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modifié la composition de l'assemblée sans agir profondément sur l'état des partis. Le ministère avait ardemment combattu un certain nombre des amis particuliers des doctrinaires; l'adresse de 1859, rédigée par une commission favorable à l'opposition, fut habilement discutée et amendée par le cabinet, qui l'emporta à une majorité trop faible pour assurer son succès. Une crise ministérielle, et quelques

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efforts du maréchal Soult pour constituer un nouveau cabinet, aboutirent au maintien de M. Molé au pouvoir et à une nouvelle dissolution de la Chambre. Cette fois, et malgré le peu de faveur que la coalition rencontrait en général parmi les hommes sensés et honnêtes, amis de l'ordre et spectateurs plutôt qu'acteurs dans les luttes politiques, la faiblesse de la situation de M. Molé parut avec éclat; la majorité revint trop diminuée pour rendre le gouvernement possible; le ministère se retira, la coalition fut mise en demeure de diriger à son tour les affaires du pays. Le vice radical de son principe se fit aussitôt

sentir; M. Guizot et M. Odilon Barrot ne pouvaient gouverner ensemble comme l'avaient pu naguère et comme le pouvaient encore M. Guizot et M. Thiers; l'opposition témoigna contre M. Guizot et ses amis des méfiances naturelles : elle entendait les reléguer aux postes les moins influents; ils s'y refusèrent par dignité personnelle et pour l'honneur de leur cause dans la victoire commune. La crise se prolongea, les affaires en souffraient; le roi se décida à former un ministère provisoire qui exerça le pouvoir pendant six semaines, au milieu d'une agitation croissante. M. Passy, soutenu par les conservateurs, l'avait emporté comme président de la Chambre sur M. Odilon Barrot porté par les gauches. Dans ce désordre des situations et des esprits, les hommes importants du centre et du centre gauche, séparés de bon accord de leurs chefs impopulaires ou incompatibles, préparaient avec effort la constitution d'un nouveau cabinet de conciliation, lorsqu'une émeute éclata le 12 mai dans les quartiers les plus populeux de Paris, en attaquant à la fois l'Hôtel de ville, le Palais de justice et la Préfecture de police. Une prompte répression mit un terme à cette tentative frénétique, inspirée par l'affaiblissement et les tâtonnements du pouvoir; le soir même, le ministère était décidément formé sous la présidence du maréchal Soult; le centre proprement dit y était représenté par MM. Duchâtel, Villemain et Cunin-Gridaine; MM. Passy, Dufaure et Teste partageaient avec eux l'influence politique. M. Thiers fut porté par ses amis à la présidence de la Chambre; le cabinet soutint M. Sauzet, qui obtint sept voix de majorité seulement. Cependant le parti de la politique d'ordre libéral, tant de fois et si gravement ébranlé, se ralliait avec un commencement de confiance autour du cabinet, composé d'éléments contradictoires et confus, mais qui débutait par une victoire remportée sous son drapeau.

Les affaires intérieures d'administration et d'organisation, le mouvement de développement commercial et industriel qui commençait à se faire sentir, absorbaient moins les pensées publiques et préoccupaient moins le gouvernement que l'état de décadence évidente et progressive de l'Empire Ottoman, comme les convoitises et les ambitions que cette décadence excitait en Russie et en Égypte. La Porte avait résolu de faire encore un acte de vigueur qu'elle se croyait assurée d'accomplir sous la protection de la Russie le 21 avril 1859, l'armée turque passa l'Euphrate pour attaquer celle du pacha, que commandait son fils Ibrahim. Quelques jours plus tard, les puissances

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européennes avaient provoqué une conférence à Vienne, et sur la requête des deux aides de camp envoyés en Égypte et à Constantinople par le maréchal Soult, le sultan et le pacha avaient ordonné de suspendre les hostilités, lorsqu'on apprit que les deux armées en étaient venues aux mains et que les forces de la Turquie avaient été complètement détruites (nazir, 21 juin 1859). Le sultan Mahmoud était mort le 50 juin, et quelques jours plus tard le capitan pacha AchmetFeruzzi, commandant de la flotte turque, la conduisait tout entière à Alexandrie, pour la livrer à Méhémet-Ali. Le jeune sultan AbdulMedjid laissait entrevoir son penchant aux plus larges concessions à l'égard du pacha d'Égypte. Telle n'était pas la pensée des grandes puissances, qui voulaient maintenir leur influence sur les affaires d'Orient; dans la crainte de se trouver condamnée en Europe à un isolement fâcheux, la Russie se vit contrainte d'adhérer aux résolutions de la conférence projetée de Vienne; le 27 juillet, les représentants des cinq grandes cours à Constantinople adressèrent en commun à la Porte cette note: « Les soussignés ont reçu ce matin de leurs gouvernements respectifs des instructions, en vertu desquelles ils ont l'honneur d'informer la Sublime Porte que l'accord sur la question d'Orient est assuré entre les cinq grandes puissances, et de l'engager à suspendre toute détermination définitive sans leur concours, en attendant l'effet de l'intérêt qu'elles lui portent. »>

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C'était beaucoup dire et beaucoup promettre; les cabinets de Londres et de Paris étaient d'accord sur le maintien de l'Empire Ottoman, ils ne l'étaient en aucune manière sur l'étendue des concessions qui devaient assurer à la Porte la soumission partielle de son incommode vassal. Lord Palmerston l'avait dit à M. de Bourqueney «l] faudra ouvrir à Constantinople et à Alexandrie une négociation sur la double base de la constitution de l'hérédité de l'Égypte dans la famille de Méhémet-Ali et de l'évacuation de la Syrie par les troupes égyptiennes. » Le gouvernement français, au contraire, réclamait avec ardeur la possession héréditaire de la Syrie pour Méhémet-Ali. La cause du pacha était populaire en France, on avait conçu de ses forces une idée très exagérée; personne ne s'attendait d'ailleurs à voir la Russie adopter sans restriction la politique de lord Palmerston, l'espoir restait encore de ramener l'Angleterre à notre manière de voir. Le général Sébastiani, qui venait de reprendre son poste à Londres, ne laissa pas subsister longtemps les illusions à cet égard. Il était convaincu

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