Page images
PDF
EPUB

EFFETS DE LA RECONNAISSANCE

215

en ce que l'arrêté de reconnaissance vaut prise de possession par la commune (L. 20 août 1881, art. 5). Par là, l'arrêté de reconnaissance diffère de l'arrêté de classement prescrit par la circulaire du 16 novembre 1839, qui n'emportait ni présomption de propriété, ni prise de possession, et qui demeurait sans effet au regard des tiers s'il n'était pas corroboré par d'autres faits ou documents. Par là il diffère aussi des décisions portant reconnaissance ou fixation de largeur des chemins vicinaux qui sont attributives de propriété, d'après l'article 15 de la loi du 21 mai 1836. Dans la discussion de la loi de 1881, on avait proposé d'attribuer à la reconnaissance des chemins ruraux les mêmes effets qu'au classement des chemins vicinaux, en sorte qu'elle aurait abouti à une expropriation sommaire et converti le droit du propriétaire en un droit à indemnité. Cette proposition ne fut pas admise parce que l'importance des chemins ruraux ne parut pas justifier un tel sacrifice des garanties les plus précieuses de la propriété. La loi du 20 août 1881 a donc préféré une solution intermédiaire. L'arrêté de reconnaissance n'entraîne pas un déplacement de propriété, mais il établit la prise de possession par la commune. Cette possession pourra d'ailleurs être contestée dans l'année de la notification, sauf au cas où la commune justifierait d'une possession antérieure, car l'arrêté de reconnaissance, destiné à créer des droits en sa faveur, ne saurait être [retourné contre elle ni préjudicier aux droits qu'elle aurait antérieurement acquis. Mais l'année une fois expirée, l'action possessoire cesse d'être recevable contre la commune et l'arrêté de reconnaissance devient le point de départ d'une possession trentenaire qui consacrera son droit définitif.

« Les chemins ruraux qui ont été l'objet d'un arrêté de reconnaissance, dit l'article 6, deviennent imprescriptibles. » Ce texte tranche ainsi la question qui s'était élevée antérieurement à 1881 sur le point de savoir si les chemins ruraux étaient ou non susceptibles de prescription. Il la résout par une distinction. En déclarant imprescriptibles les chemins reconnus, il reconnaît là même que les chemins non reconnus restent prescriptibles contre les communes. Il nous paraît trancher en même

par

[blocks in formation]

temps une autre question, celle de savoir quel est le point de départ de l'imprescriptibilité. Ce point de départ est déterminé par la date de la reconnaissance régulièrement notifiée, car s'il devait être reporté à une date quelconque postérieure à l'arrêté, il en résulterait que des chemins reconnus ne seraient pas imprescriptibles et seraient assimilés aux chemins non reconnus. C'est donc à tort qu'on a cru pouvoir reculer ce point de départ à l'expiration de l'année durant laquelle la possession de la commune peut être contestée. Il n'y a aucune raison de s'arrêter à cette date, puisque si les tiers perdent, après l'expiration de la première année, le droit d'agir au possessoire, ils conservent encore durant 20 ans le droit d'agir au pétitoire pour réclamer la propriété. En réalité c'est la reconnaissance qui fixe le moment où les tiers ne peuvent ni commencer ni même continuer une possession utile. En constatant l'affectation à l'usage public, elle établit par là même la participation du chemin aux garanties de la domanialité publique, et notamment à l'imprescriptibilité. Elle opère d'ailleurs sous la réserve des droits acquis aux tiers et ceux-ci restent recevables, aux termes du droit commun, à prouver leur possession antérieure ou leur propriété acquise.

Les privilèges de la domanialité publique étant attachés à l'affectation à l'usage du public constatée par l'arrêté de reconnaissance, le chemin redeviendrait prescriptible si l'arrêté était rapporté et si l'affectation à l'usage public venait à cesser. Cette proposition est confirmée par l'article 16: « Les arrêtés portant reconnaissance, ouverture ou redressement, peuvent être rapportés dans les formes prescrites par l'article 4. Lorsqu'un chemin rural cesse d'être affecté à l'usage du public, la vente peut en être autorisée par un arrêté du préfet, rendu conformément à la délibération du conseil municipal et après une enquête précédée de trois publications faites à quinze jours d'intervalle. >>

La reconnaissance a pour effet, en troisième lieu, de faire participer les chemins ruraux aux ressources spéciales créées à leur intention. Avant la loi du 20 août 1881, les ressources applicables à la voirie rurale étaient à peu près nulles. Jusqu'en 1870 les communes ne pouvaient y pourvoir qu'avec leurs ressources ordinaires et

RESSOURCES APPLICABLES A LA VOIRIE RURALE

217

après paiement de toutes les dépenses obligatoires. Comme presque toujours les dépenses obligatoires, notamment celles de la vicinalité, absorbaient et au delà les revenus des communes, l'entretien des chemins ruraux n'était en fait presque jamais assuré. En consacrant l'existence légale des chemins ruraux, la loi du 21 août 1881 a dû se préoccuper de constituer les ressources nécessaires à leur construction et à leur conservation. Avant tout l'autorité municipale continue d'y pourvoir avec ses revenus ordinaires, dans la mesure où elle peut en disposer (art. 10). En cas d'insuffisance, elle est autorisée à y affecter soit une 4o journée de prestation, indépendante des trois journées applicables aux chemins vicinaux, soit des centimes extraordinaires en addition au principal des quatre contributions directes. Cette imposition, à la différence de celle qui peut être inscrite d'office à la charge des communes pour les chemins vicinaux, est purement facultative. En outre le conseil municipal doit choisir entre les prestations et les centimes, sans pouvoir les voter concurremment. Ces centimes sont perçus dans les conditions déterminées par les articles 141-143 de la loi du 5 avril 1884 modifiés par la loi du 7 avril 1902. Le conseil municipal les vote sans autorisation spéciale, si l'imposition n'excède pas trois centimes. Il peut également voter d'autres centimes pour insuffisance de ressources dans la limite du maximum fixé chaque année par le conseil général, et avec l'approbation du préfet les contributions extraordinaires qui dépassent ce maximum.

