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de la conscription de 1810, écrivait-il le 21 mars au général Lacuée, directeur général des revues et de la conscription. Je suis obligé de retarder la publication du sénatus-consulte, qui ne peut avoir lieu qu'en publiant toutes les pièces. On prendra de préférence dans les bons départements. La levée ne serait pour la généralité de la France qu'un quart de la conscription de l'année. Les préfets pourraient la faire sans que le public s'en aperçût, puisqu'il n'y a lieu ni à réunion ni à tirage.

Les embarras financiers commençaient également à se faire sentir. Dès longtemps, Napoléon avait formé, des contributions de guerre et des exactions de tout genre imposées aux pays conquis, un trésor de l'armée qu'il administrait seul, et sans contrôle. Cette ressource avait permis de ne pas augmenter les impôts et de ne requérir aucune taxe extraordinaire. Les fonds s'épuisaient cependant; la guerre seule pouvait les renouveler. « Répondez au sieur Otto que je ne veux point entendre parler de subsides, écrivait Napoléon à M. de Champagny (1er avril 1809). Ce n'est point le principe de la France. Cela était bon sous l'ancien gouvernement, parce qu'on avait peu de troupes ; mais aujourd'hui la puissance de la France et l'énergie imprimée à mes peuples produiront autant de soldats que je voudrai, et mon argent est employé à les équiper et à les mettre en campagne.»>

On négociait encore; la cinquième coalition était secrètement formée, et les trames diplomatiques liaient partout leurs fils. Napoléon travaillait à engager la Russie dans une déclaration commune contre l'Autriche; l'Angleterre enrôlait contre la France le nouveau gouvernement que la révolution venait d'établir à Constantinople. Des deux parts, les préparatifs de guerre devenaient plus patents et plus précipités. M. de Metternich se plaignait à Paris de l'attitude hostile de la France, et il annonçait la réciprocité imposée à son maître. Napoléon écrivait le 1er avril « Faites mettre dans les journaux des articles sur tout ce qu'il y a de provoquant et d'offensant pour la nation française dans tout ce qui se fait à Vienne. Vous pouvez prendre votre texte depuis les premiers armements. Il faut que tous les jours il y ait un article dans ce sens dans le Journal de l'Empire, ou dans le Publiciste ou dans la Gazette de France. Le but de ces articles est de bien établir qu'on veut nous faire la guerre. »

En France, la volonté arrêtée sinon avouée de l'empereur Napoléon, en Autriche l'indignation patriotique et l'excitation guerrière de la

cour et de l'armée devaient nécessairement amener la rupture; le moindre prétexte suffisait à la faire éclater. L'arrestation d'un courrier français à Braunau par les Autrichiens, la violation du territoire impérial par les troupes du maréchal Davout alors établi à Wurtzbourg, provoquèrent les hostilités, quelques jours plus tôt que ne l'avait prévu Napoléon. M. de Metternich avait déjà demandé ses passeports lorsque, le 10 avril, l'archiduc Charles passa l'Inn avec son armée. Une insurrection populaire soulevait en même temps le Tyrol sous les ordres d'un aubergiste de la montagne, André Hofer. Partout les garnisons bavaroises se trouvèrent attaquées par les chasseurs et les paysans. Comme les Espagnols, les Tyroliens réclamaient l'indépendance de leur patrie.

Les troupes de l'empereur Napoléon couvraient déjà l'Allemagne : Davout à Ratisbonne, Lannes à Augsbourg, Masséna à Ulm. Le maréchal Lefebvre commandait les Bavarois, Augereau était chargé de conduire les Wurtembergeois, les Badois et les Hessois. Les Saxons étaient placés sous les ordres de Bernadotte. Le 9 avril au soir, l'archiduc Charles écrivit au roi de Bavière qu'il avait l'ordre de se porter en avant et de traiter en ennemies toutes les troupes qui lui résisteraient. Il aimait à croire qu'aucun Allemand ne s'opposerait à l'armée libératrice qui marchait à la délivrance de l'Allemagne. Déjà l'empereur Napoléon avait offert aux rois de Saxe et de Bavière l'asile d'un de ses palais en France, dans le cas où ils se verraient forcés d'abandonner momentanément leurs capitales. Le roi de Bavière partit pour Augsbourg.

Le mouvement imprévu des ennemis modifiait le plan d'attaque de Napoléon; un retard dans l'arrivée des dépêches envoyées au major général Berthier causa quelque embarras dans les premières opérations de l'armée française. Lorsque l'empereur arriva à Donauwerth le 17 au matin, ses corps d'armée étaient dispersés sur une étendue de vingtcinq lieues, et ils se trouvaient menacés d'être coupés entre eux par l'archiduc Charles. Ce fut le soin et l'effort de Napoléon au début de la campagne d'éviter ce danger, qu'il sut bientôt imposer à son adversaire. Les Autrichiens avaient passé l'lsar sur deux points, repoussant les Bavarois qui étaient chargés d'en défendre le passage; ils s'avançaient vers le Danube.

Déjà avant de toucher Donauwerth, les ordres de Napoléon avaient commencé la concentration de ses forces; Masséna se trouvait à Augsbourg, il reçut l'ordre de marcher sur Neustadt. Davout quitta égale

ment Ratisbonne pour se diriger vers le même point. Là tendait aussi l'effort de l'archiduc Charles; il espérait gagner de vitesse les Français et passer entre les corps postés à Ratisbonne et à Augsbourg. Cette manœuvre fut déjouée par la prompte décision de l'empereur Napoléon. <«< Jamais circonstance ne voulut un mouvement plus actif et plus rapide que celui-ci, écrivit-il le 18 au maréchal Masséna. Activité, activité, vitesse! Je me recommande à vous. >>

Les lieutenants de l'empereur ne devaient pas lui faire défaut dans cette brillante et savante opération, partout cxécutée avec une habileté et une précision dignes du grand général qui l'avait conçue. L'archiduc Charles était un tacticien consommé; souvent sa prudence dégénérait en hésitation, faute dangereuse en présence du plus foudroyant génie militaire que le monde eût encore contemplé. Napoléon le disait luimême du maréchal de Turenne : « Il est le seul général que l'expérience ait rendu plus hardi; la longue habitude de la guerre n'avait pas exercé cet heureux effet sur l'archiduc; il tâtonna, il ne sut pas profiter des avantages de sa concentration de forces, il dispersa ses corps d'armée. Le châtiment ne tarda pas à suivre la faute. Le 19, le maréchal Davout, remontant le Danube de Ratisbonne à Abensberg, avait rencontré et battu les troupes autrichiennes à Fangen, ce qui lui avait permis d'opérer sa jonction avec les Bavarois. Le 20, l'empereur attaquant sur divers points les lignes ennemies les perça vers Rohr, après des engagements assez vifs; le point d'Abensberg était ainsi assuré, et l'archiduc Charles séparé du général Hiller et de l'archiduc Louis. Le 21, cette dernière partie de l'armée ennemie se précipita en masse sur l'importante position de Landshut; tout le matériel de guerre autrichien s'y trouvait rassemblé avec un grand nombre de blessés, mais au même moment y arrivait l'empereur lui-même, Lannes, Bessières, pressés de suivre leur chef et commandant eux-mêmes les régiments. Le maréchal Masséna se hâtait également de le rejoindre; les ponts sur l'Isar étaient tous attaqués à la fois, vaillamment défendus par les Autrichiens; ils furent enlevés lorsqu'ils étaient déjà en flammes. Cependant l'archiduc Charles, se jetant sur Ratisbonne que le maréchal Davout avait dù laisser sous la garde d'un seul régiment, s'empara sans peine de cette place importante qui le rendait maître des deux rives du Danube. Il se trouvait ainsi le 22 devant Eckmühl en face du maréchal Davout. Prévenu de cette manoeuvre qu'il avait en partie devinée au bruit de la canonnade du 21, l'empereur porta tout le gros de l'armée

11. - II

vers Eckmühl; ses troupes combattaient déjà depuis trois jours. Napoléon leur demandait un nouvel effort: « Il est quatre heures, écrivit l'empereur à Davout. Je suis résolu à me mettre en marche, je serai sur Eckmühl vers midi et dans le cas d'attaquer vigoureusement l'ennemi à trois heures. J'aurai avec moi quarante mille hommes. Je serai de ma personne avant midi à Ergoltsbach. Si l'on entend la canonnade, cela me dira assez qu'il faut attaquer. Si je ne l'entends pas et que vous soyez en position d'attaquer, faites tirer une salve de dix coups de canon à la fois à midi, une pareille à une heure et une pareille à deux heures. Je suis décidé à exterminer l'armée de l'archiduc Charles aujourd'hui ou au plus tard demain. »

La journée n'était pas finie et les cuirassiers combattaient encore au clair de la lune pour enlever et pour défendre la chaussée de Ratisbonne; cependant la victoire était décidée et l'archiduc Charles battu, et refoulé sur Ratisbonne, prenait pendant la nuit le sage parti d'évacuer la ville et de se retirer en Bohême. Le général de Bellegarde et ses troupes l'y attendaient. Désormais l'armée autrichienne formait décidément deux corps d'armée. Le 23, Napoléon marcha sur Ratisbonne. La place se défendit bravement. Légèrement blessé au pied par une balle, l'empereur resta tout le jour à cheval; le maréchal Lannes dirigeait l'assaut. Un moment les soldats hésitèrent, les tireurs autrichiens abattaient les uns après les autres tous les porteurs d'échelles. Lannes en saisit une « Vous allez voir que votre maréchal n'a pas cessé d'être un grenadier, » s'écria-t-il. Ses aides de camp le devancèrent, conduisant eux-mêmes les troupes à l'escalade; les portes s'ouvrirent enfin : Napoléon entra dans Ratisbonne.

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Il y passa trois jours, préparant son mouvement d'attaque contre Vienne, peu et mal défendue, fortifiant ses positions et prenant ses précautions contre un retour inattendu de l'archiduc Charles. En même temps, par ses proclamations à l'armée comme par ses lettres aux princes de la Confédération du Rhin, il répandait dans toute l'Europe son enivrement du succès et la déclaration de ses projets. « Soldats!

« Vous avez justifié mon attente. Vous avez suppléé au nombre par votre bravoure. Vous avez glorieusement marqué la différence qui existe entre les soldats de César et les cohues armées de Xerxès. <En peu de jours, nous avons triomphé dans les trois batailles. rangées de Thann, d'Abensberg et d'Eckmühl, et dans les combats de

Peising, de Landshut et de Ratisbonne. Cent pièces de canon, quarante drapeaux, cinquante mille prisonniers, trois équipages de pont, tous les parcs de l'ennemi portés sur six cents caissons attelés, trois mille voitures attelées portant ses bagages, toutes les caisses des régiments, voilà le résultat de la rapidité de vos marches et de votre courage.

« L'ennemi, enivré par un cabinet parjure, paraissait ne plus con

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server aucun souvenir de vous; son réveil a été prompt, vous lui avez apparu plus terribles que jamais. Naguère il a traversé l'Inn et envahi le territoire de nos alliés. Naguère il se promettait de porter la guerre au sein de notre patrie; aujourd'hui, défait, épouvanté, il fuit en désordre; déjà mon avant-garde a passé l'Inn. Avant un mois nous serons à Vienne. »

Ce fut à Ratisbonne que l'empereur reçut enfin les nouvelles qu'il réclamait impatiemment de l'armée d'Italie. Attaqué le 10 avril par l'archiduc Jean comme les généraux détachés par Napoléon l'avaient

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