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DU SYSTÈME

DE L'ÉQUILIBRE

DES PUISSANCES EUROPÉENNES.

Le premier moyen dont l'homme s'avise pour satisfaire ses besoins, c'est de prendre ; ravir a été sa première industrie; c'a été aussi le premier. objet des associations humaines, et l'histoire ne fait guère connaître de sociétés qui n'aient été d'abord formées pour la guerre et le pillage.' Les peuples anciens les plus connus, les nations modernes les plus civilisées, n'ont été originairement que des hordes sauvages vivant de rapine. Tant que ces peuples sont resté barbares, et il en est qui le sont toujours restés, tant que guerre a été leur principal moyen d'existence, il a été impossible qu'ils eussent l'idée de vivre en état de paix ; et la raison en est simple, c'est que n'ayant aucune industrie, aucun moyen de produire les choses nécessaires à leurs besoins, ils n'auraient pu prendre la résolution de vivre en paix sans se condamner, en quelque sorte, périr. Aussi voit-on que les Romains, dont la

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guerre et le pillage ont toujours été la principale industrie, n'ont jamais eu tant qu'il leur est resté des peuples à vaincre et à dépouiller, l'idée de renoncer à la guerre. On peut observer également que les Barbares qui ont renversé leur empire, n'ont jamais eu, tant qu'ils ont conservé leurs anciennes mœurs, l'idée de vivre en état de paix. L'idée de faire de la paix un état, et un état durable, est une idée toute moderne ; elle ne remonte guère au-delà du 17o. siècle; elle a été le fruit d'une civilisation déjà avancée.

C'est dans le cours des guerres longues et cruelles de la réformation, que les peuples de l'Europe ont conçu, pour la première fois, l'idée de se constituer en état de paix. Cette idée leur a été suggérée par les maux extrêmes que leur faisait déjà la guerre, à une époque où ils com

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mençaient à jouir des bienfaits de l'industrie et de la civilisation. La guerre avait enfanté le tème de l'équilibre; ce système est devenu le moyen qu'ils ont employé pour fonder la paix.

Nous disons que la guerre avait enfanté le système de l'équilibre. Ce système, en effet, n'est qu'une suite de l'esprit guerrier; l'équilibre de l'Europe n'est que l'esprit guerrier parvenu en Europe à son plus grand développement. L'effet

de l'esprit guerrier n'est pas seulement de mettre aux prises deux individus, ou deux peuples. Eir même temps qu'il les rend ennemis, il les excite à se fortifier chacun de leur côté, à rallicr mutuellement à leur cause le plus de monde possible; d'où il résulte que la querelle de deux individus peut devenir celle de deux villes, et la guerre de deux peuples celle de dix nations. Voilà ce qui est arrivé en Europe, et c'est ainsi qu'est parvenu à s'y établir ce système de l'équilibre des paissances européennes qui n'est autre chose que l'état de guerre d'une moitié de l'Europe contre l'autre.

Ce système a commencé à s'y développer à la chute du gouvernement féodal. Tant que ce gouvernement s'était maintenu, l'esprit guerrier n'avait ри s'exercer que sur des bases assez étroites. Il avait en autant de centres d'action qu'il y avait en Europe d'états différens, et il n'avait guère mis aux prises que les possesseurs de fiefs de chaque contrée, soit entre eux, soit avec leurs suzerains. Lorsque ces derniers ont eu réduit leurs vassaux à la condition de sujets, et étendu à la fois leurs pouvoirs et leurs domaines, l'esprit guerrier a commencé à se déployer sur un terrain plus vaste, et à exercer ses ravages plus en grand. La guerre, allumée d'abord entre deux états, s'est bientôt étendue à plusieurs,

et elle a fini par les embraser tous. C'est sur-tout à l'époque de la réforme qu'on l'a vu devenir générale. Elle s'est faite d'abord entre l'Autriche, l'Espagne et la Bourgogne, d'une part, et la France, la Turquie et les Princes protestans du Nord d'une autre part; puis entre l'Espagne, d'un côté, et les Pays-Bas et l'Angleterre de l'autre ; puis entre l'Autriche, l'Espagne, le Pape et la Bavière d'une part, et de l'autre la France, la Suède, et les états protestans de l'Allemagne ; en étendant les relations des peuples, elle n'a fait qu'aggrandir le cercle de ses fureurs ; elle ne les a tous rapprochés que pour les mettre tous aux prises; enfin elle a partagé l'Europe en deux confédérations ennemies, et lorsqu'on a fait la paix on l'a laissée dans cet état. Il y a mieux, c'est qu'on s'est efforcé de rendre cet état durable, qu'on a voulu en faire l'état habituel de l'Europe, et qu'on a prétendu fonder. ainsi le repos de cette partie du monde.

Pendant cent cinquante ans que la guerre avait duré entre des forces à peu près égales, on avait eu, ce semble, le temps de reconnaître que cette égalité de forces n'était pas, par elle-même, un moyen d'empêcher la guerre. Cependant on a voulu faire de cette égalité un principe de paix. On a partagé systématiquement l'Europe en deux lignes,

qu'on s'est efforcé de rendre égales, mais qu'on a laissé ennemies; et au moment où l'on ne faisait, en réalité, que constituer la guerre, on a annoncé au monde une éternelle paix. Cette paix entre des forces dont l'esprit restait le même, et qui, pour, être pareilles, ne cessaient pas d'être rivales, a été, comme il ne pouvait manquer d'arriver, presqu'aussitôt troublée qu'établie. On n'a pas moins persisté à prétendre que le seul moyen d'assurer la paix, c'était de partager également les forces, et on en a fait de nouvelles répartitions dont la guerre a été constamment le résultat. Enfin, après trois siècles d'expériences toutes semblables on continue encore à dire que le seul moyen de fonder en Europe une paix durable, c'est d'établir une juste proportion entre la force des états qui la composent, et de les partager en deux confédérations qui se balancent; c'est là le langage qu'ont tenu dans ces derniers temps toutes les puissances européennes (1); c'est sur ce principe

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(1) L'Autriche et la Russie, en se liguant contre Bonaparte au mois de septembre 1813, se sont dit animées du même desir de mettre un terme aux souffrances de l'Europe, par l'établissement d'un juste équilibre des puissances. L'Angleterre et l'Autriche se sont alliées, un peu plus tard, dans le dessein d'accélérer l'époque d'une paix générale qui, par un juste équilibre entre les puisCens. Europ.-Tom. I.

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