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que les pièces qu'on nous a transmises, et de pouvoir laisser le public juge du procès. Nous allons exposer les avis différens. Celui des avocats de M. Lafont d'Aussonne est renfermé dans un article très-flatteur qu'on a bien voulu nous envoyer en manuscrit.

On dit dans ce Mémoire que M. Lafont d'Aussonne est un ecrivain modeste, élégant, fleuri, irréconciliable avec l'ennui; que son livre est agréable et instructif; qu'on le lit d'abord par curiosité, et ensuite pour les charmes du style; que ses discours sont des modèles d'éloquence relative; que ses narrations fournissent des traits heureux et de vivans tableaux; que tel endroit est un morceau de paysage enchanteur; que tel auire ne tardera pas à devenir classique; qu'un troisième est d'une couleur, pour ainsi dire, épique; enfin, que l'intérêt et la fidélité, y sont réunis à un haut degré. Tel est l'avis de M. de Saint-Léon. Il se trouve confirmé par un article inséré, il y a quelques jours, dans une de nos feuilles périodiques les plus accréditées, et il y a même tant de ressemblance entre l'article et l'avis, qu'on les croiroit partis de la même main, si un tel soupçon n'indiquoit un concert que nous ne voulons pas admettre. Quoi qu'il en soit, le journal loue extrêmement aussi l'ouvrage de M. Lafont d'Aussonne. II en admire les pensées, l'esprit, le style, les détails. D'après son exposé, ce doit être un livre parfait. L'auteur aura sans doute été content de ce jugement. Il le sera peut-être moins du suivant, qui nous a été communiqué par un ami sévère, mais juste. S'il se trompe, nous n'en sommes point responsables.

« Il y a quelques légers reproches à faire à l'histoire de Mme. de Maintenon, dit ce critique. L'au

teur manque de méthode, et ne me paroît pas abondamment pourvu de jugement et de goût. Il y a un grand nombre de chapitres où le nom de Mme. de Maintenon n'est pas même prononcé. Il n'est pas question d'elle une seule fois dans le premier volume, depuis la page 92 jusqu'à la page 164. En revanche on parle d'une foule d'objets totalement étrangers à Mme. de Maintenon, de Louis XIII, du cardinal Mazarin, de ses nièces, de Mme. Henriette. Il y a entr'autres un trait de l'enfance de Louis XIV que M. Lafont d'Aussonne a cru fort divertissant, et qui l'est en effet, grâce à la manière dont il est raconté. Ce petit morceau est assez gai; souffrez que je vous en amuse.

MONSIEUR (frère de Louis XIV), dont la taille étoit petite et tous les mouvemens enfantins, n'avoit nul goût pour la représentation et les grandeurs. Il jouoit et rioit sans cesse, et il trouvoit souvent extraordinaire que le Roi ne voulut pas étre badin comme lui. Un jour, à table, il oublia que son frère devoit toujours étre servi le premier, et dans son impatience, il porta lui-même de la créme à son assiette. Louis XIV étendit le bras, prit cette assiette téméraire, et l'arrétant devant lui, se mit à manger avec une noble contenance. Les officiers sourirent par malheur. Le jeune Philippe, indigné, reprit la cuillère, l'emplit de créme, et en couvrit tout le visage du Roi.

Il n'est personne qui ne sente d'abord tout ce que ce petit tableau a de grâce, de noblesse et d'intérêt, et combien il est à sa place dans l'Histoire de Mme. de Maintenon. On doit savoir gré à M. Lafont d'Aussonne d'avoir déterré une anecdote qui présente Louis XIV sous un aspect si honorable. Cet écrivain

paroît aimer les détails, et il faut qu'il ait eu sur beaucoup de points des renseignemens qui ont manqué à bien d'autres, mais qui jettent un nouveau jour sur un des plus grands siècles de notre monarchie. Il vous apprendra par exemple que Mme. de Maintenon, ayant trouvé son salon mal meublé, le tendit en damas bleu-céleste, l'orna d'un grand lustre, de deux cheminées en glaces de Venise, d'un canapé à huit places et de soixante fauteuils. Vous saurez aussi que Louis XIV étant allé un jour la surprendre à Maintenon, elle lui fit un díner champêtre où dominèrent les beaux poissons de l'Eure, les anguilles des réser– voirs, les œufs frais, le beurre exquis, les salades appétissantes, les fruits vermeils, les confitures auxiliaires, et par-dessus tout la belle humeur. Les érudits seront sûrement charmés d'apprendre que Mme. de Maintenon a donné au Roi à son dîner des oeufs, du beurre et de la salade, et ils remarqueront la bonté de ce prince qui montra de la belle humeur, quoiqu'on ne lui servit que du maigre, parce qu'apparemment on étoit en carême.

