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nale est maîtresse de la ville; elle a arrêté l'artillerie qui venait contre nous. Partout l'insurrection éclate. Patience et courage! La garnison ne peut que s'affaiblir et se démoraliser. Quand même elle conserverait ses positions, il suffit de la tenir en échec jusqu'à l'arrivée de nos frères des départements. La garnison ne se démoralisa point; les frères des départements ne vinrent point; le 13 avril, au soir, dans tous les quartiers de la ville, l'insurrection vaincue renonçait au combat, et l'autorité, partout rétablie, s'étonnait de trouver parmi les morts, les prisonniers et les blessés apportés dans les hôpitaux, à peine un dixième d'ouvriers appartenant aux fabriques de soieries et six étrangers pour un Lyonnais!

A Paris comme à Lyon, le parti républicain avait annoncé et préparé sa victoire. Un gentilhomme breton, M. de Kersausie, ardemment engagé dans les rangs des carbonari, s'était placé à la tête de la Société d'action qui devait commencer le mouvement; il fut arrêté, ainsi que tous les chefs de la Société des Droits de l'homme; Godefroy Cavaignac échappa seul. La nouvelle de l'échec définitif subi à Lyon par l'insurrection excita la colère et la honte des masses enrégimentées par la révolution parisienne; le 15 avril, à cinq heures du soir, l'émeute éclata dans Paris; des barricades sortirent de terre avec une inconcevable rapidité; plusieurs officiers furent blessés, d'autres tués. Comme en 1852, le foyer de l'insurrection paraissait concentré dans le quartier Saint-Merry. Le général Bugeaud commandait les opérations; M. Thiers l'accompagna dans une reconnaissance nocturne. « Ils cheminaient le long des maisons, à la tête d'une petite colonne, sans autre clarté que celle des lumières placées sur quelques fenêtres et qui tombait sur les uniformes et les armes. Un coup de feu tiré par le soupirail d'une cave frappa à mort un capitaine de leur troupe, un autre coup blessa mortellement un jeune auditeur au Conseil d'État venu pour porter à M. Thiers un message. A mesure qu'ils avançaient, de nouvelles victimes tombaient et les regards cherchaient en vain les meurtriers. La colère bouillonnait dans le cœur des soldats; dès que le jour parut, une attaque générale fut dirigée contre les insurgés; le feu des maisons et des barricades continuait toujours. Dans la rue Transnonain, des soldats emportaient sur un brancard leur capitaine blessé; plusieurs coups de fusil partis d'une maison devant laquelle ils passaient les assaillirent et tuèrent leur capitaine entre leurs mains. Furieux, ils enfoncèrent les portes de la maison, se précipitèrent à

tous les étages, dans toutes les chambres, et un massacre indistinct et cruel vengea aveuglément de sauvages assassinats'. » Cette déplorable scène valut dans le peuple au général Bugeaud le sinistre surnom de Boucher de la rue Transnonain; elle mit douloureusement fin à la lutte, les insurgés se cachèrent ou s'enfuirent. Un grand nombre furent arrêtés, destinés à comparaître bientôt devant la Cour des pairs. L'amiral de Rigny et M. Guizot annoncèrent aux Chambres que l'insurrection était vaincue à Paris comme à Lyon. Après avoir pourvu aux nécessités évidentes de la législation par une loi sur la possession des armes et des munitions de guerre, la Chambre des Députés fut dissoute le 24 mai 1834.

