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TROISIEME PARTIE.

ACTES DE GOUVERNEMENT.

GOUVERNEMENT DE FRANCE.

De l'esprit des représentés et des représentans.

S'IL est difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver dans la nature deux choses qui se ressemblent parfaitement, n'est-ce pas une véritable folie de croire que deux hommes peuvent avoir, sur tous les points, des opinions absolument semblables? On peut sur quelques matières, en religion, par exemple, leur faire apprendre des formules générales, et leur faire dire qu'ils croient les choses exprimées par ces formules. Mais, si on les obligeait tous à expliquer le sens qu'ils y attachent, on serait bien étonné de voir que les uns n'y en attachent aucun, que les autres n'y attachent qu'un sens absurde ou ridicule, et qu'il n'en est pas deux

qui pensent de la même manière. Une expérience de cette nature, si elle pouvait être faite, prouverait peut être qu'en religion il y a autant de sectes que d'individus; et si les membres de l'inquisition y étaient soumis les premiers, il y a à parier qu'ils seraient tous brûlés comme hérétiques.

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En politique, on a aussi des formules convenues qu'on apprend et qu'on répète, mais auxquelles chacun attache le sens qui lui convient; de sorte que si tous les hommes qui s'occupent de cette science étaient tenus de mettre par écrit, chacun en son particulier, la forme de gouvernement qui leur convient, on verrait bientôt autant de projets que de têtes. Il y aurait donc, à proprement parler, autant de partis que d'individus, si, pour être du parti de quelqu'un, il était nécessaire d'avoir sur tous les points des opinions absolument semblables aux siennes. Mais cela n'est pas du tout requis; il suffit que des hommes aient des intérêts communs sur quelques points importans, et que leurs opinions ne soient pas diamétralement op posées, pour qu'il se forme entre eux une espèce de coalition à laquelle on donne le nom de faction ou de parti, selon qu'elle se montre plus ou moins disposée à agir dans la poursuite

des biens qu'elle desire. Aussitôt qu'un parti est ainsi formé, il adopte une formule dont l'unique objet est de servir de signe de ralliement, mais qui souvent n'a point de sens dans la bouche de ceux qui la prononcent, ou qui change de sens selon leur intérêt.

Il y a aujourd'hui en France trois partis distincts et avoués; le parti ultra-royaliste, le parti ministériel et le parti libéral, ou pour mieux dire, constitutionnel.

Le parti ultra-royaliste se compose de tous nos bons vieux, gentilshommes qui ont précieusement conservé les souvenirs, les habitudes les costumes, et jusqu'au langage de la vieille monarchie; qui ne seraient pas fàchés de retourner au siècle de Louis XV, ou même un peu plus loin, s'il était possible; qui parlent sans cesse de chevalerie, de loyauté, de fidélité et ressemblent aux Bayard ou aux Duguesclin à-peu-près comme les soldats du pape ressemblent aux soldats de César ou de Pompée. Les hommes de ce parti ont pris pour devise Dieu, le Roi et les dames; mais pour être admis parmi eux, il n'est pas absolument nécessaire de croire en Dieu, ni même de beaucoup respecter le Roi; il suffit de crier très-fort vivent les prêtres et les Bourbons; quant aux dames,

ce n'est pas de ce côté que brillent ces messieurs, et depuis qu'elles n'ont plus besoin pour défendre leur honneur, ni de leur lance, ni de leur rapière, on ne voit pas trop à quoi ils peuvent leur être utiles.

Le parti ministériel se compose principalement de ces hommes inébranlables, qui, à travers toutes les révolutions, se sont tenus avec une constance digne des stoïciens les plus intrépides, du côté des pensions, des honneurs et des places. A toutes les époques on les a vu faire les plus grands sacrifices pour ne pas déserter leur cause : ils ont changé de costume, de langage, de tout, mais le fond de leur pensée a été toujours le même; comme les sénateurs romains, après la prise de leur ville par les Gaulois, ils seraient tous morts sur leurs chaises curules, plutôt que de céder la place à l'ennemi. Leur devise actuelle est la légitimité et la charte; mais cette devise qu cette formule change avec les circonstances, et elle est toujours appropriée aux besoins du moment. D'ailleurs, les hommes du parti sont convenus que leurs devises n'auraient jamais de sens, ou plutôt qu'elles auraient toutes le même quelles qu'elles fussent.

Le parti constitutionnel on libéral se compose en général des hommes qui, n'aspirant ni aux

places ni aux pensions, ne veulent dominer sur personne, et ne veulent pas être dominés par qui que ce soit; étre libres sous un gouvernement véritablement représentatif, c'est-à-dire, n'être soumis qu'à des lois conformes au bien de tous, est l'objet de leurs desirs et de leurs poursuites. Ceux-ci font en général assez peu de bruit; et comme ils tiennent bien plus aux institutions qu'aux individus; comme il leur importe d'ailleurs assez peu que tel homme soit ministre plutôt que tel autre, pourvu que celui qui l'est soit obligé de gouverner dans un sens national, ils n'ont aucune formule convenue.

Il arrive quelquefois que ces divers partis se confondent, et que, pour rester fidèles à leurs principes, ils sont obligés de marcher sous la même bannière. Ainsi, par exemple, supposez un ministère entièrement composé de vrais gentilshommes, le parti ministériel se trouvera toutà-coup réuni au parti ultrà-royaliste, et, comme lui, il criera, vivent Dieu, le Roi et les dames; supposez au contraire un ministère dont la majorité soit constitutionnelle, le parti ministériel se réunira au parti libéral, et, cómme lui, réclamera la liberté individuelle, la liberté de la presse, etc.; enfin, supposez un ministère bien ministériel c'est-à-dire, voulant gouverner pour lui seul

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