Page images
PDF
EPUB

ses troupes, il rappela le général Kellermann d'Elvas et le général Loison d'Almeida. Autour d'eux l'insurrection commençait déjà; lorsque sir Arthur Wellesley mit le pied sur le sol portugais, les Français n y tenaient plus que quatre ou cinq villes; le peuple tout entier était insurgé. Mais le général Junot occupait encore Lisbonne; ses forces étaient malheureusement diminuées par les garnisons laissées dans les places, et par le corps d'observation détaché sous les ordres du général Delaborde. Après une courageuse résistance, cette avant-garde de l'armée française avait déjà été vaincue lorsque les Anglais s'avancèrent jusqu'à Vimeiro. Junot marcha contre eux avec une armée de douze à treize mille hommes. Les Anglais en comptaient environ dix-huit mille. L'arrivée de sir John Moore avec sa brigade était annoncée.

Un malencontreux respect pour les droits de l'ancienneté avait subordonné sir Arthur Wellesley aux ordres de sir Henry Burrard et celui-ci au commandement de sir Hew Dalrymple qui avait déjà quitté Gibraltar pour se mettre à la tête de l'armée. Les instructions de Wellesley l'obligaient à attendre à Vimeiro l'arrivée de sir John Moore. Le général Junot voulut devancer les renforts, il attaqua les Anglais, le 31 août, au matin.

Sir Arthur Wellesley occupait les hauteurs de Vimeiro; derrière lui se trouvait l'abime et toute retraite eût été impossible. L'accès des rochers était difficile, une forte artillerie protégeait toutes les positions; lorsque les Français s'élancèrent à l'assaut de cette forteresse naturelle, ils ne purent d'abord atteindre jusqu'aux lignes anglaises; seul le général Kellermann était parvenu à escalader les pentes escarpées qui conduisaient à l'ennemi, il fut accueilli par un feu meurtrier qui l'obligea de reculer. Notre cavalerie, supérieure à celle des Anglais, restait inutile pour cette difficile attaque; son seul devoir fut constamment de protéger les corps d'infanterie repoussés l'un après l'autre ; l'armée anglaise n'avait pas bougé. A midi, le général Junot ordonna la retraite; sir Arthur Wellesley, toujours en observation sur les hauteurs, s'ébranlait déjà pour suivre et pour écraser ceux qui n'avaient pu lui enlever un pouce de terrain, mais sir Henry Burrard était arrivé, le commandement passait entre ses mains, il était opposé à toute pensée de poursuite. Junot prit la direction de Torres-Vedras. Sir Arthur Wellesley écoutait avec un respect mêlé d'impatience les arguments de son chef, il se retourna vers son état-major: « Là-dessus,

messieurs, dit-il, il ne nous reste plus qu'à aller chasser les perdrix rouges. >

Le général Junot avait mieux jugé que son adversaire du danger qui le menaçait; il sentit l'impossibilité de se maintenir dans un pays tout à coup devenu ennemi, en face d'une armée anglaise supérieure déjà à la sienne et bientôt renforcée par des troupes excellentes. Le général Kellermann fut chargé de négocier, d'abord un armistice, puis la capitulation dite de Cintra, qui régla honorablement pour les généraux français l'évacuation du Portugal. Les conditions accordées furent si favorables, que l'opinion anglaise en fit un crime aux négociateurs et que le poids en pesa quelque temps sur sir Arthur Wellesley. Il n'y avait cependant pas été favorable. « Dix jours après la bataille du 21, écrivait-il à lord Castlereagh, nous sommes moins avancés que nous n'aurions pu et dû l'être le soir de la bataille. » L'empereur Napoléon avait de son côté manifesté quelque mécontentement de la convention qui ramenait en France toutes ses troupes libres d'engagement et pourvues de leurs armes. « J'allais envoyer Junot devant un conseil de guerre, dit-il, mais heureusement les Anglais ont pris les devants en y envoyant les leurs : ils m'ont ainsi épargné le chagrin de punir un ancien ami. » La confiance de Napoéon resta cependant ébranlée à l'égard de son lieutenant. « Tout ce qui n'était pas un triomphe, il le regardait comme une défaite, » dit la duchesse d'Abrantès dans ses mémoires.