Les élections furent presque partout favorables au gouvernement et témoignèrent hautement de la répugnance et des craintes que les tentatives révolutionnaires inspiraient aux honnêtes gens. Cependant le cabinet avait subi quelque affaiblissement; d'autres embarras se préparaient; à la suite d'un vote contraire de la Chambre à l'occasion d'indemnités depuis longtemps dues aux États-Unis, M. de Broglie avait donné sa démission. M. Guizot ne l'avait pas suivi dans sa retraite ; on s'en étonnait à la Chambre, tout près de M. Thiers; celui-ci se retourna : « M. Guizot ne s'est pas retiré avec M. de Broglie afin de le faire rentrer! » dit-il vivement. L'évènement devait bientôt donner raison à sa fine perspicacité. La question du gouvernement de l'Algérie suscitait alors des dissentiments intérieurs dans le cabinet; le maréchal Soult, très propre à gouverner l'armée, l'était beaucoup moins à traiter avec les hommes politiques; il créait souvent des embarras à ses collègues; il fut remplacé, non sans difficulté, par le maréchal Gérard. Quelques mois plus tard, celui-ci se retirait à son tour, accompagné par la plupart de ses collègues; tous étaient décidés à mettre le tiers parti, grandissant dans les Chambres sous l'influence de M. Dupin, en demeure de gouverner enfin le pays. Un ministère qui vécut trois jours fut l'unique succès de cette tentative. MM. Thiers, Guizot, Duchâtel, Humann, Rigny, acceptèrent de nouveau le pouvoir. Le maréchal Mortier devint président du conseil. Lassé, vieux et inquiet, M. de Talleyrand quitta l'ambassade de Londres. Les vétérans des grandes luttes du passé disparaissaient de l'arène par la retraite ou par la mort. M. de Lafayette expira paisiblement à la Grange, entouré de ses enfants et recherchant pieusement dans sa mémoire affaiblie 1. Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps.

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le souvenir de la femme admirable qu'il avait perdue naguère. Il voulut être enterré à côté d'elle dans le cimetière de Picpus, consacré au souvenir des victimes de la Terreur; aucune manifestation politique ne troubla le recueillement de ses funérailles. Après les luttes ardentes récemment étouffées, l'agitation populaire était devenue sourde; d'ailleurs les meneurs des insurrections étaient entrés dans une voie où le patriotisme de M. de Lafayette avait cessé de les suivre.

C'était alors devant la Cour des pairs qu'éclatait l'audace des nombreux conspirateurs mis en cause au sujet des émeutes du mois d'avril. La guerre se trouvait transportée des rues dans le palais du Luxembourg, hautement proclamée et systématiquement poursuivie à coups de théories, de déclamations et d'invectives au lieu de coups de fusil. Des lettres fausses, des protestations insultantes circulaient partout dans le public, cherchant à la fois à semer des impressions erronées et à exciter artificiellement les passions. Le courage et la calme résolution de la Cour des pairs ne se dénfentirent pas, en dépit des provocations constamment lancées par les accusés et par leurs amis. « Vous voulez cent soixante-quatre têtes, prenez-les, » criait-on à la barre. << On m'a amené ici par force, on m'a déchiré, on m'a massacré; tenez, voici ma poitrine, frappez-moi, tuez-moi. » Pas une seule condamnation à mort ne fut prononcée. La déportation fut la peine la plus grave. M. Guizot devait bientôt soutenir devant la Chambre la nécessité de la répression avec une fermeté triste qu'on accusa de cruauté. « On oublie constamment dans ce débat, dit-il, le but de toute peine, de toute législation pénale. Il ne s'agit pas seulement de punir ou de réprimer le coupable, il s'agit surtout de prévenir des crimes pareils. L'intimidation préventive et générale, tel est le but principal, le but dominant des lois pénales. Il faut choisir, dans ce monde, entre l'intimidation des honnêtes gens et l'intimidation des malhonnêtes gens, entre la sécurité des brouillons et la sécurité des pères de famille; il faut que les uns ou les autres aient peur, il faut le sentiment profond, permanent, d'un pouvoir supérieur toujours capable d'atteindre et de punir. Dans l'intérieur de la famille, dans les rapports de l'homme avec son Dieu, il y a de la crainte, il y en a naturellement et nécessairement. Qui ne craint rien, bientôt ne respecte rien. »

M. de Broglie soutint la même cause avec un courage et une élévation de pensées et de langage qui l'affermirent dans la situation qu'il avait de nouveau acceptée dans le cabinet. Après de longs tiraillements

intérieurs et des efforts répétés du roi pour reformer un ministère, le maréchal Mortier s'était retiré et le duc de Broglie l'avait remplacé comme président du conseil. Les lois de septembre 1835, destinées à fournir au gouvernement les armes d'une répression efficace contre les attaques sans cesse renaissantes de la révolution, ne portaient nullement le caractère de mesures d'exception: elles maintenaient les garanties essentielles du droit, tout en pourvoyant aux besoins accidentels et actuels de la société; elles furent défendues avec une conviction profonde par les chefs du parti conservateur; violemment attaquées dans les Chambres et dans le pays par l'opposition, elles furent votées cependant à une grande majorité et favorablement accueillies par les spectateurs impartiaux et honnêtes qui se sentaient efficacement protégés sans oppression.

