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sultat de l'ignorance et des vices de la nation française ?

L'examen de cette question, pénible pour tout Français, l'est encore plus pour celui qui tient à son pays. On voudrait se dissimuler les défauts de sa patrie, comme ceux d'une personne qui nous est chère. Si l'on est fier de ses vertus, on est humilié de ses faiblesses; et quand elle est prête à succomber sous les maux qui l'accablent, on ose encore à peine lui en indiquer la source, dans la crainte de l'affliger et de lui faire mieux sentir son humiliation. Cependant, lorsqu'elle est arrivée au comble de la misère, les écrivains, jaloux de lui être utiles, doivent avoir le courage de lui dire la vérité, même au risque de lui déplaire. Car ce n'est pas en se lamentant sur ses malheurs, ou en flattant sa vanité, qu'ils peu-vent espérer de la servir.

Il est dans la nature de l'homme de chercher à détruire les choses qui attaquent son existence, et de défendre celles qui tendent à sa conservation ou à son bien être. Toutes les fois donc qu'on se trouve appelé à donner des lois à un peuple, il faut, si l'on veut qu'elles soient durables, distinguer avec soin les choses qui doivent le conserver, et celles qui peuvent le détruire. Lorsque cette distinction est faite, toute

la science du législateur consiste à laisser agir les unes, et à écarter l'action des autres. Dans l'ordre social, le principe ou l'action qui constitue la propriété, est le premier besoin des hommes; car ce n'est que par la propriété qu'ils peuvent se conserver.

Des institutions qui attenteraient continuellement à la propriété, ou qui arrêteraient l'action qui tend à la produire, ne pourraient donc se maintenir, puisqu'elles attaqueraient l'espèce humaine dans les choses nécessaires à son exis tence. Le premier objet des institutions sociales doit donc être le respect de la propriété et du principe qui la constitue. Mais qu'est-ce done que la propriété ? Les jurisconsultes prétendent qu'elle est un droit. Peut-être serait-il plus exact de dire qu'elle est un fait, ou même une chose; car les hommes ne peuvent pas se nourrir on se vêtir avec des droits, tandis que nous voyons qu'ils se nourrissent ou se vêtissent avec des choses. La propriété, il faut le dire, n'a jamais été bien définie ; et c'est parce qu'on en a méconnu la source, ou parce qu'on n'a pas sit la faire respecter, que toutes nos institutions ont manqué de base, et qu'elles se sont écroulées.

On entend, en général, par le mot PROPRIÉTÉ, ce qui est propre ; ce qui appartient; ce qui fait

partie de; ce qui est tellement lié à une chose qu'on ne peut l'en séparer, sans que cette chose soit détruite. Ainsi les facultés de l'homme lui appartiennent, elles font une partie essentielle de son étre, elles sont sa propriété; comme c'est la propriété de tel arbre de porter des fruits. Si les facultés de l'homme lui appartiennent, ou font partie de lui-même, le produit de ses facultés lui appartient également. On peut cependant le sés parer de lui; mais la séparation ne peut être que partielle ou momentanée. Car, si elle était totale et perpétuelle, si les produits créés par l'homme ne venaient pas se rejoindre à lui pour faire partie de son existence, il s'éteindrait de la même manière que si on le séparait de ses facultés elles-mêmes.

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En effet, les produits spontanés de la terre sont si bornés comparativement aux besoins des hommes, que, si l'espèce humaine cessait un ins tant de diriger vers les objets qui lui sont né cessaires, les forces productives de la nature, elle périrait presqu'entièrement. Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de jeter les regards autour de soi; d'anéantir, par la pensée, tout ce que doit l'existence à l'agriculture, aux arts au commerce, aux sciences, en un mot à l'industrie de l'homme, et de voir ensuite ce qui res

terait pour se nourrir, se vêtir ou se loger. Nous serions bien surpris, si, après cette épreuve, chacun ne reconnaissait pas l'impossibilité de se conserver sans industrie.

Les hommes n'existent donc que par leurs facultés et par le produit de leurs facultés: or c'est ce produit, quand nous le considérons. coinme propre à satisfaire leurs besoins, que nous nommons propriété (1). Considérée sous ce point de vue, la propriété est donc un fait qui dérive, non des lois ou des institutions sociales, mais de l'organisation même de l'homme. Ce fait peut être plus ou moins troublé dans sa marche. Quand une personne a obtenu un produit, il est possible de le lui, ravir, comme il est possible de lui faire perdre la vue, ou de lui enlever l'usage des mains: Mais, dans l'un et l'autre cas, on peut lui donner la mort; puisque nous avons var que les produits de ses facultés doivent toujours se joindre à lui pour faire partie de son étre. Les sauvages connaissent peu la propriété,

(1) Si la propriété, dira-t-on, n'est que le produit du travail de l'homme, les terres ne sont donc pas des propriétés. Si quelques personnes trouvaient l'objection spécieuse, qu'elles recherchent la cause première de la valeur des terres, ou qu'elles étudient l'économie politique; elles trouveront que cette valeur a été d'abord un produit.

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parce qu'ils produisent peu; les animaux ne la connaissent point du tout, parce qu'ils ne produisent rien.

terre,

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Dans les temps les plus barbares, les hommes vivent des produits spontanés de la nature, ou de ce qu'ils ravissent à des voisins plus industrieux. Quelquefois aussi, ils égorgent leurs prisonniers et les dévorent. Lorsqu'ils ont fait quelques pas dans la civilisation et qu'ils ont acquis quelques notions sur la culture de la ils ne tuent plus leurs prisonniers : ils en font des esclaves, et se nourrissent du produit de leur travail. C'est le second état de barbarie; c'est celui dans lequel se sont trouvé presque tous les peuples que nous appelons anciens. C'est aussi celui dans lequel se sont trouvé les Francs après la conquête des Gaules. Dans un tel état, c'est la partie la plus barbare, ou la moins civilisée de l'espèce, humaine, qui vit au moyen de ce que produit la partie la plus avancée dans la civilisation. De là doivent résulter un profond mépris pour les producteurs considérés en leur qualité d'hommes, et un grand respect pour la terre et l'esclave qui la cultive, considérés comme instrumens de production (1)...

(1) Il faut même, pour que ce respect s'établisse, qu'un

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