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il se trouva devant Saragosse: don Joseph Palafox s'y était enfermé, la population tout entière couvrait les toits des maisons, d'où pleuvaient une grêle de balles. Le général français comprit qu'il s'agissait d'un siège en règle il fit demander à Barcelone des renforts et de l'artillerie. Le maréchal Moncey n'avait pas encore pu réussir à gagner Valence. Le général Duhesme était bloqué dans Barcelone par l'insurrection, qui gagnait de jour en jour plus de terrain en Catalogne. Il se vit cependant obligé de détacher le général Chabran, qui devait rejoindre le maréchal Moncey; les insurgés profitèrent de cette division de nos forces pour se jeter sur la colonne du général Schwartz, chargée de fouiller le couvent du Montserrat. Partout dans les villages des montagnes le tocsin sonnait, les ponts des torrents étaient coupés, il fallait enlever chaque bourg à la baïonnette. Une sortie du général Duhesme délogea les ennemis de leur poste sur la rivière du Llobregat, il s'empara des canons, qu'il ramena dans Barcelone. « Qu'il désarme toute la ville de Barcelone, écrivait l'empereur le 10 juin au maréchal Berthier, de manière à n'y pas laisser un seul fusil, qu'il approvisionne de vivres le château et Montjouy en prenant chez les habitants. Il faut les mener très-militairement. La guerre justifie tout. Au moindre évènement, il faut prendre des otages et les envoyer dans le fort. »

Le général Dupont avait été chargé de l'entreprise à la fois la plus difficile et la plus importante. Douze à treize mille hommes marchaient sous ses ordres; il s'avançait vers l'Andalousie avec la mission de réduire à la soumission cette grande province et de protéger la flotte française de Cadiz. L'empereur avait ordonné au général Junot de soutenir le mouvement de Dupont en lui envoyant la division de Kellermann, mais le Portugal imitait l'exemple de l'Espagne et se soulevait tout entier. Dès ses premiers pas en Andalousie, Dupont reconnut l'importance de l'insurrection, et demanda aussitôt du renfort. Je n'aurai plus alors à faire qu'une promenade conquérante, écrivit-il au général Savary.

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Le 7 juin, après un combat assez vif, les troupes françaises enlevaient le pont d'Alcolea sur le Guadalquivir; le soir même elles arrivèrent devant Cordoue. Une canonnade enfonça les portes, il fallut enlever à la baïounette les barricades et les maisons. Les soldats s'irritèrent, et lorsqu'ils furent vainqueurs, ils usèrent cruellement de la victoire. La haine s'en accrut; derrière nous, en deçà de la Sierra

Morena, sur la route de Cordoue à Andujar, les traînards, les malades, les blessés qui avaient été obligés de s'arrêter dans les villages, étaient mis à mort avec des raffinements de barbarie. Le général Dupont attendait les deux divisions Vedel et Frère qu'il avait demandées à Madrid; à Cadiz, sur la flotte française, on comptait les jours, bientôt les heures.

Le chef de l'insurrection, Thomas de Morla, avait paru d'abord fidèle à l'alliance des deux marines espagnole et française; il avait rappelé les souvenirs de la bataille de Trafalgar dont les glorieux débris composaient l'escadre française en rade à Cadiz, mais peu à peu il avait pris soin de séparer les deux flottes, décidant l'amiral Rosily à s'engager dans l'intérieur de la rade et plaçant les navires. espagnols à l'entrée, afin, disait-il, de défendre Cadiz contre les Anglais qui proposaient en vain cinq mille hommes de débarquement. L'amiral se trouva bientôt cantonné au milieu des lagunes qui forment et défendent la rade de Cadiz; un vent contraire empêchait l'attaque désespérée qu'il eût voulu tenter contre les Espagnols; déjà s'accumulaient autour de lui et contre lui les mortiers et les chaloupes canonnières; le 9 juin, le feu commença, impuissant et faible de la part de nos navires malgré l'héroïque résolution des équipages. Le combat dura deux jours; la junte de Séville exigeait la reddition pure et simple; l'amiral Rosily savait l'entrée du général Dupont à Cordoue, il espérait être secouru, et demanda un sursis. Quatre jours s'écoulèrent le 14 juin, la flotte française dépourvue de toute ressource, assurée d'une ruine complète, se rendit à discrétion; les officiers furent dispersés dans les forts et les navires désarmés; la foule qui se pressait dans le port saluait de ses cris féroces et de ses applaudissements les prisonniers français qui défilaient devant elle et les Anglais qui venaient enfin d'opérer leur débarquement.

