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n'ont pas regardé les propriétés comme étant le produit de l'industrie de chaque individu; ils les ont considérées comme si elles avaient été spon→ tanément produites par la nature; ou plutôt comme les Romains considéraient les richesses des peuples industrieux qu'ils dépouillaient : comme eux, ils ont voulu que les richesses produites par quelques-uns, fussent partagées de manière que chacun en eut une égale part.

Ne voyant dans les personnes industrieuses que des instrumens créés pour nourrir la classe oisive, quelques-uns se sont imaginé que le moyen le plus efficace de faire prospérer l'état était de dévorer inutilement la plus grande quantité possible de produits industriels. C'est alors qu'a été poséé cette maxime que,« pour que l'État monarchique se soutienne, le luxe doit aller en croissant du laboureur à l'artisan, au négociant, aux nobles, aux magistrats, aux grands seigneurs, aux traitans principaux, aux princes, sans quoi, tout serait perdu » (1). C'est alors aussi qu'on a osé écrire « qu'il faut que les lois favorisent tout, le commerce que la constitution de ce gouverne-,

au Suédois, plus difficile à contenter, dit-il, et plein des idées des anciens philosophes sur l'art de régler une républiqne.

(1) Montesquieu, Esprit des Lois, liv. vit, chap. 4/ Cens. Europ. TOM. I.

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peut donner; afin que les sujets puissent, sans périr, satisfaire aux besoins toujours renaissans du prince et de sa cour» (1).

Il est une multitude de moyens d'acquérir la propriété ; mais on a observé que les individus qui, étant incapables de rien produire par euxmêmes, sont parvenus à s'enrichir par la violence, par la ruse ou par le vice, ont eu, en général, des moeurs atroces ou infames. Cette observation, confirmée par l'histoire de quelques peuples anciens, par les préjugés puisés dans la lecture de leurs philosophes, et par des exemples modernes, a fait croire que la propriété c'est-à-dire, la production, était elle-même la source de tous les crimes. On n'a donc rien trouvé de mieux, pour donner de la morale aux peuples, que d'attaquer cette prétendue source de misères humaines. « Le premier, a dit Rousseau, qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres; que de misère et d'horreurs n'eût point épargnés au genre-humain celui qui, arrachant les pieux, ou comblant le fossé, eût crie à ses semblables:

+(1) Esprit des Lois, liv. v, chap. 8.

gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, la terre n'est à aucun. »‹

et

que

Ainsi, tandis que, d'un côté, une partie de la population, héritière des erreurs et des habi-' tudes des sauvages de la Germanie, s'obstinait à regarder comme au-dessous d'elle tous les moyens de production, et à ne voir dans les hommes. industrieux que de vils instrumens qu'il fallait' sans doute ménager, mais assez seulement pour qu'ils pussent, sans périr, satisfaire aux besoins' toujours renaissans du prince et de sa cour ; d'un autre côté, les écrivains les plus éloquens, imbus des erreurs nées dans l'enfance des peuples de la Grèce ou de l'Italie, persuadaient aux hommes que les fruits de la terre étaient à tous; que la terre n'était à aucun, et que tous les crimes et les malheurs du monde étaient nés de l'industrie, des arts, des sciences, en un mot, de la production des choses nécessaires à l'homme, c'est-à-dire,de la propriété. Toutes ces idées étaient les mêmes, quant aux résultats qu'elles devaient produire : elles ne différaient que dans la manière dont elles étaient présentées; et les philosophes qui attaquaient les préjugés nobiliaires, étaient eux-mêmes dominés par des préjugés de la même nature.

Il existe chez tous les peuples deux partis; celui des hommes oisifs qui veulent vivre aux dépens d'autrui, et celui des hommes industrieux qui veulent qu'on respecte les produits de leur industrie. Tant que les premiers sont assez forts ou assez bien organisés pour comprimer les seconds, la lutte est sourde et peu appa-. rente; il règne dans le monde une espèce de, calme assez semblable à celui que montre un homme courageux au milieu des tourmens; ce calme, les forts sont convenus de l'appeler le, bon ordre, parce qu'en effet ils trouvent cet ordre fort bon. Aussitôt que l'équilibre des forces s'établit, les agitations commencent: c'est le temps des révolutions. Si les hommes industrieux, ont le dessous, on les appelle des esclaves révoltés, des séditieux, des rebelles, quelquefois, aussi des révolutionnaires; on châtie les uns, on resserre les fers des autres, et le bon ordre se rétablit. Si c'est au contraire la classe dévorante qui succombe, les hommes qui la composent sont des oppresseurs, des tyrans; on les proscrit. Spartacus échoue dans la lutte qu'il engage contre la tyrannie romaine; il n'est qu'un esclave fugitif digne du dernier supplice : s'il eût réussi il eût peut-être sauvé le monde (1).

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(1) La guerre soutenue par des esclaves contre leurs

Telle est en deux mots l'histoire de la révolution française. La lutte qui s'est engagée entre la classe active et industrieuse, et la classe oisive et dévorante, n'a eu d'abord pour objet que de garantir à la première le libre exercice de ses facultés, et la jouissance paisible des produits de son industrie. Si, après avoir pris le dessus, les défenseurs de la cause populaire étaient restés dans les bornes d'une sage modération; s'ils avaient respecté chez leurs adversaires, les droits pour lesquels ils avaient combattu; si, au lieu de confisquer au profit de l'Etat, les propriétés des hommes qui allaient exciter des guerres contre la France, ils les avaient déclaré dévolues dans l'ordre naturel des successions aux plus proches de leurs parens qui resteraient fidèles à la pa

maîtres, a quelque chose de vil à nos yeux. Ce sont des hommes qui se battent pour que le produit de leur industrie ne soit pas la proie de ceux qui les ont asservis : c'est une guerre ignoble. La guerre soutenue par Pompée contre César nous charme; elle a pour objet de savoir quel sera le parti qui tyrannisera le monde; elle se fait entre des hommes qui sont aussi incapables les uns que les 'autres de subsister par leurs propres moyens : c'est une guerre noble. Si nous remontions à la source de nos opinions, nous trouverions que la plupart ont été faites par nos ennemis.

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