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Comme le montrait avec éloquence le baron de Haan à la Conférence Internationale du Canal de Suez (1885), dans la séance du 27 avril, grâce aux dispositions du traité de Paris (16 avril 1856) un progrès énorme s'est accompli dans les rapports commerciaux des peuples et surtout des Etats neutres qui peuvent, non seulement en toute sécurité continuer le commerce maritime en temps de guerre, mais encore se charger du commerce maritime des belligérants. Non seulement ces déclarations ont été respectées par tous les Etats de l'Europe, mais la plupart de ces derniers ont été jusqu'à déclarer qu'ils respecteraient la propriété privée ennemie sur mer.

L'Italie a inséré dans son Code maritime un article établissant l'inviolabilité de la propriété ennemie sous condition de réciprocité. En 1866 ce principe fut de nouveau proclamé par l'Italie, l'Autriche et la Prusse; il le fut encore, en 1870, par l'Allemagne, et le traité conclu en 1871 entre l'Italie et les Etats-Unis le consacre en termes formels (26 février).

D'autres manifestations en faveur de ce principe. eurent lieu depuis un peu plus d'un siècle. La libre circulation des navires de commerce en temps de guerre fut admise en principe dans le premier traité conclu, en 1785, entre Frédéric II et les Etats-Unis. Une assemblée nombreuse de commerçants, réunie à Brême le 2 décembre 1859, a formulé comme suit le vrai principe moderne :

Considérant que le respect des personnes et de la propriété est la seule base sur laquelle puissent prospérer les relations morales et intellectuelles des peuples.....; que ce principe sacré doit être respecté, même en guerre, par les nations qui tien

nent à honneur de marcher à la tête de la civilisa

tion:

Considérant que, contrairement à ce principe, on autorise encore, dans les guerres maritimes, les belligérants à s'emparer des biens des personnes exerçant paisiblement leur négoce, à saisir et à détruire les navires marchands et leur cargaison, et à faire prisonnier l'équipage;

L'assemblée décrète :

1o L'opinion publique réclame impérieusement que l'inviolabilité des personnes et de la propriété soit étendue, en temps de guerre maritime, aux ressortissants des Etats belligérants partout où les opérations maritimes ne s'y opposeront pas absolument';

Le gouvernement de la Défense nationale, qui avait trouvé le principe des prises admis par le Gouvernement Impérial et n'avait pas cru devoir le modifier malgré la proclamation prussienne du 18 juillet 1870, exprima l'espoir (28 octobre 1870)

Que le progrès des idées amènerait un jour les puissances à conclure des traités à l'effet d'adoucir les maux de la guerre.

Le Congrès international de Naples, en 1871, proclama l'inviolabilité de la propriété privée sur mer.

Dans ses séances de 1875, 1877, 1878, l'Institut de Droit International se rallia à ce principe; et particulièrement dans sa session de 1877, à Zurich, il émit la règle suivante : La propriété privée neutre ou ennemie, naviguant sous parillon ennemi ou sous pavillon neutre, est inviolable.

D'ailleurs, aujourd'hui, quand une guerre est dé

1. Bluntschli. Op. cit. Art. 665. 2. Bluntschli. Op. cit. Art. 655.

clarée, le télégraphe avertit tous les navires sujets à la saisie; ils entrent dans le premier port neutre et y restent jusqu'à la fin de la guerre. Leur pays tire les marchandises qu'ils devaient lui apporter d'autres Etats par chemin de fer. Tout le tort qu'une flotte supérieure peut causer au commerce ennemi est donc de faire chômer ses bateaux. Mais ce moyen de sauvegarder la propriété privée est indigne des nations civilisées; et leur honneur consiste à proclamer unanimement, d'une manière absolue, l'inviolabilité de la propriété privée sur les mers, de telle sorte que les navires de guerre soient obligés de respecter les navires de commerce de l'ennemi.

Il leur suffit de dire que tout acte de rigueur qui ne peut diminuer la force de l'ennemi, qui n'est pas immédiatement et directement propre à briser sa résistance est illicite'.

1. L.-B. Hautefeuille. Histoire des origines, des progrès et des variations du Droit maritime international.

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- Indépendance des Etats. Egalité des pavillons en pleine mer. Droits et devoirs. De la mer territo

Respect réciproque.

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Dominium et Imperium.

Comment il peut se manifester. du commerce et de la navigation.

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Lors même, disait M. Renault dans la séance du 27 avril de la Conférence de Suez, lors même que ce grand principe de l'inviolabilité de la propriété privée serait enfin proclamé, il y aurait toujours des prises dans les trois cas suivants: capture d'un navire de guerre ennemi; capture d'un navire chargé de contrebande de guerre; capture d'un navire violant un blocus.

Mais les cas examinés par ce jurisconsulte éminent rentrent absolument dans la catégorie des faits de guerre, et les principes fondamentaux du Droit maritime international restent debout, à savoir:

1o La liberté de la mer;

2o L'indépendance des Etats;

3o La liberté du commerce et de la navigation.

I. La mer est libre. Aucun Etat n'a de droit de propriété sur la haute mer. Aucun Etat n'a de droits

de souveraineté sur la pleine mer. La mer ne peut par sa nature même dépendre d'un Etat donné. Elle est ouverte à toutes les nations.

:

Tels sont les axiomes du Droit moderne, et personne ne les conteste plus. Il semble inouï, en effet, que l'on ait jamais voulu faire de la mer, de l'Océan, une propriété particulière qu'un Etat ait jamais songé à proclamer sa souveraineté sur ces masses liquides, mobiles, changeantes, à dire ces vagues sont miennes », alors que leurs mouvements calmes ou terribles semblaient bien les soustraire à toute domination.

Comment concevoir que la mer, immense et inépuisable, capable de suffire à tous les besoins de la pêche et de la navigation, puisse devenir la propriété d'un Etat? Ses flottes la sillonneront ? Mais la mer peut porter toutes les flottes que l'humanité entière lancerait sur ses ondes; toutes ces flottes, battues par les tempêtes, seraient englouties: et les profondeurs insondables ne seraient pas comblées, et les abimes engloutiraient encore d'autres flottes; et les vagues redevenues calmes ne garderaient aucune trace d'aussi terribles catastrophes! « Les armées navales les plus formidables la parcourent sans tracer une seule ornière; elles passent et leur sillage a disparu ; et celles qui suivent, fussent-elles celles de l'ennemi, ne peuvent retrouver aucune trace, aucun indice, ni rencontrer un seul obstacle'."

Il faut donc le répéter: la mer est libre: elle est commune à toutes les nations; la mer n'est pas susceptible de devenir l'objet d'une propriété exclusive.

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