Il arrivait souvent à Napoléon de juger injustement des hommes et des choses, parce qu'il les appréciait exclusivement à un point de vue personnel et égoïste. Ce fut ainsi qu'il accusa de trahison le marquis de la Romana et ses braves compagnons. Arrachés en 1807 aux honteuses terreurs du prince de la Paix, au lendemain de la bataille de Friedland, les bataillons espagnols avaient été envoyés par Napoléon dans les régions qui devaient sembler les plus funestes au tempérament et aux habitudes de vie des méridionaux. Ils avaient été confiés au roi de Danemark et chargés de protéger contre les Anglais son petit royaume naguère cruellement opprimé par eux. Leur santé était cependant excellente, lorsque le bruit leur parvint du soulèvement général qui se manifestait en Espagne et des succès imprévus de la résistance nationale. Ils conçurent aussitôt la pensée de retourner dans leur patrie, afin de joindre leurs efforts à ceux de leurs compatriotes Une escadre anglaise sous les ordres de l'amiral Keith apparut tout à coup

sur la côte du Jutland, aux approches de Niborg dans l'île de Fionie. Aussitôt le marquis de la Romana, à grand'peine prévenu par des avertissements secrets, s'empara des barques de pêche, nombreuses sur la côte; puis s'étant rendu maître de la citadelle et du port de Niborg, ayant franchi deux bras de mer, et rassemblé autour de lui tous ceux de ses compagnons d'armes qui se trouvaient à sa portée, il gagna la flotte anglaise et fit voile vers Guttenbourg, d'où il reprit la mer pour l'Espagne. Quelques régiments enfoncés dans l'intérieur des terres. n'avaient pu être avertis à temps et restèrent prisonniers de guerre ; l'un d'eux, ayant appris par hasard l'entreprise de ses camarades, parvint à les rejoindre au moment précis de l'embarquement, après une marche forcée même pour des Espagnols. Au milieu de septembre, ils abordaient enfin en Galice, aux cris de joie de la population.

C'était toujours à Vittoria que le malheureux roi d'Espagne recevait les unes après les autres les nouvelles qui abattaient son courag› et qui convainquaient sa raison de l'inutilité des efforts tentés pour l'affermir sur le trône. Dès le 9 août, il écrivait à l'empereur Napoléon : « Je ne pense pas qu'on puisse traiter avec les chefs des insurgés; toutes les têtes sont en mouvement, nul n'a la direction des affaires et assez d'action sur les masses pour les conduire dans un sens déterminé. Dans la supposition que la France voulût gratuitement prodiguer son sang et son or pour me placer et me maintenir sur le trône des Espagnes, je ne puis pas cacher à Votre Majesté que je ne pourrais pas supporter la pensée qu'un autre que Votre Majesté pût commander en Espagne les armées françaises; devenu le conquérant de ce pays par les horreurs de la guerre à laquelle tous les individus espagnols prendront part, je serais longtemps un objet de terreur et d'exécration. Je suis trop vieux pour avoir le temps de réparer tant de maux et j'aurais semé trop de haines pendant la guerre pour que je pusse recueillir dans mes dernières années le fruit du bien que j'aurais pu faire pendant la paix. Votre Majesté voit donc que même dans cette hypothèse, celle de la conquête et de l'intégrité de la monarchie, je ne dois pas désirer de régner en Espagne..... Ce peuple est plus concentré dans ses sentiments qu'aucun autre peuple de l'Europe, il a quelque chose du caractère des peuples de l'Afrique qui lui est particulier. Votre Majesté ne peut se faire une idée, parce que certainement personne ne le lui aura dit, à quel point le nom de Votre Majesté est haï. Voici donc ce que je désire : Conserver le commandement de l'armée assez.

longtemps pour battre l'ennemi, rentrer dans Madrid avec elle, puisqu'elle en est sortie avec moi, et de cette capitale émaner un décret portant que je renonce à régner sur un peuple que j'ai dû réduire par la force des armes, et que je retourne à Naples faisant des vœux pour le bonheur des Espagnes et allant travailler à celui des Deux

[graphic][merged small][merged small]

Siciles. En remettant à Votre Majesté les droits que je tiens d'elle, elle en ferait l'usage que sa sagesse lui indiquerait.