Le général Dupont n'avait pas reçu de renforts; il doutait de l'arrivée de ses courriers partout interceptés par les brigands de la Sierra Morena, il savait le soulèvement des troupes de Saint-Roque et la perfidie des régiments suisses récemment engagés dans l'insurrection; il se voyait menacé à droite par l'armée insurgée de l'Andalousie, à gauche par l'armée de Grenade. Il prit le parti de se replier sur le Guadalquivir et le 18 juin il s'établit dans la petite ville d'Andujar, attendant les divisions qu'il avait demandées. Déjà la division Vedel était en marche.

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Le maréchal Moncey avait échoué devant Valence, et n'avait pas voulu en commencer le siège, faute de grosse artillerie; il venait de ramener sa division en bon état, opérant sa jonction à San-Clemente avec le général Frère; le maréchal Bessières s'avançait en même temps contre don Gregorio de la Cuesta et contre le général Blake, descendant de réfugiés anglais et catholiques; tous étaient d'anciens soldats et leurs forces étaient considérables; ils avaient cependant demandé le loisir d'instruire leurs troupes; la junte de la Corogne les contraignit de marcher au combat. Le 13 juillet au soir, les Espagnols, mal instruits de la marche des Français, se trouvèrent en deux lignes sur le plateau de Medina de Rio-Seco, non loin de Valladolid. Attaquées l'une après l'autre par le maréchal Bessières, les deux lignes furent complètement battues et mises en déroute, non sans quelque résistance sur certains points. Le carnage fut terrible; le général Mouton à la tête de deux régiments entra, la baïonnette au bout du fusil, dans la ville de Medina, qui fut saccagée. Le maréchal Bessières reprit sa marche vers Leon, repoussant devant lui les restes débandés de l'armée espagnole. Le roi Joseph venait d'entrer à Madrid.

Il prenait possession de sa capitale au milieu du morne silence des habitants, plus irrités qu'effrayés par la nouvelle de la victoire de RioSeco, qui avait devancé de quelques heures le nouveau monarque. Depuis qu'il avait mis le pied en Espagne, les yeux de Joseph s'étaient ouverts. « Personne n'a dit jusqu'ici toute la vérité, écrivait-il à l'empereur Napoléon le 12 juillet. Le fait est qu'il n'y a pas un Espagnol qui se montre pour moi, excepté le petit nombre de personnes qui ont assisté à la junte et qui voyagent avec moi. Les autres, arrivés ici, se sont cachés, épouvantés par l'opinion unanime de leurs compatriotes. » Et quelques jours plus tard : « La peur ne me fait pas voir double; depuis que je suis en Espagne, je me dis tous les jours que ma vie est peu de chose et que je vous l'abandonne. Je ne suis point épouvanté de ma situation, mais elle est unique dans l'histoire : je n'ai pas ici un seul partisan. » Chaque jour, il répétait la même demande : « Il me faut encore cinquante mille hommes de vieilles troupes et cinquante millions; dans un mois il me faudra cent mille hommes et cent millions. » L'armée française en Espagne comptait déjà cent dix mille soldats, jeunes, il est vrai, et pour la plupart inexpérimentés, mais l'Europe presque entière était occupée par nos troupes; Napoléon s'irritait contre les sages appréciations de Savary,

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