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en France, à la suite de leurs échecs, battus et dispersés, ils furent recueillis et soutenus, à la condition de rester éloignés des frontières et de maintenir leur résidence dans les lieux qui leur étaient désignés. L'attitude du roi Ferdinand VII était devenue conciliante. « La France est et désire rester en paix avec tous ses voisins, notamment avec l'Espagne, telles avaient été les instructions du gouvernement à ses » agents.

La France voulait également conserver la paix avec la Russie, et elle voyait avec tristesse éclater sous les plus nobles chefs une insurrection polonaise (29 novembre 1850) qui ne devait amener pour la Pologne qu'un redoublement de souffrances. Le premier effort de Joseph Chlepecki, comme du général Skrynecki, n'allait qu'à obtenir de l'empereur Nicolas de justes et honorables concessions en faveur de la Pologne, telle que l'empereur Alexandre avait prétendu la reconstituer. Les passions populaires, imprévoyantes dans leur ardent patriotisme, paralysèrent ces efforts, usèrent successivement l'influence et la vie des plus courageux et des plus intelligents, et livrèrent Varsovie et la Pologne aux horreurs de la démagogie déchaînée, pour les laisser ensuite retomber sous le joug appesanti des Russes. Les Polonais avaient trop compté sur les promesses des révolutionnaires français et sur leur puissance auprès du gouvernement français; ils n'avaient reçu aucun engagement et la France ne manqua envers eux à aucun devoir; le général Sébastiani le proclama avec une imprévoyante rudesse. L'ordre règne à Varsovie, annonça-t-il à la Chambre au moment même où l'insurrection polonaise expirait dans des flots de sang. Seule la France avait tenté une intervention en faveur de la Pologne auprès de la Russie, avant les derniers jours de la lutte; elle recueillit avec une générosité persévérante les malheureux fugitifs.

La politique extérieure de la France, partout pacifique au fond, ne restait cependant pas inerte et indifférente. Il faut, disait le roi Louis-Philippe, peser les intérêts et mesurer les distances loin de nous; rien ne nous oblige à engager la France; nous pouvons agir ou ne pas agir, selon la prudence ou l'intérêt français; autour de nous, à nos portes, nous sommes engagés d'avance; nous ne pouvons souffrir que les affaires de nos voisins soient réglées par d'autres que par

eux-mêmes et sans nous. »

C'était ce principe qui devait bientôt nous armer contre la citadelle

d'Anvers, c'était ce principe qui dirigea au mois de juillet 1832 l'expédition commandée par l'amiral Roussin contre les exactions commises. en Portugal par don Miguel à l'égard des Français établis dans ses États. Le redressement de nos griefs tardait; l'Angleterre avait obtenu des satisfactions analogues à celles que nous réclamions. Le Tage fut forcé, la flotte portugaise capturée, et les réparations exigées furent consignées avec éclat dans une convention signée à bord du vaisseau amiral français. L'humeur fut vive en Angleterre. « La rougeur me monte au front, dit le duc de Wellington dans la Chambre des Lords, lorsque je pense au traitement que subissent impunément nos anciens alliés. » Les whigs avaient remplacé les torys au pouvoir; lord Palmerston et lord Grey ne demandèrent pas compte à la France du châtiment qu'elle avait infligé au Portugal. Presque au même moment, le gouvernement français agissait en Italie avec la même vigueur dont il avait fait preuve en Portugal. L'Autriche avait promptement réprimé les insurrections qui agitaient les États possédés par les princes de sa maison; elle avait également secondé les troupes du pape contre les soulèvements révolutionnaires dans les légations. Les corps autrichiens une fois retirés, l'agitation avait recommencé et les puissances européennes avaient cru devoir adresser au pape un appel commun, pour l'engager à entrer dans la voie d'une sérieuse réforme politique et administrative. Les promesses s'étaient trouvées peu efficaces, et l'irritation reparut dans les États Pontificaux. Le cardinal Bernetti annonça hautement aux puissances étrangères l'intention de renoncer aux modifications projetées et de recourir à une répression énergique. Les Autrichiens rentrèrent de toutes parts dans les États du pape. Le gouvernement français résolut de ne pas les laisser seuls en possession; il avait témoigné sans succès ce désir à Rome. L'occupation d'Ancône fut résolue. « Partie de Toulon le 7 février 1832, sous les ordres du capitaine de vaisseau Gallois et portant le 66 régiment de ligne, commandé par le colonel Combes, la petite escadre française arriva le 22 en vue d'Ancône. Dans la nuit, à deux heures, la frégate la Victoire entrait à pleines voiles dans le port, les troupes débarquaient en silence; les portes de la ville étaient enfoncées, et le lendemain matin, sans qu'une goutte de sang eût coulé, la ville et la citadelle étaient occupées; nos soldats faisaient le service de tous les postes, concurremment avec les soldats du pape, et le drapeau français flottait à côté du drapeau romain. « Si nous réussissons, écrivait à

M. Guizot M. de Barante, alors ambassadeur à Turin, nous aurons déplu à l'Autriche sans qu'elle veuille se brouiller avec nous, ce qui est très bon. Nous aurons montré aux gouvernements italiens que nous n'entendons pas qu'ils se fassent vassaux, afin de ne rien accorder à leurs sujets. Nous aurons fait acte de force à la grande joie de tout le parti français et libéral, qui se trouvera encouragé et appuyé par la présence de notre drapeau en Italie. Les carbonari eux-mêmes commenceront à faire un peu plus de cas de notre ministère que de M. de Lafayette'. »

L'Europe entière commençait à connaître la main puissante qui venait de saisir pour un temps trop court le gouvernail de notre vaisseau battu par les flots. Lorsque l'occupation d'Ancône avait été connue à Paris, les représentants des grandes puissances coururent chez M. Casimir Périer, ministre de l'intérieur depuis le 15 mars 1851; ils le trouvèrent souffrant, agité et fier. Sur une parole du ministre de Prusse, le baron de Werther, qui demanda s'il y avait encore un droit public européen, il se leva de son canapé et s'avança vers lui en s'écriant : « Le droit public européen, monsieur, c'est moi qui le défends; croyez-vous qu'il soit facile de maintenir les traités et la paix? Il faut que l'honneur de la France aussi soit maintenu, il commandait ce que je viens de faire. J'ai droit à la confiance de l'Europe; et j'y ai compté.

