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Ces raisons nous paraissent aujourd'hui pett concluantes. Ce qui rend une aristocratie nécessaire (1), c'est bien moins l'indépendance dont elle jouit que la force dont elle dispose. Epictète et Philoxène étaient des hommes indépendans par caractère; mais était-il au pouvoir de l'un ou de l'autre de résister à la tyrannie de Néron ou de Denis, et de s'opposer aux fureurs de la populace de Rome ou de Syracuse? La précaution d'assurer aux pairs ou aux sénateurs un revenu fixe serait vaine, si on ne trouvait en même temps l'art de mettre des bornes à leurs besoins; celui qui jouit de trente mille fr. de rente, et qui par ses besoins est porté à en dépenser cinquante, est bien plus sous la dépendance du gouvernement, que celui qui n'en possède que la dixième partie, et qui n'a pas besoin d'en dépenser davantage. D'ailleurs, c'est le revenu et non la terre qui constitue la richesse; ce n'est donc rien que d'empêcher l'aliénation du fonds, si l'on ne prévient pas les anticipations de revenu. Pour avoir un sénat héréditaire toujours

(1) Pır le mot aristocratie, nous n'entendons que la subordination établie entre les hommes par leurs besoins mutuels : cette aristocratie est naturelle, puisqu'elle dérive de la nature de l'homme.

riche, il faudrait donc en mettre tous les membres en tutelle. L'esprit de corps serait bien moins utile que nuisible, s'il n'avait pas pour objet de prêter de la force au gouvernement, de préserver les citoyens de l'arbitraire, et de favoriser, autant qu'il est possible, les moyens qu'un peuple est obligé d'employer pour conserver son existence: or, on ne voit pas dans quel sens l'hérédité du pouvoir sénatorial pourrait être propre à l'un de ces objets.

Après avoir montré quelle doit être l'organisation sociale des peuples modernes, il resterait à examiner quels sont les moyens par lesquels on peut appeler aux emplois publics les hommes les plus propres à favoriser la prospérité nationale; mais cette recherche nous mènerait trop loin, et nous la réserverons pour un autre article.

Dans ces dernières considérations sur l'organisation sociale, nous n'avons tenu aucun compte des titres ou des dénominations qui nous restent de la féodalité. C'est qu'en effet ces titres et ces dénominations sont étrangers à la question. Vouloir exclure aujourd'hui un homme de toute participation aux affaires publiques, par la seule raison que ses ancêtres auraient appartenu à un ordre de choses qui n'existe plus, serait une extravagance digne de 1793. Vouloir l'y appeler Cens. Europ. Toм. II

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pour cette seule raison, serait une folie qui ne serait pas moindre. L'essentiel est d'examiner ce que les hommes sont au temps où l'on doit s'en servir; et, si l'on a des choix à faire, de porter ses regards sur ceux qui n'ayant point une fortune à acquérir, ont une réputation à con

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Sur l'état présent de l'Europe, sur les dangers de cet état, et sur les moyens d'en sortir.

Nous avons précédemment expliqué comment, dans le système de l'équilibre politique, l'Europe se trouvait constituée (1). Nous avons dit que, dans ce système, les puissances européennes étaient partagées en deux confédérations armées, de forces à peu près égales, et que l'objet prétendu de ce partage était, soit de les maintenir en paix, soit d'assurer leur mutuelle indépendance. Nous avons établi que cette organisation purement militaire, n'était propre à remplir ni l'un ni l'autre de ces objets; nous avons dit, qu'ayant sa source dans l'esprit guerrier, elle ne pouvait produire que la guerre, et que, par cela

eul qu'elle tendait à perpétuer la guerre, elle mettait dans un péril continuel l'indépendance et la tranquillité de tous les états. Nous avons dit que les seuls moyens capables d'assurer aux

(1) V. tom. 1er., Du système de l'équilibre des puissances européennes.

peuples la paix, et aux gouvernemens leur indépendance, c'était la destruction des erreurs et des passions favorables à la guerre, c'était la propagation des idées favorables à la paix; que les guerres générales ne pouvaient cesser en Europe que par les mêmes causes qu'y avaient cessé les guerres privées; qu'elles n'y cesseraient que lorsqu'il s'y serait élevé une Nation nouvelle à qui les guerres entre les souverains paraîtraient aussi odieuses, aussi intolérables que l'étaient autrefois aux sujets de ces souverains, les brigandages particuliers des seigneurs féodaux, et lorsque cette Nation aurait acquis assez de cor sistance et de force pour pouvoir comprimer, là où elles se manifesteraient, les passions favorables à la guerre. Enfin, nous avons dit que les idées propres à constituer une telle Nation existaient, que ces idées circulaient dans toute l'Europe, qu'elles ralliaient déjà la plupart des hommes éclairés de tous les pays, et qu'elles étaient plus ou moins senties par toute cette partie de la population européenne qui sollicite des réformes et l'établissement d'un bon système représen *tatif.

Il y a donc, au sein de l'Europe, un noyau déjà assez fort de cette Nation nouvelle, de cette Nation européenne, de cette Nation ennemie de

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