« Je prie donc Votre Majesté de suspendre toute opération relative au royaume de Naples. Il ne manquera pas à Votre Majesté de moyens d'indemniser le prince qu'elle aurait voulu placer sur le royaume de Naples; d'ailleurs l'exacte justice, toutes les affections se pressent dans le cœur de Votre Majesté en ma faveur. » Et deux jours plus tard: « Il faut deux cent mille Français pour conquérir l'Espagne, et cnet mille échafauds pour y maintenir le prince qui sera condamné à régner sur eux. Non, Sire, on ne connaît pas ce peuple: chaque maison

sera une forteresse et chaque homme a la volonté de la majorité. Je ne répète qu'une chose, mais elle suffit pour en donner un exemple: pas un Espagnol ne sera pour moi si on fait la conquête, nous ne trouvons pas un guide, pas un espion. Quatre heures avant la bataille de Rio-Seco, le maréchal Bessières ne savait pas où était l'ennemi. Tout ce qui parle ou écrit différemment, ment ou n'a pas d'yeux. »

Le royaume de Naples avait été solennellement conféré le 15 juillet au << prince Joachim Murat, grand-duc de Clèves et de Berg ». La hautaine obstination de Napoléon, son habitude de vaincre et le besoin croissant du prestige de la victoire ne lui permettaient pas d'admettre un seul instant les modestes prétentions du roi Joseph. Il se préparait déjà à passer bientôt en Espagne, comptant sur le succès dès que sa présence rendrait à ses lieutenants la prévoyance et l'audace. D'autres soins l'avaient jusqu'alors détourné de cette expédition, qui devenait chaque jour plus nécessaire. Depuis longtemps déjà Napoléon avait conçu des soupçons sur la loyauté de l'Autriche; à plusieurs reprises il l'avait accusée, non sans raison, de faire des armements et des préparatifs hostiles. L'occupation de Rome et les évènements d'Espagne avaient d'autre part accru la méfiance et l'irritation à Vienne. L'archiduc Charles, habituellement bienveillant pour la France, s'était écrié : « Eh bien! nous mourrons s'il le faut les armes à la main, mais on ne disposera pas de la couronne d'Autriche aussi facilement qu'on a disposé de la couronne d'Espagne ! »>

Napoléon venait à peine d'arriver à Paris, au retour d'un long voyage en France; une grande fête avait réuni autour de lui tout le corps diplomatique (15 août 1808), lorsque son humeur contre l'Autriche éclata, comme elle avait éclaté naguère à l'égard de l'Angleterre dans son entretien célèbre avec lord Whitworth. Les fréquentes menaces de M. de Champagny n'avaient pas intimidé M. de Metternich, alors ambassadeur d'Autriche à Paris; l'empereur s'avança brusquement vers lui : « L'Autriche veut donc nous faire la guerre? Elle veut me faire peur?... » Et sans écouter les protestations pacifiques du prince..... < Pourquoi donc ces immenses préparatifs? Ils sont défensifs, dites-vous? Mais qui vous attaque pour songer ainsi à vous défendre? Tout n'est-il pas paisible autour de vous? Depuis la paix de Presbourg, y a-t-il eu entre vous et moi le plus léger différend? Toutes nos relations n'ont-elles pas été extrêmement amicales? Et cependant vous avez jeté tout d'un coup un cri d'alarme; vous avez mis en mouvement

« PreviousContinue »