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armer en course. « Aurait-on voulu par hasard permettre à des Français de commander des vaisseaux armés contre les malheureux Grecs? M. Benjamin-Constant voulait bien croire qu'il n'y avait pas eu une telle arrière-pensée dans la loi. - Arrivé au titre 11, il regrettait qu'on n'en fit point une application spéciale à la traite des nègres ; et terminant par l'examen de l'art. 17, il l'attaquait, ainsi que M. le comte Lanjuinais dans l'autre Chambre comme contraire au droit commun et à la charte constitutionnelle.

Plusieurs orateurs (MM. Straforello, Basterrèche, de SaintGery et Duhamel) soutinrent le projet comme réclamé par l'intérêt le plus pressant du commerce maritime. Néanmoins M. Basterrèche le trouvait incomplet en ce qui concerne la baraterie, genre de fraude qu'il y trouvait mal défini, et contre lequel il aurait voulu des dispositions plus sévères.

La discussion générale fermée, M. le garde des sceaux prit la parole pour défendre le titre 1er des objections faites contre ses diverses dispositions. Il fit voir qu'en matière de piraterie l'armement du bâtiment armé était déjà le fait de piraterie; que les considérations qui avaient dicté la loi actuelle étaient exactement les mêmes que dans les lois anciennes ; l'on n'y avait changé que la peine : et dans certains cas on y substituait celle des travaux forcés à la mort que porte toujours la loi ancienne; et quoiqu'on eût dit : la nomenclature des faits de piraterie énoncés dans la loi, était en tout conforme à la législation maritime, et notamment à celle de l'Angleterre. Enfin, ce projet, qui dans la discussion avait occupé quatre séances dans l'autre Chambre, n'en occupa ici qu'une seule, et fut adopté dans son ensemble par une majorité de 232 voix sur 241 votans.

CHAPITRE IV.

Indemnité des émigrés, etc.

De tous les projets soumis cette année à la discussion législative, aucun n'a plus occupé l'attention publique et les deux Chambres, que celui qui avait pour objet d'accorder une indemnité aux anciens propriétaires de biens-fonds confisqués et vendus au profit de l'état en vertu des lois révolutionnaires... C'est le point dominant de la session de 1825...

Il n'y a plus de raison de le dissimuler. Les bons esprits l'avaient senti dès l'époque de la restauration : la France, rendue aux Bourbons, ne pouvait plus regarder ni traiter en ennemis ceux qui s'étaient armés ou dévoués pour leur cause. Sous quelque titre ou dénomination qu'elle fût donnée, une grande réparation leur était due.

Dès 1814, un illustre capitaine (M. le maréchal Macdonald, duc de Tarente) avait soulevé cette question dans la chambre des pairs; mais en y mêlant d'autres d'intérêts (les dotations militaires faites par le gouvernement impérial) qui ne se sont plus reproduits. Le principe de réparation reconnu à titre de grace, même par le gouvernement impérial, l'avait été positivement par la loi de décembre 1814, quant aux biens confisqués non vendus; mais comme il n'y avait que de grandes forêts comprises dans cette catégorie, la restitution ou le bénéfice de cette loi n'avait profité qu'à de grands propriétaires. Restaient toujours les droits des autres aussi légitimes, mais moins faciles à satisfaire, et dont les malheurs de 1815 devaient retarder la réparation.

Pendant dix ans, cette question suspendue sur la France fut comme un météore menaçant, précurseur d'une guerre civile. Il semblait à l'esprit de parti que la monarchie dût emprunter à la révolution les moyens sanglans dont celle-ci s'était servie pour s'établir; que ce qu'on appelait la spoliation fût vengée, punie jusque

dans les rameaux les plus éloignés; à travers des labyrinthes inextricables, des transformations et des morcellemens opérés par trente ans de révolution... Mais enfin le tems avait affaibli des craintes et . des espérances que la Charte n'avait pu faire taire, et l'opinion publique était déjà plus calme lorsque le dernier discours du feu Roi, aux deux Chambres (23 mars 1824), annonça le dessein de fermer les dernières plaies de la révolution.

