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DE LA LOI

QUI SUSPEND PROVISOIREMENT LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE.

Si le but des Français, en commençant leur révolution, a été de diminuer la masse de pou voirs que le temps et des usurpations successives avaient accumulés dans les mains de leur gouvernement, jamais, on peut le dire, entreprise n'a eu des résultats plus contraires à son objet. Il suffit de comparer l'état actuel du pouvoir exécutif en France, avec ce qu'il était il y a un quart de siècle, pour voir à l'instant même combien ses moyens d'action se sont accrus. S'il n'a pas en ce moment une aussi forte armée permanente, il a des cadres ouverts pour en former une plus grande ; il a une gendarmerie plus nombreuse ; il a une garde nationale qu'il n'avait point; il a temporairement l'appui de forces étrangères considérables. D'un autre côté, il lève des contributions incomparablement plus fortes; le nombre d'hommes qu'il tient à ses gages est peutêtre plus que triplé ; il a une police dont l'industrie et les ressources sont de beaucoup supérieures à celles de l'ancienne, et dont l'unique ou du moins la principale fonction est de veiller à sa

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garde; la représentation nationale est pour lui un moyen plutôt qu'un obstacle; les corps de judicature sont beaucoup moins indépendans de lui qu'ils ne l'étaient avant la révolution; il a d'ailleurs des tribunaux d'exception chargés de prononcer sur tous les délits qui intéressent sa sûreté ; l'administration des communes et des provinces lui est entièrement soumise; l'éducation publique est sous sa domination absolue: en un mot, toutes les branches du gouvernement sont en quelque sorte sous sa main; toute la puissance publique semble uniquement destinée à le soutenir.

Cependant, au milieu de cette vaste accumulation de pouvoirs, le ministère de France n'a pas trouvé qu'il en eût encore assez ; il a prétendu que la sûreté de l'Etat exigeait qu'il fût investi de extraordinaires de conservamoyens tion, et il a demandé qu'on l'autorisât à arrêter et à détenir arbitrairement les citoyens. Une loi l'a investi de cette faculté. Cette loi a-t-elle ajouté à sa puissance? C'est la seule question que nous examinerons ici; nous ne dirons pas un mot des justes craintes qu'elle a dû inspirer à la France; nous ne ferons pas remarquer qu'elle a dépouillé ses habitans du plus précieux de leurs droits, de cette sûreté individuelle que

les

doit à ses sujets tout gouvernement éclairé par la morale et par la religion, comme le disait si éloquemment, le 2 janvier dernier, M. le ministre de l'intérieur parlant à la chambre des députés. Quoiqu'on reconnaisse ainsi dans la théorie que les gouvernemens doivent exister pour les peuples, on sait bien que dans la pratique les peuples n'existent encore que pour gouvernemens, et qu'on se soucie assez peu qu'ils soient libres pourvu que les gouvernemens se soutiennent ? Mais les gouvernemens peuvent-ils se soutenir si les peuples ne sont pas libres? Un gouvernement est-il jamais intéressé à ce qu'on l'investisse du droit d'arrêter arbitrairement les citoyens ?

Pour pouvoir décider sûrement cette question, nous croyons qu'il est nécessaire de distinguer d'abord entre les gouvernemens. Si un gouvernement adopte des plans essentiellement contraires à l'esprit du peuple confié à sa garde, s'il place l'intérêt de ses systèmes avant tout autre intérêt, s'il veut les faire réussir à tout prix, et quoiqu'il en puissé arriver, ce gouvernement sera sans doute intéressé à ce qu'on l'arme de moyens violens ; ; car il sera exposé à rencontrer de violentes résistances. Si par exemple on voulait faire adopter à la France les mœurs

des peuples de l'antiquité, comme l'avait tenté la convention nationale; si l'on voulait en faire un peuple de soldats, de conquérans et de pillards, comme l'avait entrepris Bonaparte; si l'on prétendait l'assujétir à une caste privilégiée comme l'ont essayé les introuvables de 1815; dans ces cas et autres semblables, il serait sans contredit très-nécessaire que le gouvernement pût disposer non-seulement de la liberté des citoyens, mais de celle de la presse, mais de celle des élections, mais de celle des chambres, mais de celle des tribunaux, mais de toutes les libertés possibles; il serait essentiel qu'on l'entourât de soldats, de gendarmes, de tribunaux révolutionnaires, de cours spéciales, de cours prévôtales, d'échafauds, de bastilles et de bourreaux. Il ne faudrait pas en effet moins que tout cela pour qu'il pût parvenir à ses fins; et encore l'expérience prouve-t-elle qu'avec tout cela il n'obtiendrait des succès incomplets et peu

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durables.

que

Mais admettons qu'on se propose un but moins difficile à remplir; admettons qu'on n'ait ni systèmes extravagans à faire valoir, ni passions particulières à satisfaire; admettons qu'on se propose uniquement de procurer à la France l'exécution des lois qui assurent sa liberté civile

et politique : dans cette hypothèse, qui est la seule où l'on puisse se placer sans faire injure au gouvernement, le gouvernement peut-il avoir besoin qu'on l'investisse des moyens d'action extraordinaires que nous venons d'énumérer ? Peutil avoir besoin, entre autres choses, qu'on lui accorde le droit d'arrêter et de détenir arbitrairement? Telle est proprement la question à résoudre. Voyons comment cette question a été traitée à l'occasion de la loi dont nous nous occupons ici.

M. le ministre de la police, en présentant cette loi aux chambres, et en la défendant devant elles, s'est efforcé de montrer combien la situation de la France s'était améliorée depuis un an. La confiance, a-t-il dit, renaît dans le cœur des bons citoyens, elle s'éteint dans celui des méchans; ceux-ci sont contraints à la résignation; le sentiment de leur faiblesse les force à abandonner leurs desseins et jusqu'à leurs espérances. Le triomphe des lois régulières se consolide; toutes les alarmes se dissipent, toutes les existences se rassurent, tous les partis s'éteignent, etc. M. le ministre a dit ces choses pour faire comprendre combien la suspension de la liberté individuelle avait été utile l'année dernière ; mais il en résultait qu'elle n'était plus

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