Les tendances et les évènements qui venaient d'éclater au moment où le cabinet présentait les lois de septembre justifiaient d'avance ses inquiétudes pour le repos de la société. Depuis quelques jours, des bruits vagues qui semblent devancer mystérieusement les faits comme un secret échappé à de nombreux confidents, menaçaient le roi et la famille royale de quelque danger inconnu. Déjà sept projets d'assassinat avaient été découverts, lorsque une grande revue de la garde nationale fut convoquée pour le 28 juillet 1835. Au moment où le cortège royal arrivait sur le boulevard du Temple, le roi qui se penchait sur le cou de son cheval pour recevoir une pétition, entendit tout à coup comme un feu de peloton. Il se redressa sur-le-champ. «Joinville, ceci est pour moi, dit-il à celui de ses fils qui se trouvait le plus près de lui, marchons. » Cependant une foule de morts et de mourants l'entouraient déjà, le maréchal Mortier, le général Lachasse de Vérigny, le capitaine de Vilate, plusieurs officiers de la garde nationale, des soldats, des femmes. Le duc d'Orléans avait reçu une contusion, une balle morte avait pénétré dans la cravate du duc de Broglie; les cris d'horreur pour le crime commis, les acclamations enthousiastes pour le roi retentissaient de toutes parts; à la chancellerie, où se trouvaient la reine, les princesses et ceux des ministres qui n'avaient pas accompagné le roi, régnaient la consternation et une horrible inquiétude. On ignorait encore le nombre et la qualité des victimes, comme les circonstances de l'attentat.

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Un homme avait entrepris de s'échapper par une corde suspendue à une fenêtre du troisième étage au n° 50 du boulevard du Temple.

Blessé lui-même par l'explosion qu'il avait dirigée, il fut facilement arrêté. La machine infernale fut aussitôt saisie: elle se composait de vingt-cinq canons de fusils, soutenus sur un échafaudage de chêne; les décharges devaient être simultanées, au moyen d'une seule trainée de poudre. Plusieurs des fusils avaient éclaté, d'autres n'avaient pas fait feu; c'était à ce défaut dans la construction que pouvait être attribué le salut du roi. On apprit bientôt que l'auteur du crime matériel était un Corse, nommé Fieschi; déjà coupable et condamné, mécontent de sa situation sociale, il avait été poussé dans la voie du forfait par trois ouvriers parisiens, démagogues ardents, affiliés à la Société des Droits de l'homme, tous arrêtés, jugés et condamnés quelques mois plus tard par la Cour des pairs. A peine avaient-ils subi le châtiment de leur crime (26 février 1856), qu'une nouvelle tentative d'assassinat fut accomplie contre le roi, par un jeune méridional, Louis Alibaud, ancien militaire qui avait pris part à la révolution de Juillet. Six fois encore, contre Louis-Philippe ou contre ses fils, des attentats analogues se renouvelèrent sans que le tranquille courage du roi en fût jamais ébranlé. La difficulté devint grande de lui arracher la ratification des sentences prononcées contre les criminels.

L'ordre était rétabli cependant; l'horreur et l'effroi qu'avaient causés les attentats avaient servi plutôt qu'ébranlé la politique résolue et prudente que pratiquaient le roi et ses ministres. Une expédition militaire du duc d'Orléans et du maréchal Clauzel en Algérie réussit avec éclat; l'armée française occupa Mascara, au grand honneur de ses chefs. La discussion des lois financières absorbait alors les Chambres; M. Humann, capable et hardi, y proposa tout à coup, et sans discussion préalable dans le conseil, la mesure que M. de Villèle avait tentée sans succès en 1824, le remboursement ou la réduction des rentes. M. Humann avait naguère soutenu le ministre de la Restauration, il attachait une grande importance à son entreprise. « Que voulez-vous ? disait M. Royer-Collard. M. Guizot a sa loi sur l'instruction primaire, M. Thiers sa loi sur l'achèvement des monuments publics, Humann veut aussi avoir sa gloire. » Le cabinet refusa de se laisser ainsi engager sans son aveu, le roi était personnellement opposé à la mesure; M. Humann fut remplacé aux finances par M. d'Argout. Le ministre déchu et sa proposition comptaient cependant de nombreux partisans dans la Chambre, qui sommèrent le gouvernement de s'expliquer sur ses intentions ultérieures à l'égard de la conversion des rentes; on

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