Il était réservé à son successeur d'accomplir sa pensée généreuse et l'œuvre de la restauration... Tel fut aussi l'objet d'une des premières lois proposées, dix jours après l'ouverture de la session (le 3 janvier), par M. le ministre des finances, président du conseil. Nous avons besoin, en entrant dans cette mémorable discussion, d'avertir le lecteur qu'il nous est impossible d'en donner les détails de manière à suppléer le Moniteur du temps, c'est toujours là qu'il faudra recourir pour en avoir une idée juste et complète. Quel que soit le talent des orateurs, toujours ramenés sur le même terrain, ils ont bientôt épuisé le plus fécond et nous ne pourrions suivre pas à pas les débats parlementaires sans fatiguer bientôt l'attention de nos lecteurs, sans sortir des limites imposées à cet ouvrage. Forcés de nous restreindre à ce que la discussion offre de neuf ou de vraiment historique, nous abrégeons les détails à mesure qu'elle fait des progrès cette une nécessité de cet ouvrage.

On doit regretter surtout de ne pouvoir consigner ici textuellement l'exposé des motifs de la loi, fait, dans la séance du 3 janvier, par M. de Martignac, l'un des commissaires du Roi nommés pour sa défense; et celui du rapport de la commission, présenté le 11 février au nom de la commission chargée de l'examiner.

M. de Martignac commençait par rappeler les motifs de l'émigration, les malheurs des émigrés, la confiscation et le morcellement de leurs biens, l'inviolabilité des propriétés dites nationales, reconnues par la Charte.

. Cependant, dit l'honorable orateur du gouvernement, ces familles, dépossédées pendant une absence aujourd'hui si hautement légitimée, dépouillées à leur retour de toute espérance de restitution, avaient à la bienveillance du Roi et à la justice du pays des droits qui ne pouvaient pas être méconnus. Leur champ, leur maison, l'héritage de leur famille, avaient été confisqués et Annuaire hist. pour 1825. 6

vendus au profit de l'état. Auprès d'une nation généreuse et loyale, c'était là comme une sorte de créance qui ne devait pas être contestée.

« Une indemnité devait donc être la suite de l'inviolabilité des contrats passés sous l'empire des confiscations.

«Tous les cœurs le sentirent; mais le soin d'exprimer le premier ce noble sentiment appartenait à l'un des plus illustres chefs de cette armée qui fat quelque temps la consolation et toujours la gloire de notre patrie. La France conservera le souvenir de l'appel fait à sa loyauté par un noble pair, dès les premiers mois qui suivirent la restauration du trône légitime.

« D'autres obligations, d'autres besoins forcèrent d'ajourner l'exécution d'une mesure dont les esprits droits et les âmes généreuses sentaient dès-lors la convenance et la nécessité.

«La Charte avait dit aussi : « La dette publique est garantie, toute espèce d'engagement pris par l'état avec ses créanciers est inviolable. Il fallait accomplir cette grande et solennelle promesse, et jeter ainsi, par ce haut témoi gnage de respect pour tous les engagemens contractés au nom de l'état, les vrais fondemens de la fortune publique.

« On se contenta donc d'étendre à toutes les familles d'émigrés les remises faites à quelques-uns de leurs biens non vendus, et de leur faire l'abandon des portions du prix de vente qui n'étaient pas encore rentrées dans les caisses du domaine. Telles furent les dispositions de la loi du 5 décembre 1814.

« Bientôt des malheurs nouveaux vinrent assaillir la France. Les charges d'une longue occupation se joignirent aux charges déjà existantes; le Roi et la France s'entendirent encore pour les acquitter. Le temps, les ressources de notre pays, l'esprit de justice et de loyauté qui anime ses habitans, et le crédit qui naît de la confiance et qui la soutient, en donnèrent l'heureuse possibilité. Déjà Louis XVIII s'occupait de proposer aux Chambres les moyens de sceller, par un acte réparateur, une réconciliation générale: déjà des réserves étaient préparées, lorsque les périls dont se vit menacé le roi d'Espagne et la sûreté de nos frontières nous imposèrent de nouveaux sacrifices. La guerre faite à la révolution espagnole retarda encore l'accomplissement d'un projet dès long-temps conçu par la royale sagesse.

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« Il vous en souvient, Messieurs, à l'ouverture de la dernière session, ce roi juste et bienfaisant dont vous ne deviez plus entendre la voix paternelle, vous exprima son désir de voir fermer les dernières plaies de la révolution. Vos âmes comprirent aisément la sienne, et vos vœux appliqueront ses consolantes paroles à la fidélité malheureuse et dépouillée.

