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ORAISON funèbre de très-vénérable H. E. Edgeworth de Firmont, confesseur de Louis XVI, prononcée le 29 juillet 1807, dans la chapelle françoise de King's street, Portman-square, à Londres, par M. l'abbé de Bouvens (1).

Le nom de l'abbé Edgeworth ne doit point périr dans l'histoire de la révolution et dans celle du clergé françois, et son courageux ministère est un des traits qui honorent le plus la religion à une époque de crimes et de deuil. Quelques détails sur cet homme vertueux et peu connu ne peuvent manquer d'intéresser les amis de la religion et du trône.

Henri Essex Edgeworth de Firmont étoit issu d'une famille très-considérée du comté de Middlesex, qui avoit passé en Irlande sous le règne d'Elisabeth. Elle a compté des magistrats respectables et des militaires distingués, et elle a contracté d'honorables alliances; mais elle avoit renoncé à la foi dans le temps des innovations religieuses qui ont changé la croyance de l'Angleterre. Le père de l'abbé Edgeworth avoit même choisi un état qui lui imposoit l'obligation de soutenir l'erreur; Dieu lui fit la grâce de rentrer dans le sein de cette Eglise à laquelle ses ancêtres avoient appartenu. Il se fit catholique, engagea sa femme à suivre son exemple, et vint s'établir en France avec sa famille. Son fils Henri commença ses études chez les Jésuites de Toulouse. Il entra dans l'état ecclésiastique, reçut le sacerdoce, et viņt à

(1) Brochure in-8°. de 64 pages; prix, 1 fr. 50 cent. et 1 fr. So cent. franc de port. A Paris, au bureau du Journal.

Tome IV: L'Ami de la R. et du R. No. 85. G

Paris pour s'y consacrer aux fonctions de son ministère. Il prit son logement aux Missions-Etrangères, sans s'attacher pourtant à cet établissement. Il dirigeoit des ames pieuses. Il ramenoit à la religion plusieurs de ses compatriotes livrés à l'erreur, ou à l'in– différence du siècle. On dit, qu'il fut question de le rappeler dans sa patrie, et qu'on lui offrit un évêché catholique en Irlande; mais qu'il refusa ce titre honorable. La Providence avoit des vues sur lui.

Déjà il étoit connu. Mme. Elisabeth entendit parler de son mérite, et le choisit pour son confesseur. Elle en parle avec beaucoup d'estime dans quelquesunes de ses lettres qui viennent d'être publiées, et lui-même professoit depuis un religieux respect pour la mémoire de cette vertueuse et courageuse princessc. Ces deux belles ames s'étoient entendues, et devoient donner l'une et l'autre de grands exemples de courage et de dévouement. Le moment en arriva trop tôt pour le bonheur de la France. Lorsque la famille royale étoit enfermée au Temple, et que le Roi pouvoit déjà prévoir le sort qu'on lui réservoit, Mme. Elisabeth trouva le moyen de faire demander à M. Edgeworth, par une voie secrète, s'il accepteroit le périlleux emploi de confesseur du monarque, dans le cas où ses ennemis lui permettroient de recourir au ministère d'un prêtre. Le courageux ministre de la religion se hâta de répondre qu'il s'honoreroit d'une telle fonction. En conséquence, le Roi donna son nom et son adresse, et l'abbé Edgeworth cut la liberté d'aller au Temple. Il s'y rendit, le 20 janvier après avoir passé par les Tuileries, où il fut interrogé et fouillé. Il entendit des propos horribles qui ne lui firent rich perdre de son calme et de sa présence d'esprit. Introduit devant le Roi, il tomba aux pieds

de ce malheureux Prince, qui,'accoutumé à ne voir autour de lui que des hommes insolens et barbares, ne put retenir ses pleurs à l'aspect d'un sujet fidèle et d'une ame sensible. Ils confondirent ensemble leurs Jarmes. Etant passés dans un cabin, ils s'y entretinrent long-temps. L'abbé Edgeworth entendit la confession du Roi. Il voulut se mettre en état de dire la messe le lendemain, afin de donner la communion au Roi. Les commissaires de la commune, chargés de la garde des prisonniers, eurent beaucoup de peine à lui accorder sa demande. Ils craignoient, disoient-ils, qu'il n'empoisonnât le Roi. Il leur répóndit avec beaucoup de sang froid qu'ils l'avoient fouillé; qu'ainsi, si le Roi étoit empoisonné, ils étoient bien súr's que ce ne seroit pas par lui. 11 obtint de faire venir des ornemens d'une église voisine, Sainte-Elisabeth. Dans la nuit, le Roi voulut qu'il se couchât et fit de même. Je n'ai pas besoin de protester, disoit M. Edgeworth, que je ne dormis point. Le Roi dormit. On l'éveilla, suivant son ordre, à cinq heures du matin. Le confesseur dit la messe et donna la communion au Roi. Ils partirent ensemble pour le lieu du supplice. Les détails publiés dans le temps par les journaux sont exacts, et les ennemis mêmes de Louis nous transmirent, avec son testament, les preuves de son courage et de sa résignation. Euxmêmes nous firent connoître ces mots si simples et si sublimes: Allez, fils de saint Louis, montez au ciel; une des plus éloquentes paroles qui aient été dites.