A ces ressources s'ajoutent les subventions spéciales pour dégradations extraordinaires, qui peuvent être imposées aux propriétaires et industriels (art. 11). Elles sont établies dans les mêmes conditions qu'en matière de chemins vicinaux,acquittées au choix des subventionnaires en argent ou en prestations, réglées annuellement, sur la demande des communes ou des syndicats substitués aux communes, par le Conseil de préfecture. Elles peuvent également être déterminées par abonnement, en vertu de traités approuvés par la Commission départementale. Enfin des souscriptions volontaires en argent, en journées de prestation, en fournitures ou en terrains peuvent être consenties

218

CHEMINS RURAUX NON RECONNUS

par des particuliers et acceptées par le maire avec approbation du conseil municipal. La connaissance des contestations appartient au conseil de préfecture (art. 13).

2281. Les chemins ruraux non reconnus, n'ayant pas été admis aux avantages réservés aux chemins reconnus, sont demeurés dans la condition où ils se trouvaient avant la loi de 1881. Ils ne participent donc pas aux ressources créées par cette loi, ni aux prestations en nature, ni aux centimes spéciaux, ni aux subventions industrielles. Le conseil municipal est libre seulement de leur appliquer la portion restée disponible des revenus ordinaires et l'excédent des prestations affectées aux chemins vicinaux dans les termes prévus par la loi du 21 juillet 1870.

D'autre part ils ne bénéficient pas des garanties réservées aux dépendances du domaine public. Ils sont prescriptibles. Cette proposition, qui résulte a contrario de l'art. 16, a été nettement reconnue au cours des débats.«< A raison de la situation toujours un peu incertaine des chemins non reconnus, disait le rapporteur au Sénat, nous n'avons pas voulu qu'on pût invoquer pour ces chemins le privilège d'imprescriptibilité. »- «Les chemins ruraux reconnus, ajoute la circulaire du 27 août 1881, seront désormais protégés contre les usurpations aussi efficacement que les autres voies publiques d'un ordre supérieur. Les chemins non reconnus resteront au contraire prescriptibles contre les communes. »

Enfin leur état civil n'étant constaté par aucun titre légal, à toute époque la possession de la commune devra être établie par les moyens de droit commun, c'est-à-dire par des actes matériels qui n'ont ni la précision ni la permanence de l'arrêté de reconnaissance et qui sont toujours susceptibles de contradiction.

Ils peuvent bien, comme les chemins ruraux reconnus, donner lieu à des travaux publics, ce caractère appartenant à tous les travaux entrepris par les communes en vue de l'intérêt général. Ils sont également, en leur qualité de chemins publics, protégés contre les usurpations et dégradations par l'article 479 no 11 du Code pénal. Ils sont placés, au point de vue de la réglementation et de la police, sous la surveillance de l'autorité municipale, et

OUVERTURE ET REDRESSEMENT

219

restent soumis à la juridiction des tribunaux de simple police,compétents en matière de petite voirie (L. 16-24 août 1792, tit. 2, art.3; L. 20 août 1881, art. 9). Mais ils se séparent encore des chemins reconnus au point de vue des règles concernant l'ouverture ou le redressement, et de la faculté accordée aux intéressés de se constituer en syndicat en vue des travaux à exécuter sur ces chemins.

2282. Avant 1881, quand une commune voulait procéder à l'établissement, au redressement ou à l'élargissement d'un chemin rural, il suffisait d'une délibération du conseil municipal homologuée par le préfet. S'il était nécessaire d'acquérir des terrains, cette acquisition devait avoir lieu à l'amiable, et la commune ne pouvait pas, au moins d'après l'opinion générale, recourir à l'expropriation. Pour vaincre la résistance des propriétaires, elle n'avait d'autre moyen que d'obtenir le classement du chemin dans la voirie vicinale. Encore aujourd'hui le consentement de tous les intéressés est indispensable, au cas où il s'agit d'établir ou d'élargir un chemin non reconnu.

Mais quand le chemin appartient ou doit appartenir à la classe des chemins reconnus, la loi du 20 août 1881 contient des règles particulières. Aux termes de l'article 13, l'ouverture, le redressement, la fixation de la largeur et de la limite sont prononcés par la commission départementale, dans les conditions prévues par l'article 4.Cette décision équivaut à une déclaration d'utilité publique. Elle n'emporte pas de plein droit attribution du sol à la voie. L'expropriation doit être poursuivie conformément à l'article 16 de la loi du 21 mai 1836. Le petit jury est compétent pour régler les indemnités, et la commune prend possession après paiement préalable. Toutefois ces règles comportent une exception au cas où il y a lieu à l'occupation soit de maisons, soit de cours ou jardins y attenant, soit de terrains clos de murs ou de haies vives. La déclaration d'utilité publique devra alors être prononcée par décret, le conseil d'État entendu (art. 13 § 3).

En règle générale et en dehors du cas où ils sont transformés en dépendances de la voirie urbaine, ou reclassés dans la voirie vicinale, les chemins ruraux reconnus conservent leur caractère

« PreviousContinue »