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HISTOIRE de France pendant les guerres de religion, par M. Lacretelle (1).

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IL est sans doute une foule de qualités nécessaires à un historien, l'esprit de recherches et de critique, la connoissance des sources et l'art d'y puiser, le talent de comparer les relations, de peser les témoi gnages, et de démêler la vérité au milieu des nuages et des contradictions, l'exactitude dans les récits, la sagesse dans les jugemens. Mais de toutes ces qualités, celle qui est peut-être à la fois la plus importante et la moins commune, c'est l'impartialité, le sang froid, la candeur. Le plus souvent on n'attend pas, pour asseoir son jugement sur les faits, qu'on les ait étudiés. On commence son travail avec une opinion toute établie. On a d'avance son systême que l'on ne subordonne pas à ses recherches; mais auquel, au contraire, on subordonne les faits. C'est dans cet esprit qu'on réunit ses matériaux. On laisse de côté ce qui ne le favoriseroit pas, et on ne fait valoir que ce qui est conforme à cette intention ar

rêtée.

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C'est bien pis encore quand l'auteur, doué d'une imagination brillante, cherche surtout à plaire à ses lecteurs, qu'il vise principalement à l'effet, qu'il veut à toute force mettre du mouvement et de l'intérêt. Alors il arrange son histoire comme un drame. Il lui

(1) 2 vol. in-8°.

Tome IV. L'Ami de la R. et du R. No. 90. M

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faut des scènes, de petits tableaux. Tel fait présenté dans sa simplicité nue, n'auroit pas assez de sel. On le dispose dans un cadre brillant; on l'entoure d'accessoires agréablement imaginés. Il me semble voir cet écrivain se rendre compte à lui-même de son plan et de ses moyens d'exécution. Je me déclarerai pour tel parti, se dit-il d'avance. Ce parti a été longtemps comprimé. C'est sur lui qu'il faut jeter l'intérêt. Les principaux personnages de ce parti seront en première ligne sur le devant de mon tableau, Je yeux que l'œil du spectateur se porte toujours sur eux. Je peindrai vivement leurs qualités, je couvrirai leurs défauts d'un nuage officieux. Quant aux personnages du parti contraire, ils seront dans l'ombre. Je dessinerai leurs figures de manière à les rendre repous→ santes, j'exagérerai leurs torts, je dissimulerai ce qu'ils ont fait de mieux, ou je leur prêterai des intentions

sinistres.

Je suis convaincu que plus d'un historien mo¬ derne a raisonné ainsi sans se l'avouer à lui-même, et encore plus, sans l'avouer aux autres. De là, cette espèce de travestissement général de l'histoire, qui a dû s'augmenter chez nous par l'habitude du théâtre, et par le besoin d'émotions vives et d'illusions brillantes. Un écrivain, accoutumé aux grands effets de la scène, veut encore les reproduire même dans un genre qui y est étranger. Il charge ses couleurs pour les rendre plus sensibles, il force ses portraits; il substitue l'idéal au réel, et ce qu'il croit beau à ce qui est vrai. Il ne veut pas laisser languir Faction; il la soutient habilement. Tel fait suspendroit l'intérêt ou le détourneroit sur d'autres personnages; il n'en parlera pas. Il procédera par une suite

de petites scènes bien liées entr'elles, et dans sa marche dramatique, il fera improviser à ses acteurs des discours qu'il a composés, il groupera ses personnages d'une manière pittoresque, et il croira avoir obtenu un succès complet, si son récit, fortement tracé, indépendamment de la vérité historique, ne laisse jamais refroidir l'attention, et laisse dans l'ame du lecteur les impressions que l'auteur avoit à coeur d'y produire.

M. Lacretelle n'est pas sans doute un écrivain vulgaire; mais il n'est pas exempt de cet esprit de préoccupation, et surtout de cette importance attachée au mouvement et à l'intérêt, qui ne doit pourtant être que l'objet secondaire d'un historien. Il montre dès la première page combien il met de prix à ce mouvement de narration; mais il le montre encore mieux par toute la suite de son livre. Il paroît avoir pris à tâche de sacrifier les catholiques aux protestans. Les premiers ont presque toujours tort; ces derniers sont bien rarement en faute. Il nous en offre entr'autres un exemple trop singulier pour que nous ne nous y arrêtions pas un instant.