Nous avions cru jusqu'ici que ce fut à la chapelle de Versailles que se célébra le mariage du Roi avec Mme. de Maintenon. M. Lafont d'Aussonne nous conte que ce fut à Maintenon même, afin de rendre la chose plus secrète. Du reste, il ne se croit pas obligé d'en administrer d'autres preuves qu'une tradition domestique et locale des plus respectables, et il nous envoie à Chartres et à Maintenon pour nous en assurer, sans se donner la peine de mieux établir co fait. Cette manière d'écrire l'histoire peut avoir sa commodité; mais elle n'est pas fort démonstrative. M. Lafont d'Aussonne ne cite jamais les sources où

il a puisé. Il a regardé comme au-dessous de lui d'indiquer les auteurs qui lui ont servi de guides, et il raconte avec des détails minutieux de petites anecdotes qu'on ne sait où il a prises. Il vous dira quelle parure telle dame avoit en telle circonstance. Il a pris note de tous les discours qui se sont tenus en diverses occasions, discours du Roi à Mme. de Maintenon, discours de Mme. de Maintenon au Roi, discours de la même à Mme. de Montespan, discours du P. de la Chaise et de plusieurs autres personnages. Quelque tradition des plus respectables aura sans doute transmis ces discours à M. Lafont d'Aussonne.

Nous parlions tout à l'heure du mariage de Mme. de Maintenon. Cette cérémonie étoit restée fort longtemps secrète. M. Lafont nous en donne une autre idée dans ce morceau, où l'élégance du style le dispute à la fidélité historique : M. de Harlay, prélat des plus sociables et des plus répandus, se vit questionné par toute la capitale. Au grand nombre il ne répondit que par un sourire ou des manières de croix faites sur ses lèvres. Les détails circonstanciés ne furent que pour le premier président, son frère, pour ses parens et pour ses meilleurs amis. Le P. de la Chaise, rempli d'esprit, avoit à maintenir à la fois l'honneur du monarque, celui de son épouse et son propre honneur. Il confia ces curieux détails au marquis de la Chaise, son frère, et aux principaux Jésuites de Paris. Les Jésuites de Paris ne les confièrent qu'aux Jésuites de France, de Rome, de Malte, d'Allemagne, de la Chine, d'Espagne et du Portugal. Le marquis et la marquise de Montchevreuil ne s'en ouvrirent qu'à la noblesse de la cour, et la noblesse de la cour ne s'en ouvrit qu'à la noblesse de la ville. Tout le monde

trouvera sans doute comme moi que ces détails sont d'une finesse de plaisanterie charmante.

Les grands écrivains se distinguent par une manière qui leur est propre, par d'heureuses alliances de mots qui donnent plus d'énergie au langage, et par un style pittoresque et animé. M. Lafont d'Aussonne a aussi cet avantage. Vous y verrez que Mme. de Neuillant n'avoit point dans le caractère le liant et le soyeux de Mme. de Villette; que Scarron obtint un canonicat raisonnable; que son père, qui étoit grand chambrier, c'est-à-dire, apparemment conseiller de grand'chambre, excita le parlement contre un édit essentiel; que Mme. de Coulanges étoit la cousine de Mme. de Sévigné en esprit comme en réalité; que Mme. Henriette mourut comme une colombe; que les grands yeux bleus de Mme. de Montespan envoyoient à Louis XIV de volatiles caresses; que les riches périssent d'ennui au milieu de leurs jardins féeriques; que l'antithèse vivifiante étoit la base de l'esprit de Mme. de Maintenon; que son frère avoit une langue volatile, etc. Toutes ces expressions ne sont certainement pas communes. Ceux qui les blâmeroient comme trop recherchées, n'auront qu'à s'arrêter, pour se consoler, sur des phrases moins ambitieuses. Par exemple, M. Lafont d'Aussonne affectionne beaucoup le mot de mise pour désigner la manière dout une femme est habillée. Il vous dit quelquefois : Un homme d'un certain age, une femme d'un certain age. Il a la bonté de descendre à d'autres locutions non moins triviales, sans doute pour se mettre un peu plus à notre portée.

Cet auteur a une singulière manière de juger les hommes et les choses. Il traite avec une bien grande

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