« Le moment est enfin venu où ce désir peut être satisfait, où cet acte d'une honnête et saine politique peut être accompli. La libération de l'arriéré, l'henreux état de nos finances, la puissance toujours croissante de notre crédit, la bonne et sûre intelligence qui règne entre le Roi et les autres gouvernemens, permettent enfin de sonder cette plaie que la restauration a laissée saignante, et qui porte sur le corps entier, quoiqu'elle paraisse n'affecter qu'une de ses parties.

«

« Le temps est arrivé où il est possible de dire à ceux qu'on a dépouillés de leur héritage et qui ont supporté ce malheur avec une si constante résignation: · L'état vous a privés de vos biens, il en a transmis la propriété à d'autres dans des temps de troubles et de désordre; l'état rendu à la paix et à la légitimité vient vous offrir le dédommagement qui est en son pouvoir; recevez-le, et que la funeste trace des confiscations et des haines s'efface et disparaisse pour jamais. Tel est, Messieurs, le grand et religieux but du projet de loi que le Roi nous a ordonné de vous présenter.

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Ici l'exposé des motifs après avoir établi que dans l'état social le droit de la propriété territoriale est le plus sacré de tous, celui auquel se rattache la garantie de tous les autres, que la confiscation abolie en 1790, au nom de la justice et de l'humanité; rétablie peu de mois après au nom de la vengeance et de la haine, allait au-devant des objections déjà faites pour répousser la réparation réclamée par de si grands intérêts.

• On a demandé, dit M. de Martignac, pourquoi les pertes dont l'émigration a été la cause seraient les seules pour lesquelles un dédommagement serait jugé nécessaire; pourquoi les malheurs de ce genre seraient la seule plaie qu'il fût juste et humain de cicatriser?

« La rédaction de la dette publique, a-t-on dit, a privé les créanciers de l'état des deux tiers de leurs créances. Le maximum, les assiguats, les désastres de la guerre, ont frappé de nombrenses familles. Pourquoi tous ceux qui ont été ainsi dépouillés n'auraient-ils pas des droits à une réparation qu'on ne veut accorder qu'à quelques malheurs et à quelques victimes? Il y a impossibilité de réparer toutes les pertes, et il y aurait injustice à n'en réparer que quelques-unes.

Vous avez déjà, Messieurs, pressenti la réponse. Sans doute la révolution a produit des maux de toute espèce; on trouve des malheurs partout où l'on reconnaît la trace de ses fureurs et de ses folies.

<< Sans doute il faut renoncer à guérir tant de maux divers. Les richesses de la France rendue à l'ordre et à la légitimité ne suffiraient pas pour réparer les pertes qu'avait subies la France, appauvrie par l'anarchie et la licence.

Mais, si, parmi ces maux que la révolution a faits, il en est que la justice signale comme les plus graves et les plus odieux, et la raison comme les plus funestes; s'il en est dont l'origine soit un attentat aux droits les plus saints, et la trace une cause toujours subsistante de divisions et de haine, l'impuissance où nous serions de guérir tous les autres doit-elle nous empêcher de porter à ceux-là un remède qui serait en notre pouvoir?

« Les émigrés ont tout perdu à la fois. Tous les maux qui ont pesé sur la France les ont frappés, et ils ont souffert, en outre, des malheurs plus graves encore et qui n'ont été réservés que pour eux.

Les créanciers de l'état, victimes d'une coupable infidélité, ont perdu les deux tiers de leurs créances, mais ils en ont conservé une partie, et la funeste mesure qui les a dépouillés de l'autre, leur a du moins laissé leurs autres propriétés.

« Le maximum, les assignats ont altéré et détruit, au préjudice des négocians et des capitalistes, les valeurs qu'ils avaient dans leurs mains; mais ils n'ont porté aucune atteinte à leur fortune immobilière.

«Ceux qui ont souffert des maux de la guerre ont vu dévaster leurs champs

et leur asile; mais le sol au moins leur est resté.

«

Les lois sur les émigrés leur ont tout ravi aussi, leurs créances, leurs meubles, leurs revenus; mais, de plus, ces lois cruelles les ont privés, et les ont privés seuls de leurs champs, de leur maison, de la partie de ce sol natal, pour la conservation de laquelle le propriétaire a droit de demander à la société protection et garantie.

» C'est pour ce dernier malheur qu'une réparation est demandée; celui-là

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