Ce n'était pas la tendance naturelle de M. Casimir Périer de compter sur les bonnes dispositions des hommes à son égard, mais la hardiesse de ses résolutions n'était jamais entravée par sa prévoyante méfiance. L'occupation d'Ancône ne troubla pas nos bons rapports avec la cour de Rome; notre ambassadeur, M. de Sainte-Aulaire, la fit accepter comme un fait temporaire dont les conditions furent réglées par une convention (16 avril 1855). La paix fut maintenue en Europe, comme l'honneur de la France. L'épreuve d'une action résolue et forte avait bien réussi.

A l'extérieur comme à l'intérieur, les efforts du gouvernement français étaient cependant constamment affaiblis et entravés par la fermentation révolutionnaire. Elle avait fatalement amené la chute du cabinet de M. Laffitte; en fait et en majorité, il appartenait cependant au côté gauche, mais il s'était trouvé impuissant et inefficace contre la fureur désordonnée des démagogues et des émeutiers qui soulevaient sans cesse dans les rues de Paris de nouvelles agitations. Cette 1. M. Guizot, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps.

faiblesse devait bientôt se manifester avec un douloureux éclat. On s'était effrayé d'avance des manifestations populaires redoutées pour le 14 février, jour anniversaire de l'assassinat du duc de Berry qui devait être commémoré par des services religieux. L'archevêque de Paris et le curé de Saint-Roch s'étaient refusés à laisser célébrer dans leurs églises les messes solennelles réclamées par les légitimistes. Ce fut

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à Saint-Germain-l'Auxerrois qu'eut lieu la cérémonie. Le gouvernement n'y mit aucun obstacle et ne prit aucune précaution contre les débordements de la passion révolutionnaire. Quelques jours plus tôt, le 21 janvier, le souvenir de la mort de Louis XVI avait été rappelé sans qu'aucune insulte en eût troublé la majesté. Le 14 février la populace se porta aux plus odieux excès. L'église Saint-Germain-l'Auxerrois, le presbytère, l'archevêché, furent saccagés, avec une fureur sauvage. « J'ai vu comme tout le monde, dit M. Guizot dans ses mémoires, flotter sur la rivière et traîner dans les rues les objets du culte, les vêtements ecclé

siastiques, les meubles, les tableaux, les livres de la bibliothèque épiscopale; j'ai vu tomber les croix ; j'ai visité le palais ou plutôt la place du palais de l'archevêque, la maison du curé de Saint-Germain-l'Auxerrois et l'église elle-même, cette vieille paroisse des rois, après leur dévastation. Ces ruines soudaines, cette nudité désolée des lieux saints étaient un spectacle hideux; moins hideux pourtant que la joie brutale des destructeurs et l'indifférence moqueuse d'une foule de spectateurs. Le même spectacle, sous des aspects divers, se reproduisit dans une foule de villes, provoqué ou non par les mêmes manifestations d'attachement à la royauté tombée. Non seulement M. Laffitte laissa l'anarchie se déployer à son gré sans effort sérieux pour la réprimer et la punir; il saisit l'occasion de ces désordres pour demander au roi Louis-Philippe de supprimer sur les monnaies et les écussons les armes traditionnelles de la France. Il eut ce malheur de l'obtenir trop facilement.

D

Tant de faiblesse et d'imprévoyance ne pouvaient suffire au gouvernement du pays et à la confiance des honnêtes gens au milieu de temps si troublés. Sans beaucoup de goût personnel, et par une nécessité qu'il reconnaissait clairement, le roi chargea M. Casimir Périer de former un cabinet. Il y avait en même temps appelé le maréchal Soult; il me faut cette grande épée, » disait-il. M. Casimir Périer réclama cependant la présidence du conseil, que le maréchal n'osa pas lui disputer.

C'est un fait rare que celui d'un homme qui, dans une seule année de gouvernement, imprime son sceau à toute une politique et fonde à jamais sa gloire. Ceux des chefs des hommes qui sont restés puissants dans le souvenir de leurs contemporains et de leurs successeurs ont d'ordinaire longtemps porté le fardeau du pouvoir, qu'ils avaient appris à exercer d'une main sûre. M. Casimir Périer mérita et obtint une plus éclatante fortune. Voué dès sa jeunesse aux affaires financières, élu dès 1817 à la Chambre des Députés, il ne cessa plus d'y siéger et d'y acquérir une influence croissante, sans avoir jamais pris aucune part à la pratique des affaires publiques. Porté dans les premiers jours de la révolution de 1850 aux premiers postes, il refusa d'accepter un ministère : « Il est trop tôt, » disait-il. En 1831, il avait été élu président de la Chambre des Députés, lorsqu'il se vit contraint de se charger du pouvoir. « Ne voyez-vous pas que tout croule autour de nous, disait-il depuis quelque temps à ses amis, et que le gouver

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