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de la Confédération. Je prie Votre Majesté de m'écrire, à Paris, ce qu'elle pense de tout cela. Est-ce que les eaux du Danube auraient acquis la propriété du fleuve Léthé? >>

En même temps et pour instruire le roi Joseph à gouverner l'Espagne, au moment où ce prince allait rentrer dans sa capitale, il lui écrivait au Pardo « L'opération qu'a faite le général Belliard est excellente,

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CREUSANT LA FOSSE AVEC LEURS SABRES, LES SOLDATS DESCENDIRENT LE CORPS DU GÉNÉRAL

il faut faire pendre une vingtaine de mauvais sujets. Demain, j'en fais pendre ici sept, connus pour avoir commis tous les excès, et dont la présence affligeait les honnêtes gens qui les ont secrètement dénoncés et qui reprennent courage depuis qu'ils s'en voient débarrassés. Il faut faire de même à Madrid. Les cinq sixièmes de la ville sont bons, mais les honnêtes gens ont besoin d'être encouragés et ils ne peuvent l'être qu'en maintenant la canaille. Si on ne se débarrasse pas d'une centaine de boutefeux et de brigands, on n'a rien fait. Sur ces cent, faites-en fusiller ou pendre douze ou quinze et envoyez les

autres en France aux galères. Je crois nécessaire que, surtout dans les premiers moments, votre gouvernement montre un peu de vigueur contre la canaille. La canaille n'aime et n'estime que ceux qu'elle craint, et la crainte de la canaille peut seule vous faire aimer et estimer du reste de la nation.

« .... Les circonstances de l'Europe m'obligent à aller passer vingt jours à Paris. Si rien ne s'y oppose, je serai de retour vers la fin de février. Je pense vous avoir écrit de faire votre entrée le 14 à Madrid. Denon voudrait prendre quelques tableaux. Je préférerais que vous prissiez tous ceux qui se trouvent dans les maisons confisquées et dans les couvents supprimés, et que vous me fissiez présent d'une cinquantaine de chefs-d'œuvre qui manquent au Muséum de Paris. En temps et lieu, je vous en donnerai d'autres. Faites venir Denon et parlez-lui dans ce sens. Vous sentez qu'il ne faut que de bonnes choses et l'opinion est que vous êtes immensément riches en ce genre. »

Le roi Joseph avait repris possession de sa capitale avec un grand déploiement de magnificence; les succès éclatants des armes françaises avaient rallié autour de lui les esprits craintifs; les mécontents gardaient le silence. Avant de partir pour Paris où il était arrivé le 24, l'empereur Napoléon avait dit : « Il ne faut songer à attaquer Valence que lorsqu'on aura Saragosse, ce qui certainement doit être fait dans le courant de février. » Le maréchal Lannes, depuis un mois chargé de la direction du siège, n'avait pas fait défaut aux espérances de son maître. Le 21 février 1809, Saragosse se rendit enfin. A diverses reprises, la ville avait été l'objet des attaques françaises depuis le mois de juin 1808.

Après la bataille de Tudela, le corps d'armée de l'Aragon s'était tout entier replié sur Saragosse; Joseph Palafox s'y était enfermé avec ses deux frères; la population des campagnes les avait suivis en grand nombre; cent mille créatures humaines se pressaient derrière les remparts de la ville, dans ses vieux couvents, entre les sombres murailles de ses maisons crénelées, presque partout dépourvues de jours extérieurs et menaçant déjà l'ennemi de leur sombre aspect. Au loin, dans toute la province, à l'appel des défenseurs de Saragosse, les paysans soulevés coupaient les convois des vivres destinés à l'armée française. Les assiégeants souffraient de la famine comme les assiégés. Napoléon avait mal jugé de la résistance des habitants de Saragosse; ordonnant toujours lui-même et de loin les mouvements de ses

troupes, il avait envoyé contre cette place le maréchal Moncey avec des forces insuffisantes; bientôt le général Junot fut chargé de l'attaque. Les sorties des Espagnols furent aisément repoussées, mais chaque assaut coûtait un grand nombre de soldats; les tireurs aragonais, posés sur les remparts ou sur le toit des maisons, abattaient sans danger les plus hardis de nos grenadiers; partout les femmes portaient des vivres et des munitions aux artilleurs; l'une d'elles, trouvant une pièce abandonnée, y mit elle-même le feu et continua de la servir pendant plusieurs jours. La population tout entière combattait sur les murailles, en attendant de combattre dans les rues et dans les maisons.

