Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE PREMIER

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Esprit des nations maritimes pendant les deux siècles qui ont précédé la Déclaration de Paris. - Enfantement du Droit maritime InterInfluence funeste de l'Angleterre. Du Droit de la Relations des Puissances avec l'Angleterre.

national. nécessité.

En 1692 Puffendorf écrivait : « Chacun permet ou défend d'ordinaire le commerce des peuples neutres avec ses ennemis selon qu'il lui importe d'entretenir amitié avec ces peuples ou qu'il se sent de force pour obtenir d'eux ce qu'il souhaite.»

Cette phrase résume l'histoire du Droit International maritime pendant les deux siècles qui ont précédé la Déclaration de Paris.

Les principes étaient reconnus, les règles clairement énoncées, et les mêmes nations n'ont pas toujours adopté les mêmes principes, ni suivi les mêmes règles. Jamais peut-être l'on n'a mieux vu les relations internationales échapper aux prescriptions. positives des lois générales reconnues par tous et par tous déclarées obligatoires. Jamais les nations. n'ont apporté à l'appui de leurs prétentions successives et différentes plus de preuves, historiques ou soi-disant juridiques, tirées des faits ou des traités.

L'histoire du Droit maritime, durant cette période, est l'histoire de toutes les violences, de toutes les agressions que les peuples forts ont cru pouvoir se permettre. Ces peuples ont généralement pris leurs passions, leurs intérêts momentanés pour règle unique de leur conduite avec les peuples faibles : la Force a primé le Droit.

Bien des historiens ont écrit sur les évènements qui ont marqué ces deux siècles, mais nous n'en connaissons aucun qui ait indiqué la véritable cause des luttes si longues et si cruelles, de ces bouleversements qui ont changé la face du monde. Cette cause, disons-le de suite, est l'enfantement du Droit maritime international. Les nombreuses guerres du XVIIIe siècle, celles du XIXe siècle jusqu'en 1856 ont eu pour cause les contestations des peuples au sujet des principes du Droit maritime International. Les guerres qui ont marqué la marche de la Révolution française n'eussent pas pris l'ampleur qu'elles ont conservée pendant plus d'un quart de siècle si l'Angleterre, voulant profiter des circonstances pour faire reconnaître ses principes de Droit maritime, ne s'était jetée de toute son énergie dans la lutte et n'avait réussi enfin à ameuter toute l'Europe contre la France, uniquement pour assurer sa domination maritime.

Pendant toute cette période elle avait déjà les prétentions exagérées que Lord Roseberry exposait dans un discours prononcé à la dernière réunion de la Ligue pour la Fédération Impériale (1860).

« L'avenir du monde, a-t-il dit, est lié à l'avenir de la race qui parle la langue anglaise. Voilà le fait important qu'il ne faut jamais perdre de vue... On vient de nous rappeler que l'Empire britannique

occupe la cinquième partie du globe... Ajoutez-y la partie occupée par les Etats-Unis, c'est-à-dire 60 à 70 millions d'habitants parlant l'anglais, et vous aurez une idée de l'influence salutaire que les nations de langue anglaise doivent exercer dans l'avenir.

Unissons-nous donc, et alors aucun coup de canon ne pourra être tiré dans le monde sans l'ordre de l'Angleterre ou tout au moins sans son autorisation.

Dans une dépêche du 12 août 1800, Lord Withworth laisse échapper un aveu semblable en traitant la question du droit de visite des navires convoyés. Il prétend à l'exercice

de ces droits incontestables fondés sur les principes les plus évidents de la loi des nations dont S. M. ne peut jamais se départir et dont le maintien calme mais soutenu est indispensablement nécessaire à l'exercice des intérêts les plus chers de son Empire.

Lord Granville, alors chef du Foreign-Office, dans une note remise aux ambassadeurs de Danemarck et de Suède (15 janvier 1801) s'exprimait ainsi :

On sait assez dans quelle vue hostile on tenta, en 1780, d'établir un nouveau Code des Droits maritimes, et de soutenir par la force un système d'innovations nuisibles aux plus chers intérêts de l'Enpire Britannique........... L'admission de ces principes, si elle devait jamais avoir lieu, tarirait infailliblement une des principales sources de la force et de la sûreté de l'Empire Britannique.

et Pitt, dans la séance du 2 février 1801 de la Chambre des Communes, revendiquait hautement la responsabilité de ses actes, des mesures prises pour changer le Droit maritime International en faveur de l'Angleterre :

L'honorable membre ignore-t-il que la prépondérance maritime que nous avons acquise par ce moyen a fait la sûreté de notre pays? Aussi, à cette époque, M. Courcelle Seneuil auraitil pu écrire déjà:

«Bien qu'il y ait en Angleterre une opinion pacifique très importante et très respectable professée pendant près d'un siècle par tous les savants de ce pays, cette opinion n'a jamais pénétré dans le gouvernement ni dans la masse de la population. Le peuple anglais considéré comme peuple n'a jamais reconnu ni respecté les droits des autres au delà de ce que lui conseillait son intérêt propre le plus immédiat il n'admet pas au fond l'égalité juridique des peuples qui est la base du Droit International depuis Grotius'.

Or, l'égalité entre les Etats ne saurait être contestée. L'Etat le moins étendu, le plus bas placé sur l'échelle des Puissances, a des droits égaux à ceux de l'Etat le plus puissant; comme lui il a la qualité d'une personne juridique; comme lui il a droit à l'application des principes du Droit International: c'est ce que M. Summer déclarait au Sénat américain le 23 mars 1871: « On ne doit pas faire à un peuple petit et faible ce qu'on ne ferait pas à un peuple grand et puissant ou ce que nous ne souffririons pas si cela était fait contre nous-mêmes. »

Mais que doit-on attendre d'un peuple qui ne considère que son intérêt personnel et mercantile, et en fait l'unique mobile de sa politique ? L'incident avec le Portugal; le traité avec l'Allemagne sur le partage des influences dans l'Afrique orientale qui tint si peu compte des accords conclus en 1862 et en 1886 pour le protectorat de Zanzibar; la cession d'Heligoland sans que les habitants fussent consultés; tous ces faits et bien d'autres encore sont à rapprocher de la honte de Copenhague, de l'arres

1. Courcelle Seneuil. Compte rendu de l'ouvrage de Sir Henry Summer Maine; Le Droit International; la Guerre.

« PreviousContinue »