d'avoir lieu, qui en réalité n'est utile qu'à l'Espagne. >>

Pendant que l'empereur Napoléon annonçait ainsi en Europe ce qu'il lui convenait de faire croire sur les évènements d'Espagne, pen

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