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Le crime fut consommé. Cependant la position du confesseur devenoit embarrassante. Son air et son costume avoient attiré sur lui les regards des furieux qui euvironnoient l'échafaud. On entendit quelques cris: bas le calotin; nous demandons pardon de

rapporter ces expressions grossières d'une populace effrénée. Le confesseur trouva cependant le moyen de se perdre dans la foule, à l'aide d'un frac bleu qu'il portoit par hasard ce jour-là. Il gagna l'hôtel du président de Rosambo, geudre de M. de Malesherbes, et s'y tint caché quelques jours. On fit mettre dans les journaux, pour détourner l'attention de la police, qu'il étoit passé en Angleterre. Il paroît qu'il se retira à Choisy. Du moins on vient de publier une lettre de Mme. de Lezardière qui donne à ce sujet quelques renseignemens. Elle dit que M. Edgeworth demeuroit à Choisy chez un nommé Boulaclain, qu'il y portoit le nom d'Essex, qu'il y resta jusqu'au mois d'avril, et qu'alors on Jui procura des asiles plus sûrs. J'ignore pourquoi Mme. de Lezardière n'a pas nommé tous ces asiles; peut-être ne les connoissoit-elle pas. Ce que je sais, c'est que le vénérable confesseur habita quelque temps le château de Montigny, près Neuville, dans l'Orléanois. Il y étoit aussi connu sous le nom d'Essex, et passoit pour un anglois qui avoit eu quelque raison de quitter Paris au moment de la déclaration de guerre. y resta plusieurs mois. C'est-là que j'eus l'honneur de voir cet homme intéressant. Il étoit impossible, en l'abordant, de n'être pas frappé de sa belle physionomie. Une taille haute, une figure noble, des yeux pleins d'expression, un mélange de gravité et de douceur, je ne sais quelle teinte de tristesse répandue dans son air, tout contribua à faire impression sur moi. J'étois jeune, et j'avois ambitionné l'honneur d'une conférence, ne fut-elle que de quelques iustans, avec cet illustre consolateur d'un Roi malheureux. Il m'accorda cette faveur, sur la demande d'un père respectable, à qui il avoit fait part

Il

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de son secret, et qui étoit digne de cette confiance par sa sensibilité, la fermeté de son caractère, et son attachement à la cause de ses rois (1). Il eut la bonté de me raconter quelques particularités d'une si tragique histoire, et me permit même quelques questions. Des larmes rouloient dans ses yeux, et quelque chose de céleste dans ses regards rappeloit les mots prophétiques qu'il adressa à un Roi prêt à périr. Cet entretien sera toujours présent à ma pensée. Je n'avois abordé cet homme de Dieu qu'avec une respectueuse admiration; je le quittai plein d'un religieux attendrissement.

Peu de jours après il fut encore obligé de quitter cet asile; c'étoit, autant que je me puis me le rappeler, au mois de juillet. L'indiscrétion de son hôte l'avoit rendu suspect. J'ai ouï dire qu'il avoit été caché quelque temps chez un patriote même, du côté de Fontainebleau. Peut-être retourna-t-il dans les environs de Choisy. Mme. de Lezardière pourroit indiquer ces asiles. Elle dit dans sa lettre qu'il alla du côté de Bayeux, d'où il gagna la côte vis-à-vis les îles SaintMarcouf. Il quitta la France, en 1796, par les mêmes moyens, par lesquels plusieurs royalistes parvinrent à s'échapper. Ce pieux témoin des derniers momens d'une auguste victime, y fut accueilli avec un vif intérêt. Chacun vouloit recueillir de sa bouche les plus tristes récits. L'abbé de Firmont fit le voyage d'Edimbourg, où résidoit alors MONSIEUR, frère du Roi, qui ne pouvoit se lasser de l'entendre, quoique

(1) O mon père, que ne vous a-t-il été donné de voir cette restauration, objet de tous vos vœux, et que n'avons-nous pu nous réjouir avec vous de cette paix de l'Eglise et de l'Eta!, à laquelle s'intéressoit si vivement votre cœur vraiment frauçois et sincèrement chrétien!

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