De redoute en redoute, de couvent en couvent, le général Junot avait lentement progressé jusqu'au milieu de janvier 1809. Lorsque le maréchal Lannes parut enfin devant Saragosse, il avait appelé à son aide de nombreux renforts; les troupes postées dans les environs et qui n'avaient pas encore pris part à l'action dispersèrent les rassemblements hostiles. L'attaque commença avec une vigueur qui ne le cédait en rien à l'énergie de la résistance. Le 27 janvier, après un assaut général, sanglant et prolongé, toute l'enceinte des murailles fut enlevée par les troupes françaises. C'est la maxime de la guerre que toute ville dépourvue de la protection de ses murailles capitule ou se rend à discrétion »; dans Saragosse la véritable lutte, la lutte populaire commençait. Le 28 janvier, le maréchal Lannes écrivait à l'empereur : « Jamais, sire, je n'ai vu autant d'acharnement comme en mettent nos ennemis à la défense de cette place. J'ai vu des femmes venir se faire tuer devant la brèche. Il faut faire le siège de chaque maison; si on ne prenait pas de grandes précautions, on perdrait beaucoup de monde, l'ennemi ayant dans la ville trente ou quarante mille hommes, non compris les habitants. Nous occupons depuis Santa-Engracia jusqu'aux Capucins, nous avons pris quinze bouches à feu. Malgré tous les ordres que j'avais donnés pour empêcher que le soldat ne se lançât trop, on n'a pas été maître de son ardeur : c'est ce qui nous a donné deux cents blessés de plus que nous ne devions avoir. >>

Et quelques jours plus tard : « Le siège de Saragosse ne ressemble en rien à la guerre que nous avons faite jusqu'à présent. C'est un métier où il faut une grande prudence et une grande vigueur. Nous sommes obligés de prendre avec la mine ou d'assaut toutes les

maisons. Ces malheureux s'y défendent avec un acharnement dont on ne peut se faire une idée. Enfin, sire, c'est une guerre qui fait horreur. Le feu est en ce moment sur trois ou quatre points de la ville, elle est écrasée de bombes, mais tout cela n'intimide pas nos ennemis. On travaille à force à s'approcher du faubourg. J'espère, quand nous nous en serons rendus maîtres, que la ville ne tiendra pas longtemps. >>

Lors du premier siège de Saragosse, le maréchal Lefebvre, qui venait de s'emparer d'un des principaux couvents de la ville, avait envoyé à Joseph Palafox cette courte dépêche:- Quartier général, Santa-Engracia. Capitulation. - Le défenseur de la place avait répondu :— Quartier général, Saragosse. Guerre au couteau. » C'était la guerre au couteau, au mousquet, à la mine qui se poursuivait de maison en maison, d'étage en étage. Pour circuler dans les rues, les soldats français étaient obligés de se glisser le long des murailles, mais l'ennemi était si acharné qu'un schako ou un habit élevés sur la pointe d'un sabre pour le tromper étaient aussitôt criblés de balles. Plus d'un détachement se croyant maître d'un bâtiment sauta tout d'un coup avec les murailles secrètement minées. Nos soldats ripostaient à leur tour par d'importants travaux souterrains, habilement dirigés par le colonel du génie Lacoste. Du 29 janvier au 18 février, le même combat se poursuivit avec le même acharnement. Le jour était pris pour l'assaut du faubourg depuis longtemps investi par le général Gazan. Les troupes étaient impatientes de tenter ce dernier effort, elles étaient à la fois irritées et tristes. Elles souffraient et elles voyaient souffrir. La misère était cependant plus grande dans la ville que les assiégeants ne le pouvaient deviner. Une épidémie terrible décimait le reste des défenseurs de Saragosse. Joseph Palafox était mourant.

La brèche venait de s'ouvrir dans les remparts du faubourg, une détonation terrible annonça la destruction de l'immense bâtiment de l'Université; la rue du Coso, ou rue Sainte, qui traversait toute la ville, se trouvait désormais ouverte à nos soldats; partout le terrain était miné et le cœur même de Saragosse touchait à ses derniers moments, lorsque la junte de défense céda enfin à la nécessité qui l'accablait; un parlementaire se présenta devant le maréchal Lannes au nom de don Joseph Palafox. Nous avons connu les douloureuses illusions que crée l'isolement d'une ville assiégée; les défenseurs de Saragosse croyaient les Espagnols partout vainqueurs; il leur fallut la loyale

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