M. Lacretelle avoit à parler de deux souverains étrangers, dont l'histoire se lie alors avec la nôtre, Philippe II, roi d'Espagne, et Elisabeth, reine d'Angleterre. Le premier n'a été guère ménagé par nos historiens, qui lui ont attribué les troubles de la France, surtout dans le temps de la ligue. M. Lacretelle les a copiés, à cet égard, on plutôt il les a outrés. Ils s'étoient contentés d'accuser Philippe d'artifice, de dissimulation, d'ambition. M. Lacretelle le taxe d'atrocité, de férocité, de fanatisme. On diroit qu'il ne trouve point dans la lan

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gue d'expressions assez fortes pour rendre l'horreur que lui inspire cet odieux prince. Il le regarde comme l'auteur de tous nos maux comme souriant à nos désastres, comme attisant chez nous le feu de la discorde, comme corrompant nos ministres, payant nos généraux, influant sur tout. Je crois qu'il entre quelque exagération dans ces reproches, qui cependant suffisent à l'auteur pour motiver les plus terribles sorties contre le démon du midi; c'est son expression.

Je ne chercherai point à repousser des traits si durs, et je laisserai Philippe pour ce qu'il est. Mais je demanderai à M. Lacretelle pourquoi il est si sévère pour Philippe, et si indulgent pour une souveraine d'un caractère assez semblable à celui de ce prince. Quand Philippe donne des secours aux catholiques françois, c'étoit un voisin perfide, un infatigable artisan de troubles. Quand Élisabeth envoie des troupes aux protestans, qu'elle s'empare du Hâvre, qu'elle fait garder Dieppe et Rouen par ses soldats ce n'est plus qu'une princesse adroite. Loin de la blâmer de profiter de nos divisions, et de conclure des traités avec des sujets révoltés, on loue sa politique peu s'en faut qu'on ne célèbre sa générosité. J'avoue que je ne sais comment qualifier cette différence de jugemens sur une conduite qui se ressemblé si fort, et je ne sais plus où il y aura de la partialité si on n'en trouve pas dans cette acception de personnes.

Mais voici un procédé plus étonnant encore. M. Lacretelle nous peint Philippe II régnant par la terreur, allumant des bûchers, faisant couler le sang, et il ne peut assez témoigner sa juste horreur pour un systême de gouvernement si peu digne d'un roi qui doit être le père de ses peuples. Il oppose à

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ces persécutions la douceur et l'humanité d'Elisabeth. Elisabeth, dit-il, pacifioit l'Angleterre par sa politique et sa sagesse; elle toléroit les catholiques. Le parlement d'Angleterre étoit gouverné par la douce éloquence de cette reine (tom. I, pag. 33.) L'auteur a pris soin de revenir en plusieurs endroits sur cette modération de son héroïne. Sous elle, dit-il ailleurs, les protestans d'Angleterre vivoient sans haine auprès des catholiques dont le culte étoit courageusement toléré (tom. II, pag. 94.) M. Lacretelle est même si sûr de son fait qu'il répète plus bas les mêmes éloges: Elisabeth étoit remplie de ferveur pour le culte protestant; aucun remords n'avoit troublé son ame (Marie Stuart n'avoit pas encore péri sur l'échafaud); elle avoit rendu ses sujets heureux et tolérans comme elle (tom. II, pag. 364.)

On ne peut revenir de son étonnement de trouver dans un historien des assertions si malheureusement démenties par les faits. M. Lacretelle connoîtroit-il assez peu l'histoire d'Angleterre pour croire véritablement qu'Elisabeth fut tolérante ? Ignoreroit-il que c'est de son règne que date cette suite de lois rendues contre le catholicisme et contre ceux qui le professoient; lois de toute espèce, et renouvelées presque chaque année; lois qui punissoient de l'exil, d'amendes, de confiscations, de la mort même ceux qui pratiquoient ce culte; lois qui ont subsisté presque jusqu'à nos jours? La tolérance d'Elisabeth commença par chasser de leurs places les évêques et les prêtres qui ne voulurent pas embrasser la réforme. Elle saisissoit tous les prétextes pour inquiéter les catholiques. Le supplice de Felton et de plusieurs autres catholiques